Le premier épisode est enthousiasmant : alors que les hommes continuent leur quotidien sur terre, dans le plus grand secret, depuis les années 50, un vaisseau spatial "générationnel" a été lancé dans l'espace. Pleuplé de scientifiques, qui vieilliront, auront des enfants, mourront, et dont les enfants atteindront leur destination dans 100 ans : une planète isolée à tenter de peupler.
A l'intérieur du vaisseau, on vit comme sous Kennedy, dans une apparente bonhommie, avec un fort sens du devoir. Cependant, le meurtre d'une jeune femme, alors que s'approche le point du voyage où le demi-tour n'est plus possible, vient bouleverser les esprits.
Sur terre, Harris Enzmann, dont le père a fondé la mission, aidé d'une myriade de caméras, continue discrètement de tirer les ficelles au sein du vaisseau.
Voilà, schématiquement, ce qui se dit dans ce premier épisode. Les enjeux sont bien présentés, on pointe les problèmes de la société des années cinquante -sexisme, racisme, mépris de classe des dirigeants du vaisseau pour les techniciens des ponts inférieurs- à travers différents personnages.
La série joue sur plusieurs aspects, ce côté vintage déjà-vu, l'excitation de ce départ secret (le vaisseau arrivera-t-il à destination malgré les nombreux incidents ?), l'enquête policière qui commence, un soupçon de fantastique à travers le personnage à peine esquissé d'une petite fille qui sait trop de choses...
Beaucoup de pistes, donc, et de pistes intéressantes.
L'affaire coule dès la fin de l'épisode 2, où un très gros retournement de situation nous est révélé. Retournement qui annule toute une part de l'intérêt du spectateur, en supprimant l'un des éléments qui permettait de faire avancer la narration. Traiter toutes les histoires potentielles esquissées par les premiers épisodes était bien sûr impossible. Mais il me semble que Philip Levens, le showrunner et scénariste a fait un choix malheureux en tranchant dans le vif ce qui constituait justement sa trame principale, en nous laissant avec les multiples histoires secondaires, qu'il n'aura pas le temps de développer dignement, la série étant annulée par la chaîne au bout de la saison 1. Aurait-il pu rebondir sans cette annulation ? Peut-être, la trame laisse le champ libre à bien d'autres possibilités du scénario.
Cela ne s'est pas produit, et au bout du deuxième épisode, la série atteint un creux dont elle ne se remettra jamais vraiment, contrainte à un mixage frustrant et trop rapide des différentes histoires, alors que des personnages extérieurs continuent de s'ajouter au récit, venant brouiller un message qui n'était déjà plus très clair.
Pour 6 épisodes, on peut satisfaire sa curiosité.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Enfin, voilà ce que'on peut en dire sans dévoiler l'intrigue complétement.
L'analyse du twist raté est réjouissante.
Alors.
Attention.
Spoil.
Si personne n'avait deviné.
A la fin de l'épisode deux, le spectateur découvre que le vaisseau spatial n'est jamais parti, et qu'il est fermé dans un très grand laboratoire, sur terre. Les chercheurs embarqués qui croient travailler à résoudre leurs problèmes de survie une fois l'atterrissage effectué, travaillent en fait à l'évolution technique sur terre, et nous dit-on, cette stratégie s'avère très rentable.
C'est là qu'est tout le problème de la narration : que faire quand les héros ne sont plus des héros ?
Car soudain, nos vaillants astronautes passent du statut de pionniers de l'aventure spatiale à rats de laboratoire, et ne vont plus nulle part, alors que l'essentiel des trames narratives intéressantes se situaient à bord du vaisseau.
Au début de l'épisode trois, on aurait pu imaginer que "l'extérieur" prenne la direction narrative, puisqu'en réalité c'est là que se situe le moteur de l'histoire. On aurait pu découvrir des personnages forts, traversés par le doute ou l'avidité, par exemple, liés à l'opération et au secret depuis des années. On aurait pu découvrir les rouages de cette gigantesque machinerie, et comment elle remplit ses objectifs, et à ce stade maintes scènes aurait été imaginables : découverte du stratagème, actions des agents de l'extérieur pour "adoucir" la vie sur le vaisseau, anciens habitants évacués qui veulent sauver les reclus... Mais pour cela, il aurait fallu traiter la surface de la terre et ses personnages comme les éléments principaux (et non plus le vaisseau, qui serait devenu plus secondaire, à moins qu'un de ses habitants ne se doute de la vérité ou n'émerge à l'extérieur, gagnant donc de l'influence sur le récit principal).
Mais cela ne s'est pas produit ainsi : les personnages de l'extérieur sont caricaturaux, peu fouillés, peu nombreux. Les péripéties (rebellion, sortie d'un participant, changement de direction à la tête du projet, histoire d'amour dans un seul sens...) sont esquissées, résolues à la va-vite et s'enchaînent sans avoir de sens.
Il me semble opportun d'invoquer ici l'autre grande série voyeuriste de l'an dernier, Unreal, où l'on suit les aventures entremélées d'une téléréalité romantique et de l'équipe de tournage qui la filme et manipule ses participants. La première saison réussit avec brio les bascules entre les deux narrations, et introduit le récit enchâssé (la téléralité produite) avec un recul plein de cynisme. Les personnages forts sont répartis des deux côtés de la narration, et leur collision dans la réalité est toujours utilisée à dessein.
On imagine avec l'exemple d'Unreal ce qu'Ascension aurait pu donner à voir, si elle avait su quoi faire de son double récit.
Au lieu de quoi, Philip Levens se tire une balle dans le pied en choisissant de traiter ses passages sur le vaisseau avec le plus grand sérieux, alors que plus aucune décision n'est finalement vitale (le spectateur le sait, si vraiment tout va mal, ils peuvent sortir; ce qui équivaut à la tension dramatique de Huis-clos de Sartre si les trois personnages avaient à chaque instant la liberté de quitter l'Enfer où ils subissent leur compagnie mutuelle : ouvrez la porte d'un huis clos et il n'y a plus d'histoire).
Pourquoi ce choix ? Peut-être parce qu'il fait une série de science-fiction. Et, la science fiction, c'est plein de vaisseaux spatiaux, c'est ce qu'on lui a commandé.
Il remplit donc son office, avec un twist audacieux, mais sans la réflexion nécessaire sur ce que cet artifice sous-entend, offrant finalement un produit sans tête, aussi inabouti que le projet Orion dont il s'inspire.
Ce qui fait donc d'Ascension un échec exemplaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire