dimanche 6 septembre 2015

La voix du feu, d'Alan Moore

Parlons de ces livres qui te tombent dans les mains par hasard, et qui vont un petit moment devenir des mètres-étalons à l'aune desquels tu jugeras tes autres lectures. Dans mon cas, il y a eu la rencontre avec le recueil de Gaiman, Miroirs et fumées, pendant mes études, et c'était fort. Un livre que j'ai tellement prêté qu'il est tout jauni, déformé, et ne ferme plus, mais qui a représenté pour moi un souffle d'air frais dans la manière dont j'estimais qu'on pouvait raconter une histoire, ou dépeindre un personnage. Longtemps, je n'ai pas su diriger mes goûts, et mes rencontres littéraires tenaient souvent de la serendipité brute. Cela ne m'arrive plus si souvent, mais parfois, en me baladant dans les rayons d'une librairie bien tenue, je plonge la main dans un rayon et j'en sors avec d'inattendues merveilles.
Et cet été, La voix du feu, initialement édité en France chez Calmann-Lévy, en collection Interstices en 2008, et réédité en poche ce printemps dernier.

Alan Moore, scénariste de Bd légendaire (V pour Vendetta, Watchmen, La ligue des gentlemen extraordinaire, From Hell... j'en ai le tournis rien que de les citer) a donc écrit sur sa ville, Northampton.
Bien que l'ensemble soit envisagé par Moore comme un roman dont le personnage est Northampton, il me semble plus commode de décrire la chose comme un recueil de textes dont les histoires marquent des étapes dans 6000 ans d'histoire de cette ville, de moins 4000 ans av. J. C, aux années 90.
De multiples voix, donc, se pressent aux portes pour conter leur histoire, et chaque nouvelle est plus impressionnante que la précédente dans son style et dans son traitement narratif.
La nouvelle qui ouvre le recueil nous met aux prises avec un enfant handicapé, vers moins 4000, qui perçoit le réel de manière étonnante, a une construction lexicale déroutante (sa pensée progresse par images désordonnées, lecture aussi stupéfiante que dure à suivre), et se retrouve menacé par une forme de magie rituelle, inaugurant le motif mystique du feu, qui va parcourir le récit.
On se retrouve plus tard à poursuivre un étonnant morceau de polar poétique, au narrateur inhabituel, comme ce sera le parti pris de Moore tout au long du récit, enquête boueuse et froide dans les brumes de l'Angleterre pré-Romaine.
On rencontre un enquêteur Romain, pistant de faux monnayeurs alors que l'Empire s'effrite, une vieille et sainte Sœur affligée de visions mystiques, deux émouvantes sorcières sur un bûcher qui vient d'être allumé, un crâne encore animé de raison qui veille à l'une des portes de la ville, des fous, des malades libertins et enfin, le narrateur lui-même, qui conclut le récit par l'expérience personnelle d'un mythe local.
Je ne rentre pas dans les détails, parce qu'il faut lire La voix du feu, et que je ne veux rien en gâcher.

Mais voilà ce qui m'a émerveillée dans le travail de Moore : sa science du récit qui lui fait toujours choisir l'angle le plus inattendu et le plus déroutant, l'humanité avec laquelle il explique les comportements parfois monstrueux de ses personnages, et sa recherche permanente du style, qui colle au récit raconté, de la bouillie syntaxique du premier récit à l'écriture précieuse d'un récit libertin qui tourne mal.
Une telle maîtrise est si réjouissante, si satisfaisante, que j'ai parfois ralenti ma lecture pour revenir à certains paragraphes, et que lorsqu'il me sera rendu (car lui aussi -comme le Gaiman avec lequel il me semble partager quelques caractéristiques, tout en étant plus ambitieux, plus abouti- est déjà prêté), je le relirais avec plaisir.

La voix du feu, Alan Moore, traduit par Patrick Marcel, chez ActuSf, 2015.

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Et la musique, alors ?
Kim Fowley, The Trip :

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