Hey, voilà c'est mars, à la fenêtre une giboulée de petits grêlons fond au soleil, je suis à la bourre de tout mais c'est comme ça que la vie a du goût, bonjour.
Des trucs de début 2016, et beaucoup d'expositions :
Faire le mur : quatre siècles de papier peint (Musée des Arts décoratifs).
Il faut rendre service aux profs d'arts plastiques, ça vaut des invit' cools des fois. Là, devant mon aveu public de fanatique du motif, je me suis vu offrir le passage vers cette rétrospective des très riches collections du Musée des Arts Décoratifs.
Alors oui, tu vas me dire.
C'est un étage complet de chutes de papiers peints.
Mais c'est par la rencontre de toutes époques et de toute couleurs que naît l'intérêt visuel. C'est l'occasion d'offrir à ses yeux toutes époques graphiques, des William Morris fleuris psychédéliques, des papiers peints panoramiques enveloppant l'œil d'un mur à l'autre... L'œil, de lui même, identifie les motifs et les dates, et aimerait reconstruire un décor, malheureusement complétement absent, autant que le texte explicatif contextualisant l'ensemble. Le souci, c'est que le papier peint, présenté ainsi seul, pour électrisant qu'il puisse être, est quand même assez peu porteur de sens en dehors de son rôle esthétique : cette exposition est vraiment pensée pour le fanatique de graphisme, et nous en met plein la vue. Pile ce qu'on aimerait pouvoir avoir chez soi : des murs complets de surimpressions de couleurs luxuriantes*.
Pour les autres, je l'avoue, c'est un étage complet de chutes de papier peint.
I love John Giorno, installation d'Ugo Rondinone, Palais de Tokyo
Où, donc, l'on a reparlé de cet inconnu chez nous, le poète américain John Giorno. La mise en scène très visuelle était de Ugo Rondinone, artiste contemporain Suisse spécialisé dans la performance filmée (et on comprend donc un peu qu'il aime John Giorno, qui aimait tout autant la caméra).
De salle en salle, on assistait à quelques performances de John, à tous les âges : de la très émouvante performance poétique célébrant ses 75 ans, à l'une de ses premières vidéos, où, beau jeune homme, il était filmé nu, dormant, par Andy Warhol. Le tout intercalé de morceaux de poèmes audacieux, révoltés, libidineux, et de vestiges illustrant sa prodigieuse carrière, et sa vie tumultueuse.
A cette occasion, voilà ce que je retiens de John Giorno, dont les mémoires s'intitulent très à propos You got to burn to shine : à travers ses poèmes volontairement matérialistes, jouisseurs et pleins d'un humour sarcastique, il me semble qu'il avait touché une certaine vérité cruelle de son époque, et que les répétitions nombreuses dans ses poèmes, qui peuvent sembler un artifice facile, sont avant tout la marque d'un étouffement, d'une surexcitation, d'une surabondance de tout.
Ecouter les poèmes de Giorno peut être douloureux tant ce qui est reflété est problématique, et c'est une bonne part de ce qui me plaît chez lui.
Pour le reste, chez ce viveur qui assume les excès les plus graphiques, se trouve également une vraie sensibilité poétique (que même toi, qui comme moi n'a pas lu de poésie depuis Rimbaud, saura reconnaître). Prononcés, ses écrits acquièrent par la voix une dimension sensuelle supplémentaire, dont il aura joué via le dispositif dial-a-poem (un numéro à appeler pour entendre de la poésie), ou les disques de poésie lue qu'il aura édité.
En conséquence, j'aime John Giorno, moi aussi.
Chandigarh, 50 ans après Le Corbusier / Cité de l'Architecture et du Patrimoine
Surprise : cette exposition, de taille modeste, calée au niveau moins 2 de la Cité, là où on penserait plus à conserver ses bouteilles de Morgon, et à laquelle un billet de cinq euros permettait d'accéder, constituait cependant l'une des plus belles scénographies de ce début d'année.
Je m'explique.
Il s'agissait de comprendre l'évolution de la ville de Chandigarh (sorte de ville nouvelle Indienne, crée de toute pièce par Le Corbusier, Jeanneret, et un groupe d'architectes indiens associés) après 50 ans de fonctionnement : quels usages perdurent ? Quels utilisations ont disparu ? Pour cela, on aurait pu imaginer une expo-dossier pleine de plans et de photos, un truc indigeste que seul un architecte aurait pu apprécier. Mais le choix a été celui de la perspective sociologique : des heures de documentaire ont été tournés dans les rues, puis dans les logements et les bâtiments publics, mêlant à la contemplation esthétique l'aspect humain, et transformant cette nourriture intellectuelle en spectacle sensible : ces vidéos, projetées sur de très grands écrans, couvraient la totalité d'un mur, et devant chacune se trouvait des fauteuils confortables conçus par Le Corbusier pour la ville. Outre ce visuel très englobant, les audios se mêlaient librement, chants d'oiseaux, interviews, circulation automobile, pour recréer le pouls de la ville. A l'autre extrémité de la salle, maquettes, plans et explications se succédaient, secondées par des dispositifs multimédia thématiques (terrain occupé, difficultés rencontrées, futur de la ville...) De ce spectacle enthousiasmant conjuguant architecture, urbanisme et être humain, le spectateur ressort dépaysé.
Et l'œuvre du Corbusier alors ?
Je crois que le mieux, ce serait d'aller nous rendre compte par nous-même.
Visages de l'effroi / Musée de la vie Romantique
Le 19e, siècle sanglant, où l'on se sort de la Révolution Française et des guerres Napoléoniennes pour tomber dans le Gothique, le surnaturel, et le morbide. N'y aurait-il pas un lien de cause à effet ? C'est la thèse de cette exposition du Musée de la Vie Romantique, qui aura été une occasion de voir des files de pompiers traditionnellement conservés dans les Musées des Beaux-Arts de province, sur des sujets plus ou moins douteux. Il me semble que la liaison intellectuelle entre ce premier sujet et la passion populaire pour le faits divers (deuxième partie de l'exposition) était très lâche. Bien sûr, le musée de la vie romantique est un petit musée, et je ne sais pas précisément ce que j'attendais de cette exposition. Cependant, si j'admire parfois la maîtrise technique des peintres pompiers, j'ai moins de goût pour leurs esquisses, croquis, et travaux préparatoires, en très grand nombre cette fois, sans que le secours de cartels expliquant leur intérêt ne vienne m'éclairer. J'ai appris qui était Fingal, et c'est déjà pas mal.
Le grand partout / William T. Volmann
Où l'on découvre que le grand auteur, quand il n'est pas en train d'écrire, joue les hobos dans les trains de marchandise traversant les US. Un peu comme quand les urbains que nous sommes se lancent dans l'exploration de ruines industrielles, ou vivent le grand frisson sous Paris, en somme. Mais Volmann est honnête dans sa démarche : il sait bien, lui, qu'il a le confort d'une maison et d'une vie rangée qui l'attend, et avec la facilité d'abord qui le caractérise, il entretient des relations plus ou moins suivies avec de nombreux hobos, bien conscient de leurs conditions de vie. Il est également touchant lorsqu'il se dépeint, vieillissant, insistant pour continuer ses périples alors que son corps le ralentit et l'handicape. Ce livre n'est probablement pas un des immanquables de l'auteur, mais il témoigne du mythe du hobo américain à sa manière.
Hommage à la Catalogne / George Orwell
Le futur auteur de 1984, parti enquêter sur la guerre d'Espagne en tant que journaliste, s'engage au POUM (Parti Ouvrier d'Unification Marxiste) et débarque tout frais dans un Barcelone révolutionnaire.
Nous sommes en 1936, et pendant plus de 6 mois, Orwell vit de l'intérieur la guerre civile. Il découvre l'humanité de son ennemi, et se retrouve à tirer en priant pour ne pas toucher. Il fait l'expérience de la propagande politique. Son idéalisme de départ est douché peu à peu par la prise en tenailles totalitaire de la guerre (entre Franco et le communisme Stalinien), et cette expérience fondatrice constituera le fondement de ses réflexions pour 1984.
Le casse du continuum / Léo Henry
Pour un bon Léo Henry, il faut des ingrédients de qualité, un shaker et quelques glaçons.
Ce cru comporte donc une bonne mesure de Ocean's eleven, un doigt de Space Opera, et un remords de Guet-Apens. C'est cinématographique en diable, et on se retrouve à caster ses acteurs préférés dans les rôles titres. La pression ne retombe jamais, il faut rusher sa lecture jusqu'à la dernière rasade pour être satisfait, et pourtant à déguster, c'est un plaisir.
Agiter au shaker, servir glacé dans un verre à Margarita.
Pour conclure, j'allais te parler de Raylambert, gentil illustrateur des 30's. Et puis j'ai décidé que non, j'allais plutôt terminer avec un de mes illustrateurs préférés, BlexBolex. Je me doute que tu n'es pas étonné, parce que tu connais son style sérigraphie 50's dopée au fluo, et que dans tes étagères il y a le Ken Kesey Et quelque fois j'ai une grande idée, qu'il a illustré. Oui, moi aussi j'aime.
Et parmi sa fabuleuse production (tout est top, et si tu as des cadeaux jeunesse à faire je te conseille l'Imagier des Gens ou Romance, deux petits chefs d'œuvre graphiques), j'ai plus précisément choisi d'aborder mon Graal personnel, le classique de la cuisine française sur lequel j'ai appris vers 7 ans à faire des crèmes anglaises, j'ai nommé Je sais cuisiner, de Ginette Mathiot. Le gros ouvrage est un classique affreusement moche, et Saint Gordon Ramsay sache pourquoi, c'est uniquement en Angleterre que Phaidon l'a fait illustrer par BlexBolex, ce qui lui a valu le surnom envié -donné par moi-même- de "plus beau livre de cuisine du monde." Alors voilà, si un jour c'est mon anniv' et que tu ne sais pas quoi offrir, I know how to cook, je pense que ça peut le faire. En échange, je te ferai une île flottante, je suis hyper douée pour les îles flottantes.
Et hop, mars !
* en tout cas, chez moi. Mon rêve, ce serait un truc décadent à la jonction entre des murs lépreux couverts de graffitis 90's et un intérieur à la Tony Duquette. Ou un shabby chic cyberpunk comme dans les intérieurs de Blade runner, tu vois ? Drama is cool, dirons-nous. Fin de l'instant Elle déco.
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