samedi 3 décembre 2016

Images Fantômes, Elisabeth Hand

Je suis bien claquée et pas mal occupée ces temps-ci, aussi te prie-je de comprendre que je ne lis pas beaucoup.
Mais quand même, ayant achevé ce sommet de préciosité stylistique qu'est Radiance de Catherynne M. Valente, tomber sur les rugueuses aventures de Cass Neary, photographe quadragénaire, alcoolique et punkette sur le retour, constitue un atterrissage plutôt rude.
Parce qu'Elisabeth Hand, qui est reconnue par ailleurs pour ses romans fantastiques, nous livre une enquête qui n'en est que partiellement une, racontée par un personnage mémorable, dont la compagnie va nous hanter quelques temps, mais qui ne se caractérise décidément pas par l'élégance de son registre de langage.


Cassandra Neary, à quarante-huit ans, est une épave qui a survécu au punk, à un alcoolisme effréné, et à la mort de ses relations de jeunesse. Ayant obtenu très jeune une courte célébrité avec un album de photos mélangeant le sublime au sordide (et nommé Filles Mortes), elle vivote en jouant les magasiniers dans la réserve de la librairie Strand, et a abandonné toute véléités photographiques depuis quelques années déjà, pour aller de déchéance en déchéance.

Mais, comme le dit son tatouage, Mademoiselle Neary est "Trop dure pour mourir", et le monde de la photographie finit par venir la chercher, incarné par un contact qui souhaite l'envoyer interviewer une légende des années 70, la photographe Aphrodite Kamestos, qui vit depuis des années isolée sur une île du Maine.

Neary s'y rend donc, et démarre un ballet de freaks has been et abîmés dans les lueurs glacées de l'hiver, dans lequel notre Etoile en titre ne dépare pas : un village dont les gamins ne cessent de disparaître, tentés par les promesses des grandes villes, des autochtones taiseux ou franchement hostiles, et Kamestos et son fils, qui semblent illustrer la page névroses du DSM-5.

Dans ces paysages désolés, Cass semble se chercher, ou chercher une raison d'être. Les ennuis extérieurs vont, bien sûr, arriver, mais Miss Neary est un ennui à elle toute seule, qu'ils s'agisse de voler des médicaments sous prescription, de détourner la jeunesse inncocente du coin, ou de siffler les réserves de whisky de l'île.

Images fantômes, que l'on peut considérer comme un bon roman noir (avec toutefois un minuscule sous-entendu fantastique), est avant tout un roman d'ambiance, où tout est froid, dur, décomposé. Comme le dit notre guide dans ce monde de ténèbres, "Bleak is beautiful*", et c'est en effet une esthétique du looser que crée Elisabeth Hand avec son roman. Et, malgré l'intrigue très classique et grand public, la recette fonctionne : le personnage principal, grand point fort du livre, nous accroche et nous garde jusqu'au coeur du récit, où photographie et questions existentielles sont imbriquées.

Les nombreux détails sur les techniques et l'histoire de la photographie (et de la musique punk new yorkaise) présents dans le roman ajoutent une crédibilité supplémentaire au personnage, dont la mélancolie d'une autre époque est toujours présente. Ils sont également bien imbriqués dans le récit, et témoignent du sérieux de la documentation d'Elisabeth Hand, que j'imagine tout à fait avoir une activité de photographie personnelle (j'aimerais beaucoup, à ce titre, l'avis d'un photographe ayant déjà développé lui-même sur les quelques scènes de labo qui sont décrites, et qui semblent tout à fait réalistes).

Ce roman, édité en 2007 aux Etats-Unis sous le titre Generation Loss, a connu un succès suffisant pour qu'Hand lui donne deux suites, qui nous permettront de suivre notre photographe jusqu'à Londres. Son succès commercial explique qu'il paraisse en France chez Super 8, maison habituée de ce type de titres, certes commerciaux mais singuliers. Le livre, assez réussi, constitue dans ce domaine un chouette lucky punch**.

Résumons : si l'on a un peu l'habitude des polars et envie de changer, ou si l'on aime la photographie, l'insupportable Cass Neary devrait satisfaire.



Images fantômes, Elisabeth Hand, Editions Super 8, 2016.
---

*"Le lugubre, c'est beau"
** Le coup de poing de la chance, qui mène le boxeur au KO et à la victoire.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire