jeudi 17 mars 2016

Les anges radieux, William T. Vollmann

Haydy-Hoo, Howdy-Hey dit la cow-girl en chemise noire.
J'ai lu ce truc, auquel je n'aurais peut-être pas accordé un regard (en tout cas, pas tout de suite), sous la forte incitation de la fille qui n'aimait rien.
J'aurais pu lire du Vance, du Tosches, et un petit Léo Henry que je me garde sous le coude à la place, mais elle m'a demandé régulièrement si la lecture de ce cauchemar littéraire avançait, alors j'ai pris une grande inspiration, et j'ai plongé dans ces foutues 800 pages.
La curiosité tue les chats et réjouit les bibliothécaires, sans doute.
Donc, Willie T., c'est cet auteur-journaliste qui aime les phrases à rallonges et les romans si denses qu'ils pourraient être classés comme arme contondante par la préfecture de police. Il est vénéré dans son pays, et aimé dans le notre pour Les Fusils, et La Famille royale (en tout cas, les gens qui ont des lettres citent ces deux assez naturellement).
Actes Sud, qui est son éditeur attitré chez nous, a publié en janvier cet indubitable enfer de lecture que constitue son premier roman, un truc paru en 1987 et qui a valu à Vollmann un prix.
C'est le seul bouquin de ce monsieur au visage lunaire qu'on pourrait éventuellement classer dans le genre, si ça peut expliquer.



Ce qu'il s'y passe en synthèse : on y suit un auteur qui lutte au fil du roman avec un certain "Big George" (évocation divine ? conscience de l'ordinateur ? inconscient de l'auteur?) pour la survie de ses personnages, les fameux "bright and risen angels" du titre, qu'il prétend aimer mais aime surtout maltraiter. Lesdits angels sont au coeur d'une lutte, que l'on va suivre tout au long du 20e siècle, entre deux factions pour la domination du monde : les insectes, et les "programmeurs", vaillants scientifiques au service de l'électricité et de la technologie, ces seconds menés par les affreux M. White et Dr. Dodger, superbes personnifications d'une forme d'impérialisme américain, ou au minimum d'un pouvoir sans vergogne et sans morale. Alors que les différents épisodes très inspirés de la pop culture (Conquête de l'Ouest, Maltraitance scolaire, Love Story qui se délite, licenciements chez les yuppies... tout cela constitue le portrait d'une Amérique de cauchemar) pourraient nous laisser soutenir le camps du Bien, ou imaginer qu'un camps représente le Bien, Vollmann insiste sur la folle aliénation de ses personnages dont les choix, des deux côtés, ne sont fondés finalement que par leurs troubles intérieurs et leurs histoires personnelles, tandis que les deux camps ne sont que des choix dérisoires.
C'est un roman sur la désillusion, par quelqu'un qui avait pile l'âge de comprendre ce sentiment quand il l'a écrit.

Cela sur 800 pages, avec un style inégal qui peut être superbement évocateur (scène de la jungle au début, comme un luxuriant cauchemar éveillé), implacablement cruel (maltraitance enfantine et émotions à vif), ou insupportablement ennuyeux (souvent, et non, je ne le relirai pas pour pointer les passages). On sent dans son style l'influence de l'écriture beat (il a des phrases qui évoquent un Thompson très, très, fort, sans toutefois sa délectable virtuosité rythmique et quasi-musicale).
Là où d'autres donnent à leur style l'apparence d'un scat littéraire, Vollmann nous englue dans un fleuve plein de méandres insupportables et douloureux ne mêlant volontairement nulle part (comme la vie ? Comme la vie), une sorte de Yang Tsé pollué et sale où les dauphins sont destinés à mourir.
Ces personnages que l'on prend en pitié sans les aimer, que l'on méprise doucement, autant que leur auteur, et qui mourront ou pas, sans qu'on s'en préoccupe et sans que cela fasse sens.
Ces gens brisés qui font des choix brisés et qui essayent de se convaincre qu'il y a une forme d'idéalisme derrière.

Le cynisme du jeune Vollman de 27 ans est invraisemblable, et exsude du texte : ce qu'il nous raconte, ces renonciations glauques, ces mesquineries du quotidien, c'est ce qu'on ne nous raconte pas d'habitude, ou pas sans essayer de donner un sens aux épreuves. Là, en lisant le compte-rendu des blessures de nos personnages, notre subconscient murmure d'une voix perverse "ah, comme dans la vraie vie..." Ce qui me fait positionner Vollmann est dans la continuité d'un Steinbeck, dans l'écriture de la laideur du monde.

Ce que je pense de ce Léviathan, c'est que j'ai souffert -vraiment souffert- à la lecture. Que j'aurais bien aimé arrêter. Et que je l'aurais sans doute fait sans les incitations régulières, pour me replonger tranquillement dans un truc moins difficile.
Mais voilà, on a eu le temps de débriefer cette horreur polymorphe entre nous pendant à peu près deux heures, j'ai fait quelques recherches pour contextualiser. Et tout cela m'a permis de remettre en perspective mon expérience.
Parmi ces avis et recherches je retiens les éléments suivants auquel je souscris : la lecture ne fait pas toujours plaisir, et celle dont on retire le plus est souvent celle qui demande également le plus de nous-même (bien sûr, bien sûr, me diras-tu, mais tu sais : j'avais oublié, je lisais Jack Vance et je croyais que c'était les vacances). La manière de Vollmann maltraite narration, personnages et lecteur porte un nom, littérature post-moderne (mention à laquelle le lettré soupire, oui, mais c'est si artificiel cette étiquette : elle est pratique, en tout cas, pour comprendre les métamorphoses à l'œuvre dans l'écriture du XX-XXIe siècle). Il y a plusieurs façons de raconter, et de lire un récit : au premier degré ("A midi, on m'a jeté à bas du chariot de foin"), et au second, troisième, et tutti : le lecteur est conscient, et plus actif, l'auteur lui jette des cacahuètes et/ou des chausses-trappes, et ça, là, ces deux kilos cinq de bouquin, c'en est. Il va falloir creuser ça.

Alors, au final, que pensé-je des "Anges Radieux" ? Que c'est l'enfer. Que si tu aimes la SF, ou le roman classique, tu ne vas pas t'engager dans ce margouillat noir et froid comme le café de la veille. Que si tu t'intéresse aux petits arrangements des auteurs modernes avec le récit, il y a peut-être d'autres lectures qui ne feront pas aussi mal.
Mais voilà, ce sale Vollmann, que je n'ai pas aimé, pas aimé, pas aimé, et bien c'est de la littérature.
Après, le retour au roman traditionnel est comme trop sage, trop normal. On comprend tout. Les personnages se comportent comme tel et c'est énervant, parce qu'à quoi bon, en fait.
Tout est gentil, rassurant et décevant.

Peut-être que je ne lirai plus jamais de Vollmann. Peut-être que j'en lirai d'autres.
Mais cette sensation, là, si déplaisante, si stimulante, je vais la rechercher. Parce que je ne crois pas que la littérature (en tout cas celle qui m'intéresse) soit polie, ni même qu'elle doive l'être, tout comme je ne croie pas que l'art où la musique le sont. J'ai plus confiance dans le bordel, les états transitoires et les bactéries.

Les anges radieux / William T. Vollmann, traduit de "You bright and risen angels : a cartoon" par Claro, Actes Sud, 2016.

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