samedi 5 novembre 2016

Choses lues et vues, octobre 2016

La lumière décline, mais la raclette revient parmi nous.
L'automne, c'est le bordel.


Mon déguisement idéal pour Halloween, lunettes incluses (Tetsuo)
 Divers moments auquels j'ai assisté :
Fauchée, mais heureuse.

Fanzines ! Le festival, Paris
C'était le 15 octobre, et j'y vais depuis l'an dernier en espérant chaque fois y voir ce que le terme "fanzine" sous-entend : de la débrouillardise, de la diversité dans les formes comme dans les sujets traités.
L'an dernier, le festival était à la bibliothèque Marguerite Duras, et j'étais déjà un peu déçue par sa hipsterisation flamboyante. Mais j'y avais trouvé deux-trois trucs cools, comme un inattendu fanzine de poésie, et beaucoup de bricoles amoureusement réalisées, souvent par des étudiants en art, mais très artisanales. Cette année, le salon était à la porte de la Villette, et la transformation est achevée : seuls les artistes en recherche de professionalisation, où déjà avec des carrières en cours semblent s'être donnés rendez-vous. Les productions étaient donc très esthétiques, mais la diversité de points de vue quasi-nulle (d'autant plus que tout le monde rizographie à tour de bras dans les mêmes teintes). On se retrouvait donc avec une manifestation étonnament uniforme.
Il y avait beaucoup de small press anglaise, et de micro édition française.
J'ai quand même remarqué (et parfois acheté) des trucs, parce que je suis faible devant le joli, il faut me pardonner : le fanzine d'illustration Zuper, et son incroyable numéro sur les Mille et une nuits, une entreprise de réédition des livres pour enfants de Lev Youdine, avec à la clé un projet de livre. Il y avait aussi des représentant de la small press londonnienne Breakdown press, et une amie m'a offert Windowpane de Joe Kessler à cette occasion (il s'agit d'une expérimentation à base de nouvelles illustrées, très poétiques, dont l'une d'elle est inspirée par Italo Calvino). J'ai aussi un merveilleux tirage de Juliette Etrivert à encadrer (pour ma défense, mon féminisme primal ne sait pas résister aux grandes meufs roses avec des lazers dans les yeux).
Je suis donc loin d'être complètement négative, mais il faudrait songer à rebaptiser cet événement (art'zines! graph'zines! illu'zines! ...)

Utopiales, Nantes
Je n'avais jamais visité le fameux festival de science-fiction nantais, et maintenant je pense déjà à la session 2017. Les visiteurs qui se sont offert cette demi-semaine fantastique ont eu le plaisir d'entendre et de rencontrer un riche panel d'auteurs, de traducteurs et d'illustrateurs, de profiter de la programmation cinéma... de respirer mondes de l'imaginaire pendant quelques jours.
Parmi les conférences qui m'on particulièrement plu, je voudrais citer la conférence "Mécanismes de la SF masculine", où s'exprimaient notamment Sara Doke, Michèle Laframboise, Sylvie Lainé, et Catherine Dufour. Selon Michèle Laframboise, la SF la plus ancienne a souvent été une science fiction masculine, justement : il s'agissait de terraformer, de coloniser, de changer l'étranger en notre semblable, avec beaucoup d'action. Les héroïnes étaient peu présentes, et les jeunes lectrices contraintes à "réécrire" l'histoire pour elles-mêmes avec un personnage féminin. Si le genre est de plus en plus diversifié, cela ne s'est pas fait sans mal : Catherine Dufour pointait, dans une anthologie écrite par des femmes, des nouvelles dans lesquelles les femmes s'étaient "contraintes" à écrire "comme des hommes" pour déjouer les reproches, et Sylvie Lainé rappelait, il y a quelques années encore, la rareté des participantes aux conférences de SF. Sara Doke, optimiste, expliquait qu'un personnage féminin fort est désormais très apprécié dans les fictions. Cependant, une héroïne intéressante ne peut pas être une "wonder woman" inaccessible, ou écrite comme un personnages masculin, comme l'est par exemple Honor Harrington. Catherine Dufour se remémorait à cette occasion Yoko Tsuno, première véritable héroïne de SF française.

Charles Burns à la Galerie Martel
Dans le doute, en attendant l'ouverture du ciné dans un après-midi brumeux et glacé, toujours passer faire un tour à la galerie d'à côté. Cette fois-ci, donc, la galerie Martel présentait des dessins originaux du livre Love Nest de Charles Burns, cet auteur de BD si préoccupé de culture pop' et de cinéma 50's, au style très reconnaissable. Son dessin, à la frontière BD franco-belge-comics américain, est très rond, avec un trait large, les ombres exagérées : dans Love Nest, paru aux éditions Cornélius, le noir et blanc surprend les personnages dans des émotions et des actions étranges, et les fige dans le trouble avec des cadrages très cinématographiques. Le format carré augmente cette impression de contrôle absolu jusqu'au malaise : tous sont "enfermés" dans leur case, dans l'histoire qu'ils sont en train de vivre. Un beau mystère.

Magritte : la trahison des images au Centre Pompidou
On aime facilement Magritte d'emblée. La palette de couleurs est toujours plaisante, les représentations ont comme un air sage et naïf, et on se laisse charmer par l'humour des situations. Magritte, dans nos souvenirs d'école, c'est ce gars malin qui fait le coup de la pipe, cette fameuse qui est là et pas là tout à la fois. L'exposition du Centre Pompidou nous emmène bien au delà de cette anecdote fameuse, et nous fait soudain comprendre que Magritte n'est pas que la traduction graphique d'un concept philosophique, mais constitue plutôt une forme de chaînon manquant entre le Dadaïsme et  Duchamp. Tout en restant un artiste parfaitement accessible, dont les images ont une puissance d'évocation intacte.

Des films :
que du très bon qui fait chaud au coeur.

Tetsuo, Shinya Tsukamoto, 1989 (vu aux Utopiales)
Il est possible que j'ai oublié de respirer plusieurs fois durant ce film d'horreur expérimental, dans lequel un salaryman japonais se métamorphose peu à peu en monstre de métal. L'audace du réalisateur se voit à chaque instant, dans un noir et blanc saturé qui me rappelle l'exposition Provoke vue précédement, les scènes mémorables se succèdent sur une musique qui ne nous laisse aucun répit.
Une véritable expérience, qui ne semble pas vieillir.

Les femmes de Stepford, Bryan Forbes, 1975 (vu aux Utopiales)
Joanna, jeune photographe qui s'installe avec son mari à Stepford, est très intriguée par le traditionnalisme des épouses de la petite ville : alors que la révolution féministe est passée par là, celles-ci se complaisent dans les tâches ménagères et un consumérisme servile, toutes soumises au bon vouloir de leur mari. Après avoir tenté en vain de leur faire découvrir les mérites du groupe de parole féministe, elle enquête pour comprendre le secret de leur obéissance.
Ce film est un véritable coup de coeur : les couleurs de l'été 70's y sont chaleureuses, on y dénonce patriarcat et société de consommation, et la bonne entente des deux amies qui mènent l'enquête, Joanna et Bobby, fait plaisir à voir.
Tout cela me rappelle d'aller lire Ira Levin, mais je vais me garder ce film sous le coude.

The happiest day in the life of Olli Maki, Juho Kuosmanen, 2016
Ce très charmant film en noir et blanc, qui a reçu le prix Un certain regard, à Cannes, nous raconte comment le jeune champion de boxe de Finlande, Olli Maki, s'est préparé à combattre le boxeur américain Davey Moore, en 1962. Olli Maki, humble boulanger de Kokkola, est un garçon simple, qui aime la campagne et sa jolie petite amie. Avec ce combat très médiatisé, il se retrouve aux prises avec une conception de la boxe qui a plus à voir avec le spectacle qu'avec le noble art. Est-il encore seulement convaincu de gagner ce combat ?
Juho Kuosmanen, qui a également signé le scénario, n'a pas pour propos central la boxe, mais l'amour de la vie. Le barnum de la boxe, que l'on retrouve immanquablement dans tous les films de genre (la pesée, l'entraînement, les tractations financières...) sont toujours démontées au filtre de la réalité, et les deux figures d'Olli Maki, le boxeur qui voulait juste se marier, jeune homme de l'extérieur, et de son manager, déjà très américanisé et souvent filmé en intérieur, sont sans cesse opposées selon un mécanisme très simple, mais qui fonctionne. On apprécie également la tendresse du réalisateur, qui aime ses personnages et n'est jamais trop dur avec eux : le manager est ambitieux certes, mais c'est également un homme qui aime sa famille, la jolie fiancée est compréhensive, et l'adversaire, dans la même galère, est un homme plutôt solitaire.
La dernière scène est particulièrement touchante.

Captain Fantastic, Matt Ross, 2016
Le propos de Matt Ross est le suivant : peut-on lutter contre la société, et élever des enfants en complète autarcie, avec ce que l'on estime être le meilleur bagage culturel ? Et doit-on le faire ? Dans Captain Fantastic, Ben, le personnage interprété par Viggo Mortensen, astreint avec amour sa bande d'enfants à une routine quasi-martiale, et "pour leur bien", leur enseigne musique, littérature, chasse, escalade, philosophie... Un véritable idéal américain, que n'aurait pas renié Thoreau. Lorsqu'un drame familial se produit, il est contraint de confronter les enfants à la vie moderne.
Ce qui fonctionne, avec ce film plein d'enthousiasme, c'est tout d'abord l'incroyable vivacité des comédiens, Mortensen et les enfants, mais également le jeu double de cette éducation fantasmée, qui incarne un idéal face à la décadence culturelle américaine qu'on nous montre, mais dont le double tranchant est nettement visible : si Ben fournit des armes intellectuelles à ses enfants, il ne les prépare pas à des interactions normales avec leurs contemporains, et en fait donc immanquablement des freaks, ce dont son épouse semble avoir conscience.
La toute-puissance du parent est très vite problématique; Ben met ses enfants en danger, et on comprend tout à fait la réaction des beaux-parents qui souhaitent les protéger. Mais si le drame n'est jamais loin, la belle harmonie de cette famille permet une finrelativement optimiste, et un joyeux moment de cinéma.

Des livres :
Un vrac inracontable. J'essaye quand même.

Un éclat de givre, Estelle Faye
Pendant que les anglos sortent des livres à tour de bras en traduction, les français écrivent aussi : cette rêverie utopique d'Estelle Faye, publiée chez les Lyonnais des Moutons Electriques nous présente un beau héros, chanteur de jazz travesti, que l'aventure vient chercher dans un Paris post-apocalyptique d'autant plus romantique qu'il est couvert de lierre et strictement végétarien. Aucune réflexion trop profonde ne vient nourrir ce récit dont le matériau est avant-tout le plaisir esthétique : de la musique, tout d'abord, mais également de la beauté de ce Paris de décor peint (je crois avoir lu que l'auteur est familière avec le monde du théâtre, et cela se sent nettement), et de la sensualité des personnages et de l'écriture. Une fantaisie légère comme la mélodie qu'on fredonne le soir, en rentrant par le Pont-Neuf.

La fille automate, Paolo Bacigalupi
Il est compliqué de parler en passant de Paolo Bacigalupi, parce que son travail est dense et enthousiasmant. J'y reviendrai donc, mais je voulais juste résumer ce premier roman, qui se passe dans un futur de changement climatique où des sociétés à la Monsanto contrôlent l'alimentation, où les sociétés développées d'hier sont celles qui produisent des migrants, et où un robot de confort japonais est ce qui s'approche le plus de l'humanité. Le livre est un peu long, mais l'univers dans lequel il nous emporte est particulièrement détaillé et solide, chaque protagoniste donnant l'occasion d'une réflexion sur les réactions humaines face à l'adversité.
Tout se passe dans une Thaïlande futuriste qui semble devoir beaucoup à l'amour de Paolo Bacigalupi pour l'Asie, où il a vécu ses premières expériences professionelles, et ce dépaysement bienvenu est rafraîchissant après ces centaines de romans dont le propos concerne uniquement l'occident.
Bien qu'en interview, l'auteur désavoue régulièrement ce premier livre, dont il voit trop les défauts, celui-ci reste tout à fait appréciable, et on y trouve bien les particularités de Paolo Bacigalupi : des personnages, forts ou fragiles, aux prises avec leur survie dans un monde instable et implacablement cruel, dont les destins s'entremêlent.

La culture en clandestins, L'UX, Lazar Kunstmann
Cet exotique témoignage conte une aventure qui se joue dans les sous-sols parisiens, dans les tours oubliées des bâtiments classés, partout où l'Etat a oublié de veiller à la sauvegarde de son patrimoine. Là, à l'abri des regards, les mystérieux Untergunther, ou leurs camarades de la Mexicaine de Perforation, mobilisent leurs connaissance culturelles pour réparer les dégâts et/ou faire revivre le passé. De la célèbre restauration de l'horloge du Panthéon en passant par l'épisode du cinéma des souterrains du Palais de Chaillot, les habiles membres de ces groupes jouent avec l'administration, la RATP et l'Inspection Générale des Carrières avec un mauvais esprit réjouissant, digne des héritiers d'Arsène Lupin ou des Gaspards de Pierre Tchernia.
Le livre, écrit par un ancien porte-parole des deux mouvements, revient sur la genèse du mouvement, autour des carrières parisiennes dans les années 80, et se termine au tribunal, avec l'abandon de la plainte suite à la fameuse affaire du Panthéon.

Et je clos octobre avec cette phrase, entendue chez un prof de cinéma très apprécié : "C'est une belle chose que de se laisser impressionner par le monde, mais au bout d'un moment il faut agir ! L'anima c'est très bien, place à l'animus !"
Sur ces joies Jungiennes, vive novembre.

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All the murmuring bones, Angela Slatter

C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...