jeudi 3 mars 2016

Succession, Scott Westerfeld

Chroniqué par Alice Abdaloff, dont les goûts ne sauraient être remis en question, Succession est un roman de SF brillant où l'on suit en fractionné trois excellentes séquences narratives : dans le présent, la bataille spatiale acharnée que mène un commandant de vaisseau contre une intelligence artificielle auto-baptisée Alexandre ; en parallèle mais à des milliers de kilomètres, les choix politiques de son amante, importante sénatrice d'un Empire où l'on a vaincu la mort par d'étranges et mystérieuses méthodes ; et enfin, dans le passé, leur rencontre et les débuts de leur relation dans la fabuleuse maison intelligente de la sénatrice.

L'argument central de ce gros roman est dans l'utilité de l'évolution et l'acceptation de la mort : que se passe-t-il lorsque des gouvernants deviennent immortels et n'évoluent plus ? Si un Empire perdure des siècles, immuable, quand tout bouge autour de lui ?
Cette question fondamentale est étayée par de nombreux emprunts à la philosophie orientale, visibles (multiples extraits de Sun Tsu) ou plus discrets (l'organisation de la Cour me semble devoir beaucoup à la Chine Impériale, et le code d'honneur militaire au Japon).



Succession est bon, parce que les personnages sont fouillés, imparfaits et pourtant soumis à des situations difficiles qui les conduisent à définir ce que sont leurs valeurs et à se mettre en péril pour elles.
Cette mise en danger éthique est l'un des propos du roman, qui réussit à le traiter sans trop de manichéisme.

On saluera également cette performance qui consiste à alterner les angles de prise de vue (j'utilise à dessein ce terme cinématographique, qui reflète le côté visuel des scènes), et mêler combats galactiques biens menés (le combat galactique est envisagé comme une variante à 360° du combat naval), scènes d'actions rythmées, et moments intimes crédibles et touchants.

Il me semble également important de souligner la gestion qui est faite des intelligences artificielles, qui n'ont rien à envier aux hommes, dont elles sont les égales en matière d'importance dans le récit.
Cette position est assez inhabituelle : il me semble avoir lu bien plus de romans où l'IA, qu'elle soit humanoïde ou non, est soit un élément de décor exotique sans influence réelle sur le récit* (on aurait pu la remplacer par un tout autre personnage sans pour autant modifier la trame narrative), soit un personnage secondaire, qui peut être fascinant, digne d'intérêt, mais qui finalement restera étranger et mystérieux : on saura peu de ses combats, rien de ses pensées ou de ses émotions, et on le voit à vue d'homme. Ce n'est pas le cas ici, et les IA sont de véritables personnages, à placer sur un plan d'égalité avec leurs contreparties humaines : qu'il s'agisse du stratège Alexandre ou de la brillante et touchante Maison, dont le seul objectif est de faire la fierté de sa propriétaire en déployant sa prodigieuse intelligence à son service.

Westerfeld traite d'ailleurs de la même manière l'essentiel de ses personnages : qu'il s'agisse d'extra-terrestres zélotes religieux, ou de robots, il s'intéresse à leurs motivations, à leurs failles, à ce qui fait finalement leur humanité.

Bien évidemment, il s'agit ici de science-fiction, et il faut donc accepter le prix de ces quelques pages où, plongé dans un univers inhabituel, on ne comprend rien, nos références s'avérant inapplicables. Il faut également accepter la construction en trois temps du récit, qui peut sembler artificielle et rigide. Elle constitue pourtant la seule respiration quand le récit enchaîne actions violentes et questionnements éthiques, dans un univers hostile de bien des façons, et révèle sa valeur lors du final du roman en permettant l'invocation d'une fatalité tragique.
On pourra également se laisser décourager par l'ambition de l'univers dépeint, qui contraint Westerfield à ne pas s'apesantir sur le fonctionnement de l'Empire pour ne pas nuire à l'action : le lecteur en obtient donc des coup d'oeils partiels, plus ou moins informés selon le point de vue du personnage, et doit accepter de ne pas tout connaître. Ce parti-pris est assez inconfortable quand on en vient à la place des immortels dans la société, et un peu dommage dans la mesure où ce questionnement métaphysique est au coeur du roman.

Mais une fois ces prix payés, Succession est un très bon roman, qui parvient à balayer une multitude de problématiques contemporaines tout en restant captivant.

 Succession, Scott Westerfeld, traduit par Guillaume Fournier, Pocket, 2012.

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* je suis preneuse de toute suggestion de lecture/film/série sur la question (et ai bien noté de lire L'IA et son double, autre roman de Scott Westerfeld sur le même thème).

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