lundi 30 avril 2018

Les forces de l'ordre invisible, Philippe Baudoin

En 2015, avait lieu au Musée Victor Hugor l'exposition Dessiner L'invisible, qui présentait des dessins obtenus lors de séances de spiritisme, de transes ou d'écriture libre. Ceux qui y sont allés ont pu y voir une pièce entière consacrée aux mystérieuses archives du gendarme Emile Tizané, sorte de True Detective à la française à lui tout seul.
Le point d'accès de Philippe Baudouin, philosophe et réalisateur de documentaires sur France Culture, à cette intrigante personnalité n'est pas l'exposition, mais une recherche à l'Institut de parapsychologie, au cours de laquelle il découvre une boîte d'écrits manuscrits, envoyés par le fils d'Emile Tizané. En Suisse, les héritiers Tizané détiennent une cave pleine de papiers et de souvenirs, et c'est en la découvrant que Philippe Baudoin se lance dans la rédaction du livre dont il est question ici.

 Les forces de l'ordre invisible nous raconte une histoire stupéfiante : des années 30 aux années 60, le gendarme Tizané mène de front deux carrières. Au quotidien, il est gendarme, et progresse régulièrement en avancement. Mais en sous-main, il se spécialise dans la chasse à ce qu'il appelle "l'hôte invisible", de sous-préfectures en villages, de bourgs en lieux-dits.
Dans cette branche inédite de l'enquête criminelle, il mobilise tout son savoir de gendarme. Schémas immortalisant l'envol de son képi dans une cuisine de ferme, nombreuses photographies montrant les forces invisibles (c'est à dire ne montrant rien).
A force de grand écart entre rigueur forcenée et objet d'étude indémontrable, les archives de notre gendarme évoquent fortement l'oeuvre surréaliste, ce que pointe Philippe Baudoin avec une certaine malice : Emile Tizané n'est-il pas l'auteur de ce livre au titre prophétique, "L'hôte invisible dans le crime sans nom"? Son esprit rigide ne l'encourage-t-il pas à considérer "l'esprit frappeur comme un délinquant" ? La finalité du gendarme, arrêter les contrevenants fantômatiques pour les empêcher de nuire, recèle une certaine poésie burlesque, que l'on peut savourer au fil des pages.
Malheureusement, son espoir de fonder un art policier de la chasse aux fantômes ne sera pas suivi d'effet, et le gendarme mourra dans de mystérieuses circonstances.
L'ouvrage qui nous présente cette troublante histoire est une réussite sur le fond, entremêlant textes particulièrement référencés, que l'on aura plaisir à lire pour mettre en perspective les préoccupations de Tizané avec la France spirite de son époque, les fameuses archives manuscrites suisses, et de fascinants extraits du magazine Détective dédiés aux affaires de hantise.
La forme est également superbe, et respecte le ton étrange du livre, avec une couverture bleu gendarme et dans les pages un contraste inédit entre encre mauve et vert fluorescent.
Tout aussi curieux en main qu'il l'est à la lecture, Les forces de l'ordre invisible est un régal pour l'amateur de bizarre.

Les forces de l'ordre invisible, Philippe Baudoin, Editions du Murmure, 2016.

1 commentaire:

All the murmuring bones, Angela Slatter

C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...