Elisabeth Peyton est-elle la Marie Laurencin des 90's ? Que dire du "girl stuff dans l'art"?
Elisabeth Peyton est cette peintre des années 90 qui fait essentiellement de jolis portraits de beaux jeune hommes. On peut voir une de ses toiles au Centre Pompidou, Prince Harry and Prince William (1999).
Mrs. Peyton me serait probablement restée inconnue, si, en me promenant dans la librairie du Centre Pompidou, je n'avais pas été frappée par la couverture d'une monographie qui lui est consacrée. Ce qui a accroché mon oeil, c'est le duo de couleurs bistres et bleutées qui constituait le portrait de la couverture, et un sourcil juste lancé d'un coup de pinceau, à la couleur très délayée.
Quand on erre dans ladite librairie, des centaines de livres se conccurencent pour attirer ainsi notre attention, et dans ce genre de cas, je prends un crayon, je note le nom de l'artiste, et je rentre chez moi me renseigner un peu.
Il se trouve qu'Elisabeth Peyton, bien que très bien côtée, avec cette démesure financière actuelle dans l'art, qui fait qu'une cote ne veut pas dire grand-chose, a plutôt mauvaise presse.
On trouve le site du Centre Pompidou une présentation sévère de son oeuvre, dont les arguments sont globalement les suivants :
- Elisabeth Peyton est mauvaise artiste : mauvaise dessinatrice (et seuls ses 20 ans de pratique la sauvent), mauvaise "penseuse" de l'art (dans l'audio du Centre Pompidou, l'intervenante insiste sur son incapacité à se relier à un courant et à son manque d'aisance littéraire et culturelle).
- malgré l'intérêt pictural de ses toiles ("elles font beaucoup d'effet", dit-on), elle se contente de répéter les couvertures de la presse people, offrant une médiatisation à ceux qui l'ont déjà. C'est si ininteressant qu'à l'apogée de sa gloire, on la voyait partout dans les magazines de mode (et on sait quoi penser desdits).
- ses sujets sont tous de beaux jeunes hommes célèbres, androgynes et longilignes, qui font partie de son cercle intime et dont beaucoup ont été ses amants (et cela la disqualifie en tant qu'artiste : elle utilise ses peintures pour se positionner face au public, et faire une sorte de "fan art", béat d'admiration devant la beauté)
Et, quoique je puisse comprendre une bonne part de cette critique, elle me pose aussi plein de questions (mais allez donc, si cela vous intéresse, écouter ce très intéressant audio, qui parle d'hystérie et la compare à Christine Angot et Sophie Calle).
La peinture de Peyton est-elle très audacieuse ou dérangeante ? Certes pas (on pourra aller la rapporter aux oeuvres de Marlene Dumas ou de Françoise Petrovitch), elle est même tout à fait plaisante. Si on la compare à la peinture contemporaine, avec toutes les références à l'art conceptuel que cela implique, on se trouve très ennuyé. Parce que c'est joli, conventionnel, tout ce que l'art contemporain n'est pas, car il est occupé à brillament analyser et disséquer ce que le monde nous offre. Peut-être que c'est de l'illustration de mode surestimée, mais alors où est l'art ?
Il est en effet très vrai que la peinture d'Elizabeth Peyton peut être qualifiée de "girl art". Il me semble que c'est même là une des clés de lecture de son oeuvre (et que l'on est pas obligé d'y ajouter des qualifiquatifs dénigratoires).
Si, faisant abstraction du courant de l'art actuel, on se rappelle la peinture de société des XVIIIe et XIXe siècle, le travail de l'artiste se trouve plus compréhensible. On peignait alors des personnes de la bonne société, à qui l'on offrait un éclairage flatteur (ces mêmes peintures, indice qui tend à m'encourager dans la comparaison, qui sont aujourd'hui présentées pour leur intérêt dans l'histoire de la mode). C'est un art dans la droite lignée de ce que faisaient Vigée-Lebrun ou Marie Laurencin (artiste que la critique masculine jugeait d'une "sensibilité d'apparence facile sans nette évolution", ce qui me fait penser à ce que l'on dit d'Elizabeth Peyton).
On pourrait considérer que le travail de l'artiste est donc essentiellement de la peinture de portrait de salon XIXe, avec un glacis plus moderne.
Quand à ce côté "girl art"romantique, il me semble qu'il fait partie de ces héritages féminins que nous avons toutes reçues inconsciemment, comme ce que j'appelle la "bibliothèque féminine oubliée", c'est à dire les Austen, Delly, Brontë, Chow Ching Lie, George Sand... qui se passaient de mère en fille, en propageant une certaine idée de la féminité. Le romantisme, le romanesque est une question de littérature (qu'on se rappelle les lectures romanesques d'Emma Bovary chez Flaubert**), mais également une question d'image : celle que propageait les magazines pour jeunes femmes de la beauté, de l'amour, de l'histoire. Et à ce titre, il ne me paraît pas anodin que la première exposition de Mrs Peyton, au Chelsea Hotel, aie essentiellement présenté des personnages historiques. C'est à cet imaginaire-là qu'elle se raccroche, elle en est l'héritière, je peux la rêver en victime de ses lectures.
Le choix de l'intervenante (Loué soit le Centre Pompidou de nous donner accés à cette passionante ressource), de lier ce qu'elle appelle "l'hystérie" de Mrs. Peyton à un roman (I love Dick, de Chris Kraus, qui paraît ce mois-ci chez Flammarion) dont le sujet principal est l'illusion obsessionelle de l'amour, est bien trouvé : en effet, en tant que femme, c'est bien le même type de fantasme qu'Elizabeth Peyton matérialise sur la toile, le même type de fantasme qui lui fait représenter une scène de Twillight, plus tard dans sa carrière.
A ce stade, ses efforts pour trouver des références artistiques viables en interview (comme Hockney qu'elle semble avoir saisi au vol et dont elle s'inspire), ou acquiécer à toute proposition de l'intervieweur sont une façon pathétique d'acheter une crédibilité auprès du monde de l'art : son oeuvre, me semble-t-il, trouve son explication dans un tout autre type d'imprégnation culturelle (et cela ne la disqualifie absolument pas à mes yeux). Tout ce discours auquel, en temps que femmes, nous sommes exposées, et que son art rend visible.
Ceci n'explique certes pas comment présenter Mrs. Peyton dans un musée d'art contemporain à côté des artistes conceptuels, mais il me semble qu'au titre de membre de la longue lignée des peintres obsessionnels aux prises avec un imaginaire trés défini (et élargissons le débat, citons Odilon Redon), son oeuvre présente un intérêt singulier.
Pour conclure, cette rapide incursion du côté féminin est l'occasion parfaite pour aller se plonger dans l'oeuvre de Sophie Calle et Louise Bourgeois. Pour rester dans l'art figuratif, on peut aller admirer le travail très similaire à celui d'Elizabeth Peyton de l'artiste Hope Gangloff, et approfondir ce qu'on connaît du travail de Marie Laurencin.
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* Dans lequel Flaubert nous dépeint une Emma incapable d'esprit critique face à ses lectures romantiques, qui causeront selon lui sa perte.
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