dimanche 5 février 2017

Paterson, Jim Jarmush

Bien sûr que tu aimes les longues dissections délicates de Jim Jarmush, l'homme aux exigences esthétiques distinctives. Et sans doute tu as aimé les beaux vampires dépressifs de Detroit, dans son précédent opus, mais le lumineux Paterson est bien différent.


Où l'on suit Paterson, doux chauffeur d'autobus à Paterson, ville du même nom, berceau du poète William Carlos Williams, dans ses routines de tout les jours. Paterson est un grand mec calme, à la vie bien organisée, rythmée par des moments prévisibles : les heures de conduite, le petit déjeuner préparé dans une jolie boîte par sa chère amie, la promenade du chien le soir qui devient arrêt au bar... Mais notre héros est poéte, et se saisit de l'infiniment petit de ses routines, de l'humble quotidien pour en tirer son inspiration.

Nous allons le suivre au plus près pendant une semaine, et découvrir ses petites habitudes : sa relation avec Laura, son amour excentrique, qui a sans arrêt mille idées créatives demandeuses en énergie en tête, avec le chien de Laura, une petite chose grassouillette au mauvais caractère, avec le barman sympathique, avec son collègue, poète involontaire aux plaintes irréstiblement drôles...

Le temps est long, dans Paterson, et Jarmush l'utilise pour se livrer à une étude approfondie de la création poétique : filmant son héros au plus près, il soulève les couches du travail créatif pour les révéler au spectateur émerveillé. Tout est plein de sens pour notre héros, des rencontres de hasard aux étonnants partis pris décoratifs de Laura, et Jim Jarmush, pour nous le faire comprendre, a réalisé un film qui déborde de sens tout autant, qui est un poème en lui-même.

Pour porter ce discours sur la création artistique, tout est millimétré et subtilement maniéré. Comme toujours chez Jarmush, le monde à travers ses yeux est bien plus beau que celui que nous arpentons. Cette question de la subjectivité de l'artiste, nous la retrouvons notament dans le personnage de Laura, qui ne travaille pas, et se consacre à réaliser sa vision du monde toute la journée, de toutes les manières possibles (en musique, en cookies, en couture...) que nous ne pouvons nous empêcher de trouver par instants épuisante, ou dépensière... Mais Jim Jarmush, dans une interview en fait une toute autre analyse : Paterson est Laura sont complémentaires, tous deux sont des artistes de plein droit, et si Paterson a besoin d'une structure ferme pour créer, ce n'est pas la cas de Laura, qui explore toutes les possibilités. Et cette pratique bruyante, visible, dévorante, est aussi un des ferments de la créativité de Paterson, qui l'utilise aussi : tous deux se complètent et s'enrichissent mutuellement.
Dans sa longueur et son attention perfectionniste, le film ménage des instants forts avec un matériel narratif qui peut être très simple (mais pourquoi Paterson remet-il en place chaque soir sa boîte aux lettres), ou absolument surréaliste (la scène d'action dans le bar, ou la merveilleuse visite du poète japonais), ce qui lui donne son charme poétique.

Bien que sa vision nécessite une certaine dédication, Paterson est un enchantement, qui en passant par la création artistique, ensemence notre perception de la réalité, et ce faisant, notre sens de la joie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

All the murmuring bones, Angela Slatter

C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...