Comme l'automne me met de mauvaise humeur, retour aux classiques, avec le parfait roman de maison hantée de Shirley Jackson.
The haunting of Hill house a été publié aux Etats-Unis en 1959, c'est l'avant-dernier roman de Shirley Jackson à être édité de son vivant. Il est traduit une première fois à la Librairie des Champs-Elysées en 1979 sous le titre Maison Hantée, et régulièrement réédité, notamment sous le titre Hantise en 1999, pour accompagner la sortie du mauvais film de Jan de Bont. C'est de cette édition dont je parlerai, car c'est celle que je fréquente depuis un bon nombre d'années. Le texte est traduit par Dominique Mols.
On considère souvent qu'Hantise est l'un des meilleurs romans de maison hantée du vingtième siècle (je suis absolument d'accord*). De nombreux auteurs s'en sont inspirés, dont Stephen King, qui en parle avec passion dans Anatomie de l'horreur.
"Aucun organisme vivant ne peut connaître longtemps une existence saine
dans des conditions de réalité absolue. Les alouettes et les sauterelles
elles-mêmes, aux dires de certains, ne feraient que rêver. Hill House
se dressait toute seule, malsaine, adossée à ces collines. En son sein,
les ténèbres. Il y avait quatre-vingt ans qu'elle se dressait là et elle
y était peut-être encore pour quatre-vingt ans. A l'intérieur, les murs
étaient toujours debout, les briques toujours jointives, les planchers
solides et les portes bien closes. Le silence s'étalait hermétiquement
le long des boiseries et des pierres de Hill house. Et ce qui y
déambulait, y déambulait tout seul."
C'est avec ces premières phrases que s'ouvre l'aventure du Dr Montague, chercheur décidé à prouver l'existence du surnaturel en faisant résider dans une maison réputée hantée quelques invités "sensibles" aux puissances magiques. Son choix s'arrête sur Hill House, vaste demeure du XIXe siècle, isolée au coeur des collines, et dont nul locataire n'est resté plus de quelques semaines.
Il a pour invités Théodora, artiste un peu bohème, Luke, futur héritier de la demeure, et Eléonore, jeune femme fragile et timide, qui a jusqu'à ce jour vécu très isolée, et deviendra le personnage central du récit.
Hill House, nous le savons très vite, est "abominable": son concepteur a fait varier les angles de quelques degré dans la construction, donnant une permanente sensation de malaise, certaines pièces sont sans fenêtres ou inexplicablement froides, et les portes se ferment toutes seules.
La nuit, s'y produisent toute sortes d'évènements troublants qui mettent à rude épreuve les nerfs des quatre invités, et plus particulièrement ceux de la délicate Eléonore.
Comme le dit Stephen King, auteur lui aussi d'une histoire de maison hantée avec le célèbre Shining, la peur la plus forte est provoquée par l'ignorance, et l'imagination laissée sans brides (ce que savait aussi Goya, pour ne pas se priver d'un lieu commun).
Dans Hantise, on ne voit rien qui ne puisse être expliqué par les potentielles faiblesses psychologiques des quatre invités : ils sont persuadés qu'il doit se passer quelque chose, et il se passe quelque chose. Cependant, une fois la crise passée (des coups sur les portes, des ricanements, ou des visions inquiétantes...) rien ne subsiste pour prouver la réalité de l'attaque, et la fragilité des témoins est mise en avant.
Hill House donne à l'écriture très maîtrisée de Shirley Jackson un contexte à sa mesure : comme les couloirs de la maison, comme la psyché de la très angoissée Eléonore, ses phrases sont pleines de tours et de détours subitement inquiétants.
Shirley Jackson utilise une langue très simple, presque enfantine, avec de multiples répétitions, qui donnent à l'histoire son aspect inquiétant, comme si quelque chose d'autre que soi ruminait les pensées que l'on est en train d'avoir.
La gradation dramatique évolue en quelques jours, et en à peine 250 pages : dès les premiers instants du récit, le lecteur se doute qu'Hill House est hantée, et les premiers évènements se produisent très vite. L'arrivée de deux nouveaux personnages, au deuxième tiers du récit, des "sceptiques" est ici plus bienvenue que dans Le cadran solaire : ils permettent de renouveler l'intérêt du récit en soutenant la thèse de la partialité des témoins, en apportant une touche d'humour, et offrent un court répit dans l'escalade des phénomènes.
L'auteur, comme je le disais plus haut, nous permet d'entrer dans le récit en nous faisant sympathiser avec Eléonore, petit personnage pitoyable (que l'on prend en pitié), et qui semble partager avec elle de nombreux points communs, dont sa façon de se mettre au service des autres (et d'une mère tyrannique) ainsi que ce désir de s'émanciper.
Eléonore est parfaitement écrite, dans ses angoisses liées à la fréquentation d'étrangers comme dans ses réactions aux manifestations surnaturelles, et c'est sur elle que repose une bonne part de la réussite du roman. Grâce à ce narrateur dont les troubles intérieurs semblent peu à peu envahir le récit, il sera finalement impossible de déterminer si une force surnaturelle est bien à l'oeuvre à Hill House.
Le roman est à ce titre l'héritier des romans gothiques du XIXe siècle, auquel Shirley Jackson applique ses obsessions personnelles.
Enfin, dans Hantise, les différents niveaux de narration et d'interprétation se percutent : le roman d'ambiance est ponctué d'actions violentes, le récit d'exploration se réduit à un seul lieu, le réel et les fantasmes de l'inconscient se rencontrent sans cesse, et les phrases elles-mêmes sont à double entente, leur interprétation finale laissée au lecteur.
Pour conclure, j'aime particulièrement ce roman -dont je prête volontiers ma vieille édition- d'autant plus qu'il est court, particulièrement efficace, et qu'il imprègne l'imaginaire de nombreux récits fantastiques qui l'ont suivi. L'adaptation cinématographique de Robert Wise, de 1963, très fidèle à l'esprit du roman, est tout à fait recommandable.
Hantise, Shirley Jackson, Pocket, collection terreur, 1999.
(une réédition sous le titre La Maison hantée est prévue chez Rivages pour début novembre).
---
* Si tu as un autre livre à me conseiller pour ce titre envié, cite-le dans les commentaires, je te prie, et je le lirai. Et je serai contente.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
All the murmuring bones, Angela Slatter
C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...
-
C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...
-
La Volte nous avait laissé en 2017 avec David Calvo et Toxoplasma, une Commune Montréalaise apocalyptique et effervescente, et nous récupère...
-
Alors que le Finnish Weird connaît chez nous une célébrité grandissante, j'ai profité de mon été pour lire Lumikko, livre dont le titre ...
Si jamais, j'ai beaucoup aimé "L'indésirable" de Sarah Waters (pour les romans de maison hantée du XXe siècle)(même s'il est du XXIe plutôt)(mais on va faire comme si). Et "La maison des feuilles" de Danielewski, bien sûr (encore XXIe)(j'ai du mal avec les siècles je pense)... Oh, et "Locke & Key" en BD, par Joe Hill (oui, j'abandonne l'idée de faire semblant de donner des titres du XXe).
RépondreSupprimerCachou
Merci pour les conseils ! J'aime beaucoup le style de Sarah Waters, je n'ai pas encore lu Danielewski (qui est sur ma liste depuis un moment pourtant), et je ne connais pas du tout Locke & Key : je vais aller voir !
Supprimer