La rentrée constitue l'une des périodes où la dissonance entre le temps apaisé des vacances et les servitudes du monde contemporain est la plus forte.
C'est donc le moment idéal pour lire le roman de Will Wiles.
J'en veux pour preuve : Neil Double, le héros, occupe l'étonnante profession de double de congrès pour cadre. En résumé, les congrès sont une plaie auxquels les cadres vont munis de leurs plus beaux costumes, la valise remplie de cartes de visites, pour sociabiliser avec d'autres cadres dans un but de réseautage professionnel, et prendre des notes qui justifieront que leur hiérarchie leur ait offert ledit congrès.
Ceci, nous dit Neil, est fortement ennuyeux pour tout le monde. Sauf pour lui, qui adore l'atmosphère hygiéniste et anonyme des chambres d'hôtels, et a transformé ses visites aux conférences en véritables promenades psychogéographiques (si vous faites appel à ses services, il vous ramènera également badges, stylos et mugs promotionnels pour attester de votre présence).
La profession disruptive de Neil est donc appelée à un bel avenir.
Jusqu'au jour où un incident le contraint à fréquenter de plus près le milieu aride des couloirs de chaînes d'hôtels, leurs moquettes interchangeables et leurs peintures abstraites.
Comme le sommeil de la raison engendre des monstres, nous dit Goya, Neil va découvrir que l'utilitarisme le plus propret constitue le nid idéal pour l'horreur débridée, période Jack-Halloran-écrit-dans-sa chambre-de-l'Overlook.
Will Wiles écrit un roman réjouissant et hyper contemporain, dont l'écriture clinique et détachée permet la distance nécessaire pour parodier les rites de l'entreprise.
Les amateurs du Ballard de Crash et de I.G.H. trouveront du plaisir à fréquenter les couloirs de Way Inn, et la deuxième partie du roman devrait également satisfaire les nostalgiques du King horrifique des années 70-80.
On passe un moment délicieusement acide avec Way Inn, qui constitue un honorable roman d'horreur, comme cela fait bien longtemps qu'on en avait pas lu.
Way Inn, Will Wiles, traduit par Marie Surgers, La Volte, septembre 2018.
jeudi 20 septembre 2018
lundi 10 septembre 2018
Moi ce que j'aime, c'est les monstres, Emil Ferris
Qu'on arrête de respirer, qu'on s'accroche à ses binocles et qu'on serre les rangs, Emil Ferris s'en vient chez nous !
Le chef d'oeuvre annoncé d'Emil Ferris, c'est ce roman graphique qui est paru aux Etats-Unis en février 2017, et a ramassé trois Eisner Award 2018 (meilleur album, meilleur auteur/artiste, meilleure mise en couleur). Les critiques des plus grands journaux internationaux sont à genoux devant tant de beauté, Monsieur Toussaint Louverture, maison d'édition française sujette aux emballements éditoriaux, en a le palpitant qui frétille.
Devant le succès annoncé, il s'agit de composer une symphonie publicitaire à laquelle le lecteur susceptible de dépenser 34,90€ pour un tome 1 sera sensible, et, tu l'as vu toi-même, si toi aussi tu t'es retrouvé cet été à une heure indue à communiquer avec un Bot Facebook publicitaire, chez MTL, on sait plutôt bien s'y prendre.
Donc, les hipsters ont hipserisé, on a commandé son exemplaire comme tout le monde, et déchiffré ses trois-cent seize pages couleur illustrées au stylo Bic.
Le roman graphique (car densité comme quotient texte manuscrit/dessin appellent cette dénomination) raconte le quotidien troublé d'un quartier pauvre de Chicago en 1968, vu par Karen Reyes, jeune pré-adolescente à l'éblouissant talent de dessin, dont nous lisons le journal.
Suite au meurtre de sa belle voisine, elle décide d'emprunter chapeau mou et imperméable à son grand frère et de mener l'enquête.
Celle-ci la mène des sombres secrets de l'histoire de sa voisine à ceux que recèle son histoire familiale, et il lui faut tout son attachement au dessin et aux monstres de la culture populaire pour ne pas sombrer elle-même.
Malgré les superbes illustrations d'Emil Ferris (Moi j'aime les monstres est la quintessence du livre Instagrammable), l'univers dépeint est particulièrement glauque et violent : l'environnement cruel dans lequel la petite détective grandit ou les terribles histoires d'Anka la belle décédée, ne sont mis en perspectives qu'à travers les images de monstres issues de la pop culture qu'utilise Karen dans ses dessins pour filtrer la violence.
C'est notamment l'occasion de prouesses illustrées au début de chaque chapitre, qui s'ouvre sur une fausse couverture de magasine d'horreur.
En définitive, malgré la réception enthousiaste générale, c'est l'image la plus tenace que l'on peut garder de ce tome 1 : des illustrations spectaculaires, qui, à force de beauté, ne parviennent pas complètement à servir le propos, en attirant notre attention sur la réalisation plastique plus que sur le fonds. C'est notamment le cas lors de passages plus faibles (car, en 316 pages, comme dans un roman bien dense, il y en a), où on ne peut s'empêcher de ressentir une tendance à se regarder dessiner.
J'ai bien conscience que l'histoire personnelle d'Emil Ferris, qui réapprenait alors à se servir d'un crayon après une maladie, peut expliquer cela. Et je n'oublie pas non plus qu'il s'agit d'une première œuvre.
Malgré sa grande beauté, et les intrigantes thématiques abordées, il est peut être alors déraisonnable de crier au chef d'œuvre.
Il paraît plus honnête de saluer une entreprise d'une singulière originalité, et d'espérer d'autres réalisations de l'autrice prodige.
En attendant, Moi ce que j'aime c'est les monstres comblera probablement les fanatiques d'illustration disposés à en payer le prix.
Le chef d'oeuvre annoncé d'Emil Ferris, c'est ce roman graphique qui est paru aux Etats-Unis en février 2017, et a ramassé trois Eisner Award 2018 (meilleur album, meilleur auteur/artiste, meilleure mise en couleur). Les critiques des plus grands journaux internationaux sont à genoux devant tant de beauté, Monsieur Toussaint Louverture, maison d'édition française sujette aux emballements éditoriaux, en a le palpitant qui frétille.
Devant le succès annoncé, il s'agit de composer une symphonie publicitaire à laquelle le lecteur susceptible de dépenser 34,90€ pour un tome 1 sera sensible, et, tu l'as vu toi-même, si toi aussi tu t'es retrouvé cet été à une heure indue à communiquer avec un Bot Facebook publicitaire, chez MTL, on sait plutôt bien s'y prendre.
Donc, les hipsters ont hipserisé, on a commandé son exemplaire comme tout le monde, et déchiffré ses trois-cent seize pages couleur illustrées au stylo Bic.
Le roman graphique (car densité comme quotient texte manuscrit/dessin appellent cette dénomination) raconte le quotidien troublé d'un quartier pauvre de Chicago en 1968, vu par Karen Reyes, jeune pré-adolescente à l'éblouissant talent de dessin, dont nous lisons le journal.
Suite au meurtre de sa belle voisine, elle décide d'emprunter chapeau mou et imperméable à son grand frère et de mener l'enquête.
Celle-ci la mène des sombres secrets de l'histoire de sa voisine à ceux que recèle son histoire familiale, et il lui faut tout son attachement au dessin et aux monstres de la culture populaire pour ne pas sombrer elle-même.
Malgré les superbes illustrations d'Emil Ferris (Moi j'aime les monstres est la quintessence du livre Instagrammable), l'univers dépeint est particulièrement glauque et violent : l'environnement cruel dans lequel la petite détective grandit ou les terribles histoires d'Anka la belle décédée, ne sont mis en perspectives qu'à travers les images de monstres issues de la pop culture qu'utilise Karen dans ses dessins pour filtrer la violence.
C'est notamment l'occasion de prouesses illustrées au début de chaque chapitre, qui s'ouvre sur une fausse couverture de magasine d'horreur.
En définitive, malgré la réception enthousiaste générale, c'est l'image la plus tenace que l'on peut garder de ce tome 1 : des illustrations spectaculaires, qui, à force de beauté, ne parviennent pas complètement à servir le propos, en attirant notre attention sur la réalisation plastique plus que sur le fonds. C'est notamment le cas lors de passages plus faibles (car, en 316 pages, comme dans un roman bien dense, il y en a), où on ne peut s'empêcher de ressentir une tendance à se regarder dessiner.
J'ai bien conscience que l'histoire personnelle d'Emil Ferris, qui réapprenait alors à se servir d'un crayon après une maladie, peut expliquer cela. Et je n'oublie pas non plus qu'il s'agit d'une première œuvre.
Malgré sa grande beauté, et les intrigantes thématiques abordées, il est peut être alors déraisonnable de crier au chef d'œuvre.
Il paraît plus honnête de saluer une entreprise d'une singulière originalité, et d'espérer d'autres réalisations de l'autrice prodige.
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