Voilà, c'étaient les vacances, il y a eu de la cheville en vrac, de la musique et des bouquins.
A défaut de bronzage, l'immobilité forcée de ce dernier mois m'aura au moins permis d'avancer dans mes lectures, et donc d'attaquer la petite triade de livres achetés aux éditions de l'Arbre vengeur au dernier Salon du Livre. J'ai eu bien des difficultés à me limiter au trio en question, les sélections effectuées par les éditeurs de l'Arbre sont très alléchantes, érudites, et promettent de bons moments de lecture (pour s'en convaincre, on peut les visiter en cliquant ici), mais il m'a fallu choisir.
Dans cette triade se trouvait ce brillant exercice d'écriture qu'est Pfitz, publié en France en 2010 et sur lequel je vais tâcher de revenir à présent (je préviens : cette longue interruption m'a rouillé l'écriture, on va faire de son mieux).
En plein dix-huitième siècle, période de fastes où les cours tentent de se surpasser en bâtissant les palais les plus éblouissants, un Prince se distingue en fondant sa renommée sur la création de villes imaginaires.
Devant le succès des premières cités (les guides illustrés de ces villes imaginaires rendent l'opération rentable, nous dit-on), il en vient à imaginer la ville fantasmée ultime. Afin de la décrire dans ses moindres détails (mobilier, histoire, visiteurs et documents publiés par les visiteurs inclus), il y engouffre l'argent du Trésor, et emploie dorénavant son peuple, tous changés en administratifs et séparés en divers services spécialisés, à décrire la ville.
C'est dans cet univers, qui semble sorti de la triple plaisanterie Caroll-Borgés-Eco sur la carte 1:1 du territoire, que le cartographe Schenck, pour séduire une belle rousse travaillant au service des biographies, va se décider à intervenir sur le maillage prédéfini de la description de la ville.
Prenant pour excuse un dessin oublié sur une carte, il tente de se rapprocher de la biographe en inventant un valet au noble dont elle décrit l'existence : le spirituel domestique Pfitz.
Seul -et pour cause- à connaître ce mystérieux valet, Schenck commence pour Estrella la biographe un compte-rendu de ses aventures en compagnie de son maître, et se retrouve vite menacé par un mystérieux auteur fictif.
Si, en abordant Pfitz, je parle d'exercice d'écriture, c'est parce que c'est ce qui décrit le mieux ce à quoi se livre Andrew Crumey, auteur érudit et polymathe distingué (oui, grosse joie à l'emploi de cet adjectif que j'adore et dont tu trouveras le sens là - c'est pas bientôt fini avec les liens hypertextes, te dis-tu ? Non nein, never, genre glissons au passage que le co-auteur du Matin des Magiciens, Jacques Bergier, l'était, polymathe).
Du début à la fin, Crumey se livre à une démonstration de force similaire à un tour de magie.
L'alternance de styles d'écritures au fil du récit est déjà une jolie performance : le roman s'ouvre par une parodie d'un conte philosophique du XVIIIe siècle, et c'est un style que l'on va retrouver de loin en loin dans le roman : l'intro évoque Candide, les aventures de Pfitz celles de Jacques le Fataliste et son maître, et le dernier chapitre emprunte au théâtre classique son chœur final. Mais, et c'est là un joli tour, les parties de Schenck sont écrite de manière tout à fait contemporaine, quand celles du troisième intervenant évoquent plus le XIXe siècle.
Ensuite, la structure en poupées russes, qui alterne et emboîte les univers narratifs, est savament complexe : l'univers du roman dans lequel on créée un univers, univers dans lequel Pfitz et le mystérieux Spontini existent, sont entremêlés de chapitre en chapitre, et se rencontrent par des adresses au lecteur. Se surajoutent des récits enchâssés, comme les anecdotes que Pfitz raconte à son maître.
Un impressionant tour de passe-passe, donc, plein de références savantes, mais auquel je trouve une certaine rigidité. C'est fait "à la mode de", et avec talent, mais tout est très apprêté, et il me semble que les personnages manquent un peu de chair pour nous intéresser pleinement : le love interest du héros, Estrella, est un brin trop fantôche pour être digne de l'intérêt qu'on lui porte, et pas mal de personnages secondaires sont des farces polies (Frau Luppen, la logeuse, paraît sortir du théâtre de boulevard). Bien sûr, bien sûr, c'est sans doute volontaire et très organisé, peut-être pour donner cette impression factice des divertissements de l'époque, mais il n'en reste pas moins qu' il manque à Pfitz, me semble-t-il, un petit supplément d'âme au milieu de toute cette démonstration technique.
Malgré cela, Pfitz est une lecture plaisante, où l'on peut savourer la rigueur de la mise en scène et l'érudition de l'auteur, ainsi qu'un bel exemple de construction littéraire.
Pour conclure, la couverture dessinée par Marc-Antoine Mathieu pour cette édition illustre parfaitement la folie narrative de ce récit en boîtes : des casiers à fiches érigés en gratte-ciels en dominent d'autres, d'où émerge un petit fonctionnaire, lui-même rangé dans un tiroir plein de casiers.
Et, quitte à terminer en musique, amusons-nous avec un truc improbable pour refléter l'élaboration savante de ce roman.
Toute bonne rentrée.
Pfitz / Andrew Crumey, traduit par Alain Gnaedig. L'arbre vengeur, 2010.
Publié en 1997 aux Etats-Unis, chez Picador, et critiqué juste là par Andrew Miller (l'auteur du très chouette Pure, traduit par chez-nous Dernier requiem pour les innocents).
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