La Volte nous avait laissé en 2017 avec David Calvo et Toxoplasma, une Commune Montréalaise apocalyptique et effervescente, et nous récupère en 2018 avec Susto de luvan.
Quelle entrée en scène !
On s'en rappelle, luvan a écrit deux recueils fantastiques beaux et exigeants, Cru et Few of Us chez Dystopia, produit textes pour le théâtre et la radio, performe et participe au collectif Zanzibar, entre autres choses.
Susto nous emmène dans un futur post-apocalyptique dans lequel, suite au réchauffement climatique, l'ensemble de la planète terre est devenu si chaud qu'il en est inhabitable. Les dernières installations humaines sont en Antarctique, là où le climat est resté vivable.
Les différentes cultures sont représentées plus ou moins en fonction des installations scientifiques actuelles (on apprend notamment que Dumont d'Urville est peuplée de français snobs qui boivent du vin reconstitué), et des villes se sont créées : la ville de Susto, fondée sur l'île de Ross au pied du volcan Erebus par les mystérieux Pilgrim Ancestors, est une ville multi-culturelle où la langue officielle est l'Espéranto.
Ce n'est pas pour rien que le roman démarre, comme dans une pièce de théâtre, avec une présentation des différents personnages : en effet, luvan nous raconte l'histoire de la ville à travers les yeux de ses différents habitants, et si on a quelques éléments architecturaux ou cartographiques sur Susto, c'est avant tout au collectif que luvan s'intéresse.
Les différents chapitres présentent des instants du quotidien des Sustoïtes : le barman, l'espion (car lorsque commence le roman, les activités de certains habitants sont particulièrement surveillées), le pasteur, l'artiste, la vulcanologue*... Ces épisodes entremêlés d'extraits de documents historiques rédigés après coup permettent peu à peu de comprendre de quoi il est question, quelle est cette menace qui plane sur la ville et dont l'ombre terrifie les habitants (l'espanto, cette angoisse qui monte peu à peu).
Il est difficile de résumer Susto, parce que c'est un roman choral complexe, dans lequel luvan entremêle narration et signes typographiques à déchiffrer (nous permettant de ressentir cette vérité : parfois l'action, l'émotion sont indicibles), avec des époques successives dans la conscience globale de la ville et une grande révélation finale dont les indices parsèment le récit. luvan ne résiste pas non plus à morceler son propos, et réclame l'attention forcenée de son lecteur : une histoire racontée sera par exemple interrompue par ses auditeurs, puis par l'auteur s'immisçant dans le récit, et d'histoire racontée par les personnages, devenir un élément de leur réalité. Structure et mise en oeuvre du roman sont savantes, et pourtant la tonalité de luvan est souvent familière et proche du jeu. Jeu dont la tonalité s'assombrira au fil de la lecture, car si les Sustoïtes sont touchants, certains d'entre eux sont plus qu'eux-mêmes, et un événement les attend (pas qu'un!) qui expliquera cette dimension quasi-mythologique qu'ils ont parfois.
Susto est un livre remarquable de plusieurs manières : par ses beaux personnages, par sa poésie continue, par son humour, par la quantité de références dans lesquel puise luvan, par sa manière de laisser le lecteur travailler pour reconstituer le récit... C'est un roman exigeant, mais qui paye en retour son lecteur par son incroyable richesse.
Cet article est bien pauvre et n'essaye même pas d'en lister tous les éléments, lisez Susto, plutôt!
Il est difficile de lire ce roman sans penser à Yirminadingrad, projet de ville dystopique romancée auquel luvan a participé, ni sans penser également au Toxoplasma de Calvo, dans lequel l'île de Montréal s'érigeait en Commune utopique et rebelle.
Si je peux pousser encore mes divagations, il me semble que si Yirminadingrad maltraitait et égarait ses individus isolés, ses héritières Montréal et Susto sont des lieux où le collectif se retrouve. Quelque soit le destin de ces initiatives, elles portent une véritable effervescence, et les deux fins de roman annoncent des graines semées pour le futur.
Sachant cela, il reste à attendre avec impatience les futures publications de La Volte, et notamment Amatka, roman de Karin Tidbeck traduit par luvan.
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Susto, luvan, La Volte, 2018.
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*Je ne parle pas de Waldman, la vulcanologue survivor du récit, ou d'Adina Sadovska, notre poète activiste, ou encore de Kurobozu, le mystérieux redresseur de torts, car il me faudrait leur réserver un deuxième article. Si je le faisais, je devrais alors parler de Yorgos le barman, de Laure Le Créac'h, de Baba Tristana...
dimanche 4 février 2018
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