jeudi 2 juillet 2015

livres lus, choses vues, avril-juin 2015

Je sais, on est en juillet, mais on s'en fout.
Je peux apporter un certificat si y faut, j'ai déménagé, trainé à Montpellier, et même (un peu) bronzé.

Alors, alors, avril à juin 2015, en vrac, en fractionné, en extraits :

La déclaration de Gemma Malley, Naive, 2007. Traduit de l'anglais par Nathalie Peronny
Le young adult, on le méprise un peu, on le juge souvent facile. C'est pourtant ce genre qui est l'une des premières portes d'accès à la lecture, qui permet aux ados de commencer à découvrir le monde et ses conflits. C'est d'autant plus le cas de nos jours, où les romances et bleuettes pour ados sages sont de plus en plus minoritaires, au profit de romans plus réalistes, plus sombres, où injustices et inégalités ont leur place. Il existe une littérature de l'imaginaire pour jeunes adultes intelligente et prenante. C'est le cas ici, dans une dystopie où l'immortalité généralisée et la surpopulation qui en découle ont transformé les plus jeunes en sous-citoyens dont la population se méfie. Notre héroïne, sorte d'émanation Frances-Hodgson-Burnettienne, a le malheur d'être née sans autorisation (c'est alors une Surplus). Fermée dans un orphelinat très Dickensien, elle a donc pour seul horizon un quasi-esclavage pour faire pardonner sa seule existence. L'arrivée d'un nouvel élève plus révolté va la contraindre à se remettre en cause.
Sans doute pas très original pour un gros lecteur, ce court roman constitue néanmoins un point d’accès intéressant au dystopies totalitaires pour un potentiel néophyte. Bien que l'auteur utilise les ficelles du roman de jeunesse du 19e siècle, elle joue assez malicieusement du parallèle entre les Surplus de son récit et la situation des sans-papiers contemporains.
Ce roman est le premier d'une trilogie, ce qui laisse à Gemma Malley la possibilité d'explorer plus profondément sa thèse de départ : un monde où la mort aurait été éradiquée pour les plus fortunés, situation d'où découlent inégalités et société totalitaire.

Fatum de Jérôme Zonder à la Maison Rouge
Le dessin, réduit à son expression la plus humble (papier et graphite), mais étendu dans des proportions démesurées (la totalité d'un étage de la Maison Rouge, murs et sols compris). Dans cet espace gris-noir, où se rencontrent murs de briques et forêts luxuriantes, sont exposées ces œuvres pessimistes et angoissantes. Enfants cruels nourris à la publicité et grandis trop vite, fruits d'une société où l'apparence est plus importante que le sens, où le bien est au mieux ennuyeux, qui jouent à s'ennuyer ou à se blesser, tableaux à la maîtrise technique splendide qui traîtreusement représentent l'horreur sous sa pire forme (tableaux reprenant des photographies de chambres à gaz)... Le monde de Jérôme Zonder, tout en nuances de gris, me semble dénoncer une disparition de l'éthique, un entremêlement de la morale, que la représentation ne parvient plus à démêler, un épuisement des valeurs.

Rashomon d'Akira Kurosawa
La narration, nous y revoilà, avec ce conte aux quatre récits, construisant et déconstruisant le secret d'un meurtre au spectateur fasciné. A l'abri sous le portique en ruines d'un vieux temple, alors qu'une violente pluie fait rage, un moine et un bûcheron racontent à un passant le drame, et le procès auxquels ils ont assisté. De récit en récit, la réalité diffère selon le point de vue du raconteur.
Tout est impeccablement maîtrisé, du moindre plan à la musique, et dans ce cadre les particularismes stylistiques Japonais nous paraissent à la fois très étrangers et pourtant étrangement proches des structures du théâtre classique dans toute sa raideur.
D'autres en ont parlé mille et mille fois mieux que moi, arrêtons là.

Accatone de Pier Paolo Pasolini
Je continue sur le chemin épineux du cinéma italien, en tombant éperdument amoureuse du cinéma de Pasolini, sous la forme du troublant Accatone, histoire d'un souteneur éponyme aux beaux yeux (Franco Citti, épuisant de charme et de mauvaise foi), qui se retrouve victime d'un sursaut de moralité lorsqu’amoureux, il est incapable d'entraîner l'innocente Stella (Franca Pasut, pureté bovine) dans la prostitution. Il ne sait rien faire d'autre, notre beau garçon, ça et promener dans les bidonvilles des abords de Rome sa belle carcasse de bon à rien pleine de dandysme et d'une sprezzatura sans faille.
Ce film donne à voir la ville, sa pauvreté, les violences faites aux femmes (les scènes liées à la prostitution, comme les mésaventures de Maddalena, la prostituée qui travaillait auparavant pour Accatone, sont éprouvantes de nos jours), tout en restant empreint d'une certaine poésie solaire.


Aventures d'un homme de bureau japonais de José Domingo
La bande dessinée, c'est ajouter à l'histoire une couche de sens en plus, celle du dessin. José Domingo l'a bien compris en réalisant cette pépite pop qui nous offre avec une perspective fixe digne d'un jeu vidéo 80's une version dessinée de la comptine "Trois petit chats." Soit donc, un employé de bureau japonais devant aller d'un point A (chez lui), à un point B (au travail). Evidemment, une droite étant constituée d'une infinité de points représentés des créatures Godzillesques, des démons, des aventures d'un soir, des extraterrestres, des assassins de tout poil... en combien de planches notre employé réussira-t-il à atteindre son objectif ?
Une grande aventure muette, pleine de détails et de références, qu'il faut relire une fois terminée.


Arlequine de Karina Bisch à la Galerie des Galeries
Héritière de Sonia Delaunay et du Bauhaus, Karina Bisch se situe à la croisée entre graphisme coloré et arts décoratifs. Ses grandes formes géométriques sont ébouriffantes de science de la couleur, et leurs répétitions savantes convoquent les motifs textiles d'autres époques. Graphisme + couleurs épiques + Mode : oui j'ai poussé de (petits) cris. C'est aussi le moment (attention déviation de sujet, que j'ai découvert Mary Katrantzou et Preen, ma marque de fringues préférée du monde entier et tellement pas dans mon budget qu'on peut en rire. En attendant, Karina Bisch, c'est du néo-Delaunay, il y a donc des gens qui continuent à tracer cette voie-là.

Le clavier Cannibale de Claro
La langue, on l'a tous oublié, bande d'esclaves de la facilité que nous sommes, est un outil de précision aux mille et un réglages. Au jour le jour, elle est malmenée de tous côtés, et l'on en perd le sens et l'élégance.
La justesse semble abandonnée, et seuls quelques combattants isolés continuent en toute discrétion à en huiler les rouages du langage pour en tirer de la littérature. Claro, auteur, traducteur (et directeur de collections, et grand lecteur...), est de ceux-là. Sur son blog, Le Clavier Cannibale, dont une sélection de chroniques est ici imprimée, il fait part de ses traductions, lectures et réflexions sur les lettres, nous obligeant par son exigence à passer le contrôle technique, et nous rendre compte qu'on a perdu des pièces en route. En bon mécanicien, ses articles retapent nos raideurs peu à peu, et décrassent nos rouages. De commentaire précis en conseil éclairé, on s'en retrouve même avec des options de lecture en plus.

Print Workshop de Christine Schmidt
A la base, il y a une séance de dédicace avec le délicieux auteur de Panthére (oui j'en est déjà parlé), qui m'a valu d'aller traîner dans ce lieu de perdition qu'est Le Monte-En-L'air, librairie pleine de trucs et machins géniaux pour créatifs et fans de beau. Ce livre est un petit guide pour le bidouilleur intimidé par l'idée d'imprimer des trucs, fauché, ou qui manque sérieusement de place. Avec une simplicité et une bienveillance assez nourrissantes, l'auteur, dont les oeuvres sont visibles sur toute la blogosphère Anglo-Saxonne spécialisée en design (que je lis parce que j'assume ma position de tête de linotte du beau truc, tu vois), donne des explications et des astuces pour rendre la création plus facile. Le livre est joli, clair, tentant, et pour l'instant en anglais seulement.

Crapougneries de Nicole Claveloux
Le dessin à la plume ou à l'encre, je l'aime d'amour pour toujours. Son économie de moyen et la maîtrise graphique qu'il nécessite pour être grandiose, c'est fascinant, qu'il s'agisse de Riou (mon héros du Journal des Voyages), de Jean-Luc Navette, ou de David B. Et là, je tombe sur une vieille collec' de livres jeunesse du sourire qui mord, éditions des 80's hyper exigeantes. Crapougneries, sans textes, tout en trames géniales et en inventions graphiques, c'est l'inquiétante et sensuelle histoire des bêtises que tout enfant rêve de faire. Nicole Claveloux est une maîtresse du sens dessiné, c'est évident, car ses dessins disent bien plus que le premier degré, et ce qu'elle illustre, ce ne sont pas de mignons plaisantins, mais d'authentiques petits monstres, terrifiants dans leur quête de la satisfaction.



Lus aussi, mais je ne vais jamais publier cet article si je m'y attarde : L’œil du purgatoire, Un regard en arrière d'Andrew Bellamy, Le Point zéro de William Gibson, Abattoir 5 de Kurt Vonnegut, Imaro de Charles Saunders, La Ménagerie de Papier de Ken Liu ... On y reviendra peut-être, en attendant, publions ce grand oublié avant désséchement complet.

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C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...