Bien sûr que tu aimes les longues
dissections délicates de Jim Jarmush, l'homme aux exigences esthétiques
distinctives. Et sans doute tu as aimé les beaux vampires dépressifs de
Detroit, dans son précédent opus, mais le lumineux Paterson est bien
différent.
Où l'on suit Paterson, doux chauffeur d'autobus à Paterson,
ville du même nom, berceau du poète William Carlos Williams, dans ses
routines de tout les jours. Paterson est un grand mec calme, à la vie
bien organisée, rythmée par des moments prévisibles : les heures de
conduite, le petit déjeuner préparé dans une jolie boîte par sa chère
amie, la promenade du chien le soir qui devient arrêt au bar... Mais
notre héros est poéte, et se saisit de l'infiniment petit de ses
routines, de l'humble quotidien pour en tirer son inspiration.
Nous
allons le suivre au plus près pendant une semaine, et découvrir ses
petites habitudes : sa relation avec Laura, son amour excentrique, qui a
sans arrêt mille idées créatives demandeuses en énergie en tête, avec
le chien de Laura, une petite chose grassouillette au mauvais caractère,
avec le barman sympathique, avec son collègue, poète involontaire aux
plaintes irréstiblement drôles...
Le temps est long, dans
Paterson, et Jarmush l'utilise pour se livrer à une étude approfondie de
la création poétique : filmant son héros au plus près, il soulève les
couches du travail créatif pour les révéler au spectateur émerveillé.
Tout est plein de sens pour notre héros, des rencontres de hasard aux
étonnants partis pris décoratifs de Laura, et Jim Jarmush, pour nous le
faire comprendre, a réalisé un film qui déborde de sens tout autant, qui
est un poème en lui-même.
Pour porter ce discours sur la création
artistique, tout est millimétré et subtilement maniéré. Comme toujours
chez Jarmush, le monde à travers ses yeux est bien plus beau que celui
que nous arpentons. Cette question de la subjectivité de l'artiste, nous
la retrouvons notament dans le personnage de Laura, qui ne travaille
pas, et se consacre à réaliser sa vision du monde toute la journée, de
toutes les manières possibles (en musique, en cookies, en couture...)
que nous ne pouvons nous empêcher de trouver par instants épuisante, ou
dépensière... Mais Jim Jarmush, dans une interview en fait une toute
autre analyse : Paterson est Laura sont complémentaires, tous deux sont
des artistes de plein droit, et si Paterson a besoin d'une structure
ferme pour créer, ce n'est pas la cas de Laura, qui explore toutes les possibilités. Et cette pratique bruyante, visible, dévorante, est aussi un
des ferments de la créativité de Paterson, qui l'utilise aussi : tous
deux se complètent et s'enrichissent mutuellement.
Dans sa
longueur et son attention perfectionniste, le film ménage des instants
forts avec un matériel narratif qui peut être très simple (mais pourquoi
Paterson remet-il en place chaque soir sa boîte aux lettres), ou
absolument surréaliste (la scène d'action dans le bar, ou la
merveilleuse visite du poète japonais), ce qui lui donne son charme
poétique.
Bien que sa vision nécessite une certaine dédication, Paterson est un enchantement, qui en passant par la création artistique, ensemence notre perception de la réalité, et ce faisant, notre sens de la joie.
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All the murmuring bones, Angela Slatter
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