vendredi 28 août 2020

Gideon the ninth, Tamsyn Muir - Summer horror #3

 Cette semaine, on pourra argumenter avec aisance sur le fait que "non, des nécromantes badass menant l'enquête dans l'espace, ce n'est pas de l'horreur", et on aura partiellement raison. Mais dans la mesure où l'état de nécromant implique de jouer avec la mort, de diriger des cadavres comme s'ils étaient de petits robots domestiques, et que la totalité du roman comporte des meurtres sanglants et une belle quantité de viscères, accordons nous à dire qu'on est pas si loin. Et que je fais ce que je veux, na.

Cela faisait bien longtemps que je voulais lire ce roman : je ne vois pas quel lecteur rigide et dépourvu de sensibilité artistique aurait pu résister à cette couverture, qui représente notre héroïne, Gideon, cavalière nécromante ultime, dont l'unique but semble être d'envoyer de sérieuses ondes de cool à toutes les pages. Gideon Nav, n'ayons pas peur des mots, est la version féminine de Snake Plissken, et une combattante hors pair à l'épée longue.

 

 

Ceci étant dit : Gideon a été récupérée enfant par la Neuvième Maison (un étonnant système de 9 nobles maisons de nécromants ayant promis obédience à l'Empereur Immortel, et de neuf planètes, qui caractérise le mélange de space opéra et de fantasy de ce roman), et appartient donc à ses maîtres bien malgré elle. A ses maîtres, c'est à dire à Harrowhark Nonagesimus, héritière capricieuse de la Neuvième Maison, avec laquelle elle entretient des relations orageuses reposant sur de vicieux traits d'esprits.

L'éducation stricte au sein de la Neuvième Maison a fait de Gideon une formidable guerrière, et celle-ci compte en profiter pour se libérer de son joug. Mais l'intrigue malicieuse combinée par l'autrice va contraindre Harrohark et Gideon à s'allier pour répondre à la requête de l'empereur, qui souhaite rafraîchir sa cohorte de généraux immortels.

La sélection se situe sur une planète à part, et évoque furieusement un croisement entre Agatha Christie, Dario Argento, et une télé-réalité inédite. Les rebondissements s'accumulent, et le récit va où il veut, heureusement soutenu par le ton irrévérencieux de Tamsyn Muir.

Malgré mon enthousiasme, il est honnête de reconnaître que le roman est loin d'être parfait : certaines intrigues sont grossières, l'aventure n'est pas dépourvue de longueurs et de de facilités. Mais on appréciera tout de même cette mythologie macabre étonnante, créée par Tamsyn Muir, dont les descriptions donnent au roman une ambiance fascinante : ossements partout, spectaculaires costumes tragiques des soeurs de la Neuvième Maison, et décors à gros budget. 

Le traitement des personnages est plutôt bien mené, et se base sur la focalisation interne autour de notre cavalière. Gideon est une grosse costaude, pas forcément brillante, mais en tant que notre narratrice, elle perçoit ses spécificités comme normales. C'est donc au travers des réactions des autres personnages que nous découvrons l'effet qu'elle fait. Combien elle impressionne, combien elle effraye ou se comporte comme une enfant, et certaines de ces scènes sont éminement satisfaisantes.

Ce qui a tendance à me faire penser que l'apparence des choses est essentielle dans ce roman, qui est une sorte de grand décor de théâtre dans lequel les personnages se donnent à coeur-joie. Hélas, cela peut aussi conduire à un certain manque de profondeur dans l'intrigue principale (que cette fin semble artificielle !), mais le plaisir de lecture reste intense, et on aurait bien tort de se priver de la verve que Tamsyn Muir prête à ses héroïnes.

Pour ma part, je vais me jeter sur la suite.

Gideon the ninth, Tamsyn Muir, The Locked Tomb #1, Tor.com.

jeudi 20 août 2020

The Sun Down Motel, Simone StJames - Summer Horror #2

 Cette frénésie de lectures horrifiques se passe plutôt bien, et il est temps à présent d'aborder le livre suivant. Quittons donc la brume des montagnes mexicaines pour le skaï veillissant d'un motel années 60, avec le réjouissant The Sun Down Motel, de Simone St James.

La lecture de romans de fantômes est un parfait passe-temps pour l'amateur d'architecture : en effet, les esprits se distinguent régulièrement par leur parfait bon goût: monastères médiévaux, demeures victoriennes, hôtels art déco, et donc, dans ce roman, motel 60's typique de la Googie architecture (on pourrait tout à fait puiser dans l'imaginaire de Sale temps à l'hôtel El Royale, étrange film de genre qu'on doit à Drew Goddard, le petit malin de La Cabane dans les bois - j'avais prévenu que cet été dégoulinerait de genre).

 

 The Sun Down Motel nous entraîne à la suite de deux héroïnes : Viv Delaney, jeune aspirante actrice, qui échoue dans une petite ville de l'Etat de New York en 1982, et se retrouve à tenir l'accueil de nuit du fort peu reluisant Sun Down Motel, et Carly Kirk, sa nièce, qui, en 2017, à la suite d'une brouille familiale, décide de partir à la recherche de sa tante Viv, mystérieusment disparue en 1982. Et quoi de mieux, pour cela, que de se faire embaucher au même poste que sa tante, poste qui semble décidément bien manquer de candidats ?

Et à raison, car, comme tout le monde le sait dans la petite ville de Fell, une fois la nuit tombée, The Sun Down Motel regorge de fantômes et de vieux souvenirs. Les portes s'ouvrent et se ferment, des bruits de talons se font entendre sur la moquette sans âge, la machine à glaçons grince et une forte odeur de cigarette se dégage du rez-de-chaussée sans qu'on ne voie jamais le fumeur... 

Fell elle-même n'est pas une charmante petite ville sans mystères : que dire de sa cohortes de jeunes filles disparues sans explication ? 

C'est donc une narration à deux vitesses qui commence, un cliché qu'on trouve de plus en plus souvent, ce qui lui fait perdre de sa fraîcheur (je pense par exemple à une autre lecture d'été, The Deep, d'Anna Katsu, qui usait du même procédé de manière très artificielle). Ce n'est pas le cas ici, car l'emboîtement des récits est savament concocté pour nourrir le suspens. Le lecteur est maintenu en haleine sur les deux lignes narratives, alternativement thriller fantastique et enquête, dont il ignore les fins et qui lui réserveront un satisfaisant twist final.

Les personnages ne sont probablement que des archétypes,  mais c'est la force de The Sun Down Motel de se prendre exactement pour ce qu'il est : une aventure distrayante dont les tours et détours doivent étonner.

N'est-ce pas ce qu'on demande à un bon roman de fantômes ? De savourer l'ambiance et de trembler pour les héros ? C'est ce que ce roman d'été réussit à faire, en jouant adroitement avec le lecteur.

The Sun Down Motel, Simone St James, Berkley, 2020.

jeudi 13 août 2020

Mexican gothic, Silvia Moreno Garcia -summer horror #1

 Hey !

Cet été, j'ai décidé d'oublier la situation complexe dans laquelle nous pataugeons en m'accordant une vraie pause, uniquement constituée de lectures régressives. Mon mois d'août n'est donc constitué que de romans d'horreur US publiés en 2020, ce qui devrait me fournir une parfaite détente avant le retour à l'apocalypse quotidien. 

Et quoi de mieux pour commencer cette session que ce petit bijou au ton vintage soigneusement reconstitué que constitue Mexican Gothic ?

 

Lectorices de Daphné Du Maurier, fans de personnages Byroniens et de maisons hantées pleines de dentelles jaunies, Silvia Moreno-Garcia nous voit et nous fait un clin d'oeil !

Naomi Taboada est une héroïne moderne pour les années 50 qu'elle traverse : héritière Mexicaine roulant talons au plancher à bord de sa belle voiture, pas encore décidée à terminer ses études ou à cesser de papillonner parmi les gentlemens qui lui tournent autour, elle reçoit un jour une curieuse lettre de sa délicate cousine Catalina, mariée au loin à une noble famille désargentée.

La lettre, très mystérieuse, laissant supposer que la jeune femme n'a plus toute sa tête, parle d'empoisonnement et de fantômes : c'est plus qu'il n'en faut pour que Naomi parte enquêter dans les montagnes, à High Place, la résidence en déshérence de la famille. L'y accueillent des anglais dégénérés et passablement racistes, et une ambiance inquiétante en diable. Heureusement, Naomi ne va pas se laisser impressionner par des sortilèges d'un autre temps !

J'ai bien conscience qu'en résumant ainsi ce roman, je vous donne l'impression de lire une quatrième de couverture d'un Alice détective en bibliothèque verte (autrement dit, Nancy Drew, pour les petits malins). Et il y a peut-être un peu de cela dans cette héroïne solide, qui se laissera très difficilement émouvoir par les malfaisances de High Place et l'étiquette d'un autre temps de ses occupants. Mais tant mieux : le récit, qui puise avec malice dans le folklore des romans gothiques, n'en est que plus agréable. Ici, le jeune premier est bouffi d'orgueil, le grand-père honorable, un vieux raciste, et le vent de fraîcheur qu'apporte l'héroïne semble bien malvenu. Le roman joue avec l'idée du fantastique, et monte patiemment en tension entre roman gothique du XIXe et ombres du cinéma d'horreur 50's, avant de choisir dans son dernier tiers une explication horrifique qui évoque irrésistiblement les seconds. 

Avec Mexican Gothic, Silvia Moreno-Garcia se régale et contourne les clichés pour notre plus grande joie. Elle en profite d'ailleurs pour laisser soupçonner que les inquiétantes ombres romantiques du roman gothique du XIXe ne sont que fort peu féministes (choisissez le beau ténébreux à la demeure inquiétante et votre cousine plus maline sera obligée de venir vous tirer de là). C'est un des sous-thèmes du roman : retourner brillament les clichés gothiques pour donner à l'héroïne une chance de réfléchir, d'agir, et de décider de son propre destin. Mexican Gothic réussit donc à incarner le roman d'horreur féministe et à rendre un hommage affectueux aux récits qui l'ont précédé.

L'ensemble est un régal d'été dont il serait dommage de se priver, et dont le succès américain semble assurer une adaptation en série. Je suis curieuse de voir ça.


Mexican Gothic, Silvia Moreno-Garcia, Del Rey Books.

jeudi 21 novembre 2019

La fracture, Nina Allan

La Fracture est un roman de Nina Allan traduit par Bernard Sigaud, et édité chez Tristram en 2019.
C'est le cinquième texte de l'autrice traduit en Français, après les formidables recueils Complications (2013), Stardust (2015), et les romans Spin (2015) et La Course (2017).



La Fracture commence par une disparition.
Nos héroïnes sont deux soeurs, Séléna et son ainée Julie, au moment où la différence d'âge se met entre elles, où les préoccupations de Séléna ne sont plus celles de Julie.
Par une soirée des plus anodines, Julie sort de la maison, peut-être pour aller voir une amie, peut-être pour faire une course... On en ignorera la raison : Julie disparaît.
Vingt ans plus tard, Séléna mène le quotidien terne de sa vie adulte sereinement et sans panache, quand son téléphone sonne. Au bout du fil, Julie, qui lui propose de la rencontrer, et lui présentera comme explication à sa disparition une incroyable histoire.
Peut-on la croire ? Julie est-elle bien Julie ?
Tout en exposant finement la mécanique de la relation qui unit les deux soeurs, le roman nous égare d'allusions subtiles en images pleines de sens, pour vite devenir un grand roman du faux semblant. Nina Allan utilise tout son art pour composer avec différentes strates de réalité, différentes symboliques, et parvient tout à la fois à en dire assez pour éveiller notre petit enquêteur intérieur, et à dissimuler suffisament la réalité pour ne jamais nous permettre de parvenir à une explication.
Pour multiplier les interprétations possibles, elle sème différentes pièces narratives, devoirs de lycée de Julie, courts épisodes qui semblent être autant d'étranges signaux d'alerte, dont la thématique semble être la réalité alternative, et les fantômes de celle-ci. Ces chemins que l'on aurait pas dû prendre, ces choses que l'on prétend faire et que l'on ne fait pas, ces amis disparus à qui l'on pense encore... Les voiles entre réalité et fantasme sont particulièrement ténus, pour la grande fascination du lecteur.
Ce roman sensible et précis est tout à la fois un excellent roman de science-fiction, et une somme touchante d'histoires humaines.
Il faut lire Nina Allan, et se sentir revigoré par l'originalité et l'exigence de son oeuvre.

La Fracture, Nina Allan, traduite par Bernard Sigaud, Tristram, 2019.

jeudi 25 octobre 2018

Les rigoles, Brecht Evens

Les nuits de Brecht Evens sont plus belles que nos jours, bonjour.
Brecht Evens est sympathique, Brecht Evens dessine bien, Brecht Evens est le Neal Stephenson de la bande dessinée francophone ... Bref, parlons des Rigoles.


On se souvient de Panthère (un mystérieux animal imaginaire contamine les rêves et la réalité d'une petite fille esseulée), on se souvient des Amateurs (folie chorale d'une bande d'artistes décidés à réaliser une oeuvre collective d'art contemporain à la campagne), mais, quand on lit les Rigoles, on se souvient surtout des Noceurs (heurs et malheurs de Robbie, le Monsieur Loyal de toutes les soirées réussies). Les Noceurs était déjà une bande-dessinée sur l'art de se perdre dans les fêtes urbaines, ou comment joie et futilité peuvent procurer lors du temps suspendu qu'elles constituent une sorte de consolation, un remède réparateur.
Dans les Rigoles, on retrouve un peu de notre cercle de joyeux fêtards, mais la tonalité qui domine tient de la mélancolie douce.
Trois personnages hauts en couleurs se partagent le livre, et la soirée qui s'écoule est constituée de leurs expériences douces-améres : Jona passe ici sa dernière nuit avant de quitter la ville, et ce qu'il voudrait laisser derrière lui ne cesse de le poursuivre, le Baron Samedi (un ami de Robbie) tente de soigner son coeur brisé en se perdant dans les fêtes les plus fantastiques, et Victoria passe une douloureuse soirée en compagnie d'amis, à se couler dans une normalité qui n'est pas tout à fait la sienne.
Trois aventures personnelles complexes, dans le cadre chatoyant des fêtes de Brecht Evens, tellement belles qu'elles font tout oublier : les bars sont légion, les gens joyeux, le taxi sort d'un conte... et cependant, alors que l'on touche du doigt cette magie fêtarde, aucun des trois héros ne s'y retrouve vraiment.
Les Rigoles est le récit de trentenaires qui se font rattraper par le réél, alors que leur oblivion se révèle pour ce qu'il est : une féérie limitée, pour laquelle les coups de minuit qui marquent la transformation en citrouille ont déjà retenti.
Et là sont peut-être les limites de l'exercice : nombreux sont les lecteurs à ne fréquenter ces glorieuses bacchanales que livresquement, voir à ne pas les apprécier du tout, et plus nombreux encore sont-ils à déjà bien connaître les limites des oublis nocturnes : en ce cas, ressentir de la sympathie pour ces personnages légers est plus difficile, et les lecteurs dans cette situation ne ressentiront sans doute d'intérêt que devant la brillante maîtrise technique de l'auteur.
Cela tombe bien, jamais Brecht Evens n'a été plus inspiré, et l'album est une fête en soi : l'auteur inclut dans ses pages maintes citations d'autres artistes, joue avec les plans, le noir & blanc, l'harmonie des couleurs... Les Rigoles est une symphonie qui célèbre le monde de la nuit, et c'est bien comme cela que l'on peut lire cette bande dessinée : en laissant ses yeux s'émerveiller de la beauté de la promenade, comme l'auditeur se laisse emmener en écoutant son musicien préféré. Nous y sommes, c'est très beau, et nul ne sait ce qui se produira lors de la page/note suivante, mais cet instant dont nos sens se régalent, cet instant... est magique.

Les Rigoles, Brecht Evens. Actes Sud BD, 2018.
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* Pardon. Je sais. Aimer autant ce travail chatoyant me positionne illico en tant que hipsterette téléramesque, alors que peut-être toi-même, tu n'y es pas très sensible. Alors pour te remettre, tu peux aussi voir Julie Doucet, et Jhonen Vasquez, ça fera respiration. Des bisous.

lundi 8 octobre 2018

Déracinée, Naomi Novik

Plaisir coupable que l'on s'administre en cas de besoin avec un bon chocolat et un plaid, le roman-initiatique-de-fantasy-pour-jeunes-filles recèle parfois de bonnes surprises.


Ah, merveilleux romans-initiatiques-de-fantasy-pour-jeunes-filles, ils ne nous déçoivent jamais !
Avec leurs lots de situations canonniques pré-écrites, comme ici, histoire que vous avez entendue 100 fois : dans un petit village slave, au fin fond d'un Royaume dont on a oublié le nom, et juste à côté d'une menaçante forêt, une jeune fille est envoyée, chaque année, tenir compagnie au Dragon, un mystérieux sorcier (Ah, je te l'avais dis, tu l'as lu mille fois). Les parents le savent, et surveillent bien leurs filles, en les enlaidissant le jour J, en s'assurant qu'elles n'aient pas trop de talents naturels (Mélanie Fazi en a même écrit une version, d'ailleurs), en scrutant chez leurs voisins pour identifier celle qui sera choisie.
Cette année, comme toujours, exceptionnellement (tiens donc !), au grand dam des villageois, ce n'est pas la jolie Kasia qui est choisie, mais Agniezka la souillonne, et même le sorcier en soupire déja de fatigue.
C'est qu'Agniezka n'est pas très soigneuse, a un fichu caractère et déteste cuisiner.
En revanche, elle montre pour la sorcellerie un talent tout personnel, désordonné, et incompréhensible pour notre immortel freluquet magique, qui pratique une magie policée, qui fait penser à une version scienticisée du noble art des sorcières à verrues et chapeau pointu (et là tu me diras, ça commence à être un peu cool, cette affaire).
 Le sorcier, qui devrait selon le schéma narratif nous servir d'image un peu mystérieuse et dangereuse de la masculinité, pourrait être décrit ici comme un premier de la classe soigneux, qui a pour tâche de protéger le village contre la forêt maléfique qui l'entoure et la dévore peu à peu.
Heureusement, pendant qu'il fait son devoir, au moindre danger, Agniezka lui pique des potions, défend la veuve et l'orphelin, assomme des preux chevaliers trop convaincus par la légitimité du droit de cuissage, et se comporte en général comme une épuisante sorcière stagiaire.
A tel point qu'elle parvient à sauver sa meilleure amie, Kasia, la jolie fille mentionnée plus haut (comment ça, tu avais suivi?), tombée sous l'influence de la forêt maléfique, gagnant ainsi sa légitimité en tant que vraie sorcière.
À la suite de quoi va se produire tout un bazar à base de rois, de reines ensorcelées et de dynastie qui diminue à vue d'oeil pour cause de forêt maudite (je te laisse découvrir le détail en le lisant), qui n'aura pour d'autre effet que d'établir Agniezka sorcière protectrice du village (avec une histoire d'amour en cours pas trop mièvre avec le sorcier sus-mentionné), et Kasia la jolie fille, ravie de sa reconversion professionnelle en chevalière badass et lawful good.
Et tout cela fait de Déracinée un livre très sympathique, dans lequel Naomi Novik joue avec les clichés du genre pour toujours donner le beau rôle aux filles, leur accorder le choix, et la force d'agir ou de se défendre. La solidarité féminine et l'amitié y tiennent d'ailleurs une grande place, ce qui est tout à fait appréciable.
Et le libraire qui me disait que c'était un bon livre pour ados, et bien bigre, même adulte, on peut y prendre du plaisir.

Déracinée, Naomi Novik, J'ai Lu, 2018.

jeudi 20 septembre 2018

Way inn, Will Wiles

La rentrée constitue l'une des périodes où la dissonance entre le temps apaisé des vacances et les servitudes du monde contemporain est la plus forte.
C'est donc le moment idéal pour lire le roman de Will Wiles.


J'en veux pour preuve : Neil Double, le héros, occupe l'étonnante profession de double de congrès pour cadre. En résumé, les congrès sont une plaie auxquels les cadres vont munis de leurs plus beaux costumes, la valise remplie de cartes de visites, pour sociabiliser avec d'autres cadres dans un but de réseautage professionnel, et prendre des notes qui justifieront que leur hiérarchie leur ait offert ledit congrès.

Ceci, nous dit Neil, est fortement ennuyeux pour tout le monde. Sauf pour lui, qui adore l'atmosphère hygiéniste et anonyme des chambres d'hôtels, et a transformé ses visites aux conférences en véritables promenades psychogéographiques (si vous faites appel à ses services, il vous ramènera également badges, stylos et mugs promotionnels pour attester de votre présence).
La profession disruptive de Neil est donc appelée à un bel avenir.
Jusqu'au jour où un incident le contraint à fréquenter de plus près le milieu aride des couloirs de chaînes d'hôtels, leurs moquettes interchangeables et leurs peintures abstraites.
Comme le sommeil de la raison engendre des monstres, nous dit Goya, Neil va découvrir que l'utilitarisme le plus propret constitue le nid idéal pour l'horreur débridée, période Jack-Halloran-écrit-dans-sa chambre-de-l'Overlook.

Will Wiles écrit un roman réjouissant et hyper contemporain, dont l'écriture clinique et détachée permet la distance nécessaire pour parodier les rites de l'entreprise.
Les amateurs du Ballard de Crash et de I.G.H. trouveront du plaisir à fréquenter les couloirs de  Way Inn, et la deuxième partie du roman devrait également satisfaire les nostalgiques du King horrifique des années 70-80.
On passe un moment délicieusement acide avec Way Inn, qui constitue un honorable roman d'horreur, comme cela fait bien longtemps qu'on en avait pas lu.


Way Inn, Will Wiles, traduit par Marie Surgers, La Volte, septembre 2018.