Quelque part entre janvier et maintenant, ce blog a eu deux ans.
C'est un non-événement, l'occasion d'osciller encore entre la satisfaction d'avoir un coin pour bricoler des opinions sur maints sujets et le reproche constant de ne pas réussir à le faire de manière normée, et à des intervalles réguliers.
En résumant, c'est le bordel, continuons encore un peu.
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Pendant que février s'écoulait, j'ai emmené avec moi dans le métro Flâneuse, de Lauren Elkin.
Il y a bien des manières de traiter les motifs de la ville, et la psychogéographie est un sport à la mode (je pense parler très bientôt des Villes imaginaires de Darran Anderson, qui sortira en mars chez Inculte), mais Lauren Elkin ajoute deux données très importantes à sa dérive citadine : la femme, et la littérature.
L'introduction nous met en rapport avec l'aspect féminin (et féministe) du promeneur Beaudelairien : la flâneuse, subtilement subversive, qui s'approprie l'espace public masculin en l'arpentant.
Grâce à plusieurs destins de consoeurs artistes, cinéastes et auteurs (Jean Rhys, Virginia Woolf, Georges Sand, Sophie Calle, Agnès Varda, Martha Gellhorn), qu'elle entremêle à son histoire personnelle, Lauren Elkin brosse un portrait très touchant de la femme dans la ville.
Les exemples choisis lui permettent de dresser en creux la silhouette de la citadine, à travers les différentes périodes de son existence, et de démontrer au fil des pages sa connaissance érudite de la littérature féminine du XXe siècle.
Bien que nourries de multiples notes de bas de pages, les réflexions d'Elkin ne sont jamais arides, grâce à son propre récit initiatique, et la tendresse avec laquelle elle dépeint ses camarades artistes. Georges Sand, Virginia Woolf ou Martha Gellhorn ne nous ont jamais semblé si proches, et en ces temps où nous cherchons toutes des livres présentant des modèles féminins positifs et complexes, c'est une chose appréciable.
Flâneuse est un livre dont on sort grandi, à la fois charmé par la compagnie de Lauren Elkin, qui parvient avec simplicité à faire partager son amour de la littérature, et inspiré par les pistes culturelles qu'elle nous suggère.
Il faut bien un défaut à une lecture aussi plaisante : Lauren Elkin, américaine vivant le rêve Parisien et faisant partie d'une profession qui semble lui permettre un certain confort horaire, il est à craindre que son expérience de voyageuse bohême ne soit pas celle de tout le monde. Mes conditions de vie, par exemple, font de mon Paris sale, bondé et épuisant une ville bien éloignée de la ville policée et séduisante dépeinte dans ce livre, à tel point que certaines parties m'ont été un peu gâchées.
Créteil n'est pas la rive gauche, ai-je souvent pensé. Je ne fais donc définitivement pas partie de la classe d'intellectuels bohèmes et voyageurs qui s'identifieront à ce beau livre; c'est dommage.
Cela ne m'empêche pas d'en apprécier les mérites, et d'espérer que cet ouvrage, lu dans son édition britannique, soit vite traduit.
Pour aller plus loin, on s'empressera d'enregistrer dans un coin le Tumblr de l'auteur, mélange de photographies et de clips.
J'ai comme une vague envie de déménager, tiens.
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Flâneuse, Lauren Elkin, Chatto & Windus, 2016.
jeudi 23 février 2017
mardi 7 février 2017
Détective : fabrique de crimes ? BiLiPo, 20 janvier-1er avril 2017
Si toi aussi tu as croisé chez ton libraire le très étonnant Les Forces de l'ordre invisible, il est possible que tu aies remarqué le style narratif très marqué des pages tirées de Détective.
Il est aussi possible que tu habites près d'un kiosque à journaux et que tu passes régulièrement devant les affiches racoleuses du Nouveau Détective.
Mais tout cela ne te dit pas ce qu'est ce titre, d'où il vient, et pourquoi on peut se réjouir que la Bibliothèque des Littératures Policières aie numérisé sa collection, accessible sur le site CriminoCorpus.
Heureusement, l'exposition en cours t'en apprendra plus.
Vers la fin des années 20, Gaston Gallimard cherche à équilibrer les comptes de sa maison d'édition (selon le principe raconté par André Schiffrin dans L'édition sans éditeurs : on publie des titres commerciaux pour financer les oeuvres plus exigeantes, comme la revue NRF et la collection Blanche). Pour cela, il envisage de profiter de la popularité de la littérature de gare et de l'engouement pour les faits divers. Avec Georges Kessel (frère de), il rachète donc Détective, feuille professionnelle tenue par l'authentique détective Ashelbé, et monte une rédaction avec quelques bons auteurs maison, parmi lesquels Joseph Kessel, Francis Carco et Pierre Mac Orlan. Le titre est lancé et utilise trois ingrédients pour s'assurer le succès : faits divers sanglants, bons auteurs, et force de frappe de la photographie, alors en plein essor. Sur le lieu des enquêtes, sont toujours dépêchés un duo journaliste-photographe, et les articles sont signés à deux.
Au long des années 30, Détective va donc être le témoin des grands crimes de l'époque : l'affaire Staviski, le parricide de Violette Nozière, le crime des soeurs Papin... Et envoye ses journalistes faire des reportages sensationnels au long cours : dans les bagnes, les prisons, à l'étranger.
Cependant, très vite, le rapport au réel s'encanaille, avec une équipe de rédaction tentée par l'invention, tout d'abord pour la blague, puis dans un but de réduction des coûts.
Certaines photographies spectaculaires sont des montages rejoués bien loin des lieux du crime, des reportages trop scandaleux donnent lieu à investigation des forces publiques et révèlent des supercheries, d'autres sont édités dans la collection "romans" de Gallimard, révélant par là leur aspect fictionnel. Lorsqu'à la fin des années 30, Détective vend moins, le journal se tourne vers l'ésotérisme, indémontrable, mais peu coûteux. En 1939, les locaux sont pillés par les allemands, les très riches archives photographiques disparaissent. Si la revue reparaît après-guerre, elle est différente, et très rapidement revendue par Gallimard.
C'est essentiellement à cette première période de Détective que s'intéresse l'exposition, en nous montrant les premières pages de journal, et en revenant sur les affaires célèbres. On découvre l'ambiance d'une rédaction de journal à l'époque, le travail des journalistes (machines à écrire, cartes de presse et tuyaux donnés au téléphone), des photographes (Rolleiflex et retouches photographiques faites à la main). Tout cela constitue une excellente histoire en soi, que les nombreux documents présentés contribuent à illustrer.
On pourrait regretter une forme de manque de suivi de la problématique principale : l'exposition est essentiellement une exposition chronologique, où sont parsemées des mentions des inventions des auteurs-phares. Cependant, l'ensemble est si riche que ce traitement semble compréhensible, et on n'en sortira pas moins saisi par la vigueur de l'imaginaire criminel de la revue.
Ne pas manquer l'occasion de faire un tour dans la bibliothèque elle-même.
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Détective : Fabrique de crimes,
20 janvier-1er avril 2017, à la BiLiPo,
48, rue du Cardinal Lemoine, Paris 5e.
Il est aussi possible que tu habites près d'un kiosque à journaux et que tu passes régulièrement devant les affiches racoleuses du Nouveau Détective.
Mais tout cela ne te dit pas ce qu'est ce titre, d'où il vient, et pourquoi on peut se réjouir que la Bibliothèque des Littératures Policières aie numérisé sa collection, accessible sur le site CriminoCorpus.
Heureusement, l'exposition en cours t'en apprendra plus.
Un ancêtre de Détective. |
Au long des années 30, Détective va donc être le témoin des grands crimes de l'époque : l'affaire Staviski, le parricide de Violette Nozière, le crime des soeurs Papin... Et envoye ses journalistes faire des reportages sensationnels au long cours : dans les bagnes, les prisons, à l'étranger.
Cependant, très vite, le rapport au réel s'encanaille, avec une équipe de rédaction tentée par l'invention, tout d'abord pour la blague, puis dans un but de réduction des coûts.
Certaines photographies spectaculaires sont des montages rejoués bien loin des lieux du crime, des reportages trop scandaleux donnent lieu à investigation des forces publiques et révèlent des supercheries, d'autres sont édités dans la collection "romans" de Gallimard, révélant par là leur aspect fictionnel. Lorsqu'à la fin des années 30, Détective vend moins, le journal se tourne vers l'ésotérisme, indémontrable, mais peu coûteux. En 1939, les locaux sont pillés par les allemands, les très riches archives photographiques disparaissent. Si la revue reparaît après-guerre, elle est différente, et très rapidement revendue par Gallimard.
C'est essentiellement à cette première période de Détective que s'intéresse l'exposition, en nous montrant les premières pages de journal, et en revenant sur les affaires célèbres. On découvre l'ambiance d'une rédaction de journal à l'époque, le travail des journalistes (machines à écrire, cartes de presse et tuyaux donnés au téléphone), des photographes (Rolleiflex et retouches photographiques faites à la main). Tout cela constitue une excellente histoire en soi, que les nombreux documents présentés contribuent à illustrer.
On pourrait regretter une forme de manque de suivi de la problématique principale : l'exposition est essentiellement une exposition chronologique, où sont parsemées des mentions des inventions des auteurs-phares. Cependant, l'ensemble est si riche que ce traitement semble compréhensible, et on n'en sortira pas moins saisi par la vigueur de l'imaginaire criminel de la revue.
Ne pas manquer l'occasion de faire un tour dans la bibliothèque elle-même.
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Détective : Fabrique de crimes,
20 janvier-1er avril 2017, à la BiLiPo,
48, rue du Cardinal Lemoine, Paris 5e.
dimanche 5 février 2017
Un mois vu et lu, janvier 2017
Well, no internet means no blogging, either.
Mais, tout est à peu près rentré dans l'ordre dans l'antre imprédictible des Georgette : la moquette a séché, la porte-fenêtre referme, internet est là... En conséquence de quoi, ce domicile neady en affection a résolu de bricoler une autre avanie, électrique cette fois, car la joie est comme le courant, continue.
Il s'est donc passé bien des choses, de la fin de l'année à ce week-end du 5 février, mais comme je n'ai rien enregistré ici, je vais tenter un illisible résumé/brouillon de ce dont je me souviens le mieux.
Des films : Harmonium de Koji Fukada (ficelles visibles, mais certaines scènes familiales troublantes) - Premier contact de Denis Villeneuve (esthétique magnifique, les plus beaux nuages gris après ceux de Les premiers, les derniers de Bouli Lanners, musique étrange très adaptée, SF intelligente et fin loupée) - LalaLand (hommage aux meilleures comédies musicales, numéros de danse charmants, discours "rêve américain et glorification du destin individuel").
Des livres : Au delà du gouffre, Trilogie Rifters et Vision aveugle de Peter Watts (l'évolution du monde vue par un Asperger pessimiste et génial), La Maison des Feuilles de Mark Danielewski (Stephen King à la moulinette postmoderne), Les Etats et Empires du Lotissement Grand Siècle de Fanny Taillandier (un essai science-fictif particulièrement bien écrit).
Du vrac : L'expo Bauhaus aux arts décoratifs, de la doc autour du Memphis group, du magasin Londonien Big Biba, du dessin, Taboo (série pop XIXe, héritière de Penny Dreadful avec un héros grondant), les fringues portées par Lara Flynn Boyle dans Twin Peaks, les errances psychogéographiques de Darran Anderson dans Imaginary cities.
Et avec tout ça, on repart frais et dispos pour février.
----
Et l'artiste : Nathalie du Pasquier, française aventurière, qui, jeune fille, après des voyages solitaires autour du monde, s'est installée à Milan dans les 80's et à coup de couleurs audacieuses, a cofondé le Memphis group avec Ettore Sottsass et George Sowden.
Mais, tout est à peu près rentré dans l'ordre dans l'antre imprédictible des Georgette : la moquette a séché, la porte-fenêtre referme, internet est là... En conséquence de quoi, ce domicile neady en affection a résolu de bricoler une autre avanie, électrique cette fois, car la joie est comme le courant, continue.
City untitled 4 (détail), Nathalie du Pasquier |
Il s'est donc passé bien des choses, de la fin de l'année à ce week-end du 5 février, mais comme je n'ai rien enregistré ici, je vais tenter un illisible résumé/brouillon de ce dont je me souviens le mieux.
Des films : Harmonium de Koji Fukada (ficelles visibles, mais certaines scènes familiales troublantes) - Premier contact de Denis Villeneuve (esthétique magnifique, les plus beaux nuages gris après ceux de Les premiers, les derniers de Bouli Lanners, musique étrange très adaptée, SF intelligente et fin loupée) - LalaLand (hommage aux meilleures comédies musicales, numéros de danse charmants, discours "rêve américain et glorification du destin individuel").
Des livres : Au delà du gouffre, Trilogie Rifters et Vision aveugle de Peter Watts (l'évolution du monde vue par un Asperger pessimiste et génial), La Maison des Feuilles de Mark Danielewski (Stephen King à la moulinette postmoderne), Les Etats et Empires du Lotissement Grand Siècle de Fanny Taillandier (un essai science-fictif particulièrement bien écrit).
Du vrac : L'expo Bauhaus aux arts décoratifs, de la doc autour du Memphis group, du magasin Londonien Big Biba, du dessin, Taboo (série pop XIXe, héritière de Penny Dreadful avec un héros grondant), les fringues portées par Lara Flynn Boyle dans Twin Peaks, les errances psychogéographiques de Darran Anderson dans Imaginary cities.
Et avec tout ça, on repart frais et dispos pour février.
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Et l'artiste : Nathalie du Pasquier, française aventurière, qui, jeune fille, après des voyages solitaires autour du monde, s'est installée à Milan dans les 80's et à coup de couleurs audacieuses, a cofondé le Memphis group avec Ettore Sottsass et George Sowden.
Paterson, Jim Jarmush
Bien sûr que tu aimes les longues
dissections délicates de Jim Jarmush, l'homme aux exigences esthétiques
distinctives. Et sans doute tu as aimé les beaux vampires dépressifs de
Detroit, dans son précédent opus, mais le lumineux Paterson est bien
différent.
Où l'on suit Paterson, doux chauffeur d'autobus à Paterson, ville du même nom, berceau du poète William Carlos Williams, dans ses routines de tout les jours. Paterson est un grand mec calme, à la vie bien organisée, rythmée par des moments prévisibles : les heures de conduite, le petit déjeuner préparé dans une jolie boîte par sa chère amie, la promenade du chien le soir qui devient arrêt au bar... Mais notre héros est poéte, et se saisit de l'infiniment petit de ses routines, de l'humble quotidien pour en tirer son inspiration.
Nous allons le suivre au plus près pendant une semaine, et découvrir ses petites habitudes : sa relation avec Laura, son amour excentrique, qui a sans arrêt mille idées créatives demandeuses en énergie en tête, avec le chien de Laura, une petite chose grassouillette au mauvais caractère, avec le barman sympathique, avec son collègue, poète involontaire aux plaintes irréstiblement drôles...
Le temps est long, dans Paterson, et Jarmush l'utilise pour se livrer à une étude approfondie de la création poétique : filmant son héros au plus près, il soulève les couches du travail créatif pour les révéler au spectateur émerveillé. Tout est plein de sens pour notre héros, des rencontres de hasard aux étonnants partis pris décoratifs de Laura, et Jim Jarmush, pour nous le faire comprendre, a réalisé un film qui déborde de sens tout autant, qui est un poème en lui-même.
Pour porter ce discours sur la création artistique, tout est millimétré et subtilement maniéré. Comme toujours chez Jarmush, le monde à travers ses yeux est bien plus beau que celui que nous arpentons. Cette question de la subjectivité de l'artiste, nous la retrouvons notament dans le personnage de Laura, qui ne travaille pas, et se consacre à réaliser sa vision du monde toute la journée, de toutes les manières possibles (en musique, en cookies, en couture...) que nous ne pouvons nous empêcher de trouver par instants épuisante, ou dépensière... Mais Jim Jarmush, dans une interview en fait une toute autre analyse : Paterson est Laura sont complémentaires, tous deux sont des artistes de plein droit, et si Paterson a besoin d'une structure ferme pour créer, ce n'est pas la cas de Laura, qui explore toutes les possibilités. Et cette pratique bruyante, visible, dévorante, est aussi un des ferments de la créativité de Paterson, qui l'utilise aussi : tous deux se complètent et s'enrichissent mutuellement.
Dans sa longueur et son attention perfectionniste, le film ménage des instants forts avec un matériel narratif qui peut être très simple (mais pourquoi Paterson remet-il en place chaque soir sa boîte aux lettres), ou absolument surréaliste (la scène d'action dans le bar, ou la merveilleuse visite du poète japonais), ce qui lui donne son charme poétique.
Bien que sa vision nécessite une certaine dédication, Paterson est un enchantement, qui en passant par la création artistique, ensemence notre perception de la réalité, et ce faisant, notre sens de la joie.
Où l'on suit Paterson, doux chauffeur d'autobus à Paterson, ville du même nom, berceau du poète William Carlos Williams, dans ses routines de tout les jours. Paterson est un grand mec calme, à la vie bien organisée, rythmée par des moments prévisibles : les heures de conduite, le petit déjeuner préparé dans une jolie boîte par sa chère amie, la promenade du chien le soir qui devient arrêt au bar... Mais notre héros est poéte, et se saisit de l'infiniment petit de ses routines, de l'humble quotidien pour en tirer son inspiration.
Nous allons le suivre au plus près pendant une semaine, et découvrir ses petites habitudes : sa relation avec Laura, son amour excentrique, qui a sans arrêt mille idées créatives demandeuses en énergie en tête, avec le chien de Laura, une petite chose grassouillette au mauvais caractère, avec le barman sympathique, avec son collègue, poète involontaire aux plaintes irréstiblement drôles...
Le temps est long, dans Paterson, et Jarmush l'utilise pour se livrer à une étude approfondie de la création poétique : filmant son héros au plus près, il soulève les couches du travail créatif pour les révéler au spectateur émerveillé. Tout est plein de sens pour notre héros, des rencontres de hasard aux étonnants partis pris décoratifs de Laura, et Jim Jarmush, pour nous le faire comprendre, a réalisé un film qui déborde de sens tout autant, qui est un poème en lui-même.
Pour porter ce discours sur la création artistique, tout est millimétré et subtilement maniéré. Comme toujours chez Jarmush, le monde à travers ses yeux est bien plus beau que celui que nous arpentons. Cette question de la subjectivité de l'artiste, nous la retrouvons notament dans le personnage de Laura, qui ne travaille pas, et se consacre à réaliser sa vision du monde toute la journée, de toutes les manières possibles (en musique, en cookies, en couture...) que nous ne pouvons nous empêcher de trouver par instants épuisante, ou dépensière... Mais Jim Jarmush, dans une interview en fait une toute autre analyse : Paterson est Laura sont complémentaires, tous deux sont des artistes de plein droit, et si Paterson a besoin d'une structure ferme pour créer, ce n'est pas la cas de Laura, qui explore toutes les possibilités. Et cette pratique bruyante, visible, dévorante, est aussi un des ferments de la créativité de Paterson, qui l'utilise aussi : tous deux se complètent et s'enrichissent mutuellement.
Dans sa longueur et son attention perfectionniste, le film ménage des instants forts avec un matériel narratif qui peut être très simple (mais pourquoi Paterson remet-il en place chaque soir sa boîte aux lettres), ou absolument surréaliste (la scène d'action dans le bar, ou la merveilleuse visite du poète japonais), ce qui lui donne son charme poétique.
Bien que sa vision nécessite une certaine dédication, Paterson est un enchantement, qui en passant par la création artistique, ensemence notre perception de la réalité, et ce faisant, notre sens de la joie.
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