Rien, presque rien.
On est le 15 décembre, je ne te dis que ça.
Enfin bon, deux-trois trucs vus quand même :
Nuada le conquérant, par Jim Fitzpatrick, allégorie de mes journées de novembre |
Mademoiselle, de Park Chan-Wook
Autant le dire, pour cette adaptation du mémorable Fingersmith de Sarah Waters, on aurait pu craindre le pire. L'action originale, dans le Londres victorien était transposée en Corée dans les années 20, et la bande annonce semblait promettre un long fantasme esthétique et ennuyeux.
Heureusement, il n'en est rien, et la transposition de Park Chan-Wook, finalement très respectueuse de l'esprit du récit, rehausse la qualité de cette histoire. Dans un décor où le mépris résonne dans chaque action (entre Coréens et Japonais, entre la jeune fille de bonne famille et sa suivante, entre ceux qui croient duper les autres), s'entrelace une embrouille de gangsters palpitante et pleine d'élégance.
How to get away with murder, de Peter Nowalk
Dans ce cas, mon excuse est définitivement la fatigue, qui rend les procédés crapuleux de cette série (les larmes, les morts et les invraissemblables retournements de situation) très faciles à suivre depuis le lit. Cependant, la frénésie narrative ne parvient pas à maintenir un récit réaliste, car à force de vouloir tout le temps frapper plus fort que les 5 minutes précédentes, la série hache tout et relègue toutes les émotions sur le même plan. Les aléas que vivent les personnages se succèdent bien trop vite pour que le scénario aie le temps de creuser leurs conséquences, et cela participe du même mouvement d'affadissement du spectacle. Enfin, après m'être vaguement creusé la tête en essayant de comprendre pourquoi une avocate aussi peu efficace qu'Annalise Keating réussit à maintenir son train de vie sans éveiller les soupçons, et pourquoi on nous impose ces multiples scènes punitives auxquelles se soumettent tous les personnages (une déchéance typiquement américaine : les couples se délitent, l'alcoolisme flamboie et les promotions ne sont pas au rendez-vous), j'en suis venue à la conclusion que Comment se tirer d'un meurtre ? c'est plutôt l'histoire de l'éthique protestante de la série, qui cherche à prouver que, bien évidemment, on ne peut pas, c'est l'enfer sur terre. C'est donc à l'interminable catharsis d'un crime initial sans le moindre intérêt narratif que nous sommes conviés, le tout vécu par des personnages épais comme du papier bible. Neuneu et moralisateur. Je passe mon tour.
Westworld, de Jonathan Nolan, Lisa Joy
En résumé, de cette série si attendue et présentée comme l'après Game of thrones, on dira que l'on passe 10 épisodes à se demander où va le récit, à essayer de comprendre le mic-mac temporel qui entoure nos protagonnistes, à les suivre avec attention en espérant que le récit démarre et au bout de tant d'ambition, la montagne accouche d'une souris : il se passe enfin quelque chose dans les toutes dernières minutes. Sinon, décors et images sont très beaux, l'ensemble donne l'impression de se regarder le nombril.
Confronter la série 2016 au film des 70's pourrait être une bonne idée.
La Compagnie des loups, Angela Carter
J'avais déjà croisé ce livre lorsque j'avais lu la bande dessinée Dans les bois, d'Emily Caroll, car l'auteur se disait très inspirée par Angela Carter. Neil Gaiman, dans l'une des nouvelles de Miroirs et Fumées, y faisait référence également, comme l'une des initiatrices de la relecture des contes anglais. Et finalement, c'est mon libraire qui me l'a mis dans les mains, lors de ces quelques recommandations que je prends sans discuter, parce qu'il a l'air trop sûr de lui pour que l'on doute. Carter, dans ce livre paru en 1979 sous le titre The Bloody chamber, utilise le matériau des contes pour en tirer 10 nouvelles dérangeantes et plus ou moins sanglantes. Plusieurs sont tirées de La Belle et la Bête, avec une évidente influence du film avec Jean Marais, plusieurs proviennent de versions altérées du Petit Chaperon Rouge, d'autres sont issues de la Barbe Bleue, Blanche-Neige, Le Chat Botté... Angela Carter écrit remarquablement, et nous entraîne sans peine avec ses personnages. Elle semble d'instinct saisir ce qui dans le conte originel touche à la détermination de l'identité féminine, à la force malgré une apparente faiblesse (une chose que Catherynne M. Valente rendait très apparente également dans Immortel) : car ce qui se joue dans beaucoup des nouvelles, outre la question féministe ou la question amoureuse, c'est celle des jeux de pouvoir dans le couple, envisagés au travers de la fusion (M. Lyon fait sa cour), de la domination (Le cabinet sanglant, La Dame de la maison d'amour), ou du passage du temps (Le loup-garou, l'enfant de la neige).
Les nouvelles sont passionantes, et leur écriture très cinématographique semble appeler une éventuelle adaptation, ce qui explique sans surprise l'existence du film La compagnie des loups, de 1984, que l'on doit à Neil Jordan, et qui est une transcription de l'une des nouvelles les plus remarquables du recueil (celle qui semble, d'ailleurs avoir beaucup servi d'inspiration à Emily Caroll).
Mes cent démons ! de Lynda Barry
Lynda Barry me fascine. Notamment parce que la moindre page de son travail est une oeuvre complète. Si l'on choisit une page typique, en général, elle a peint le fond à l'aquarelle, ou utilisé de vieux papiers colorés, collé toutes sortes de matériaux, repeint par dessus, ajouté des bulles de texte dans une calligraphie changeante qu'elle invente elle-même... Pour obtenir cet incroyable résultat, violemment coloré, que l'on pourrait attendre d'une Mimi-Cracra surboostée à la gouache ou d'une grande artiste. Dans Mes cent démons, que l'éditeur ça et là a eu le plus grand mal à éditer à cause des éléments mentionnés ci-dessus, Barry revient sur sa vie, en nous dressant un portait touchant de sa famille, remplie de personnages excentriques. On revit avec elle drogues, petits amis, grand-mère bourrue et petites hontes de l'adolescence, en se demandant bien, dans le lot d'anecdotes, lesquelles sont vraies et lesquelles doivent tout à son imagination. Quoiqu'il en soit, Mes cent démons est une bulle d'optimisme, doublée d'une joyeuse expérimentation formelle.
La joie est totale.
Innocent, de Shinichi Sakamoto
Place aux retrouvailles avec le manga, sous la forme d'un authentique coup de foudre pour un illustrateur fou. Si vous avez déjà lu le célèbre Versailles no bara (la Rose de Versailles) de Ryoko Ikeda, vous êtes déjà familiarisé avec le style Shojo pour filles : longs cils et étoiles dans les yeux, ainsi qu'avec la période précédant la Révolution française, telle que vue par les artistes japonais. Innocent, d'une certaine manière, est la relecture qu'en ferait un illustrateur fan de Sade, et de rock'n'roll. Ici, point de valeureuse chevalière cachant sa féminité : notre héros, Charles-Henri Sanson, est bourreau, et son métier donne lieu à des pages bien gores. Il évolue dans un Paris où les nobles pourraient être des blogueuses influentes sans moralité (et le sont d'ailleurs, car alors que les volumes avancent, Sakamoto relâche le carcan réaliste pour brouiller les époques, et nous met par exemple sans prévenir face à l'Instagram de Marie-Antoinette), où les bourreaux sont des vedettes du rock : Charles-Henri est évidemment une vedette androgyne très Visual-Key, sa soeur Marie-Josèphe est une icône punk, et l'exécuteur des basses oeuvres ressemble à Brian May époque A Night at the Opera. Cependant, si le dessin frappe fort, Innocent est, comme beaucoup de mangas de ce type, redoutablement invraissemblable. Comme dans le stream futile d'un fil Facebook, les péripéties sont des anecdotes, les personnages historiques font des caméos de luxe sans avoir la place d'être plus que des silhouettes ultra lookées en fond de scène. Et cependant, le propos de Sakamoto, sur la légéreté de nos nobliaux pendant que le peuple meurt de faim (et il n'y va pas de main morte sur la faim, le peuple français se retrouve quasi-zombifié), est tout à fait audible, tout autant que la quête désespérée de Marie-Josèphe pour sa liberté personnelle, en un temps où il ne fait pas bon être une femme indépendante. Ce dernier personnage est nettement mieux dépeint que Charles-Henri lui-même, et alors que le récit avance, l'éclipse totalement.
Une découverte étonnante.
Trilogy, de Carpenter Brut
Quitte à clore cette courte liste de choses chouettes, voici une découverte sonore qui a accompagné mes oreilles en novembre. La synthwave, c'est par exemple Kavinsky dans la BO de Drive, ou The Uncanny valley, de Perturbator, dont on a un peu parlé (c'est le maître actuel de ladite syntwave, avec des productions incroyablement sophistiquées) : un truc plein de synthé, très électro et faussement daté. Autant l'avouer : en général, c'est pas pire, comme disent les Québecquois. Mais Carpenter Brut, en revanche, c'est vraiment très bien, comme la B.O. d'un film de genre 80's qu'on aurait pas encore vu, avec des nappes d'angoisse nimbant certains morceaux, des boucles parfaites et pleines de menace. Trilogy est d'une écoute mémorable, qui convoque un puissant univers de cinéma. Personnellement, je le préfère à The Uncanny Valley, dont j'ai parlé plus haut : il me semble qu'on y ressent une tension bien plus rock.
L'illustrateur : Jim Fitzpatrick
Ce celte étonnant, dont les dessins naïfs et stroboscopiques, très 70's, ravissent l'oeil, bien que cela ne soit pas la preuve du meilleur goût, me souffle-t-on. J'ai depuis quelques semaines Nuada Lance d'argent, un délirant recueil de mythes celtiques illustrés, dans ma bibliothèque, et il est possible que les cônes et bâtons de ma rétine n'y survivent pas, mais je kiffe.
Onboard, décembre (et essaye de me ménager un peu, veux-tu).