Je vais parler d'au moins trois choses différentes, et j'espère donc que l'article ci-dessous sera digeste.]
Le podcast est un genre en plein boom, il s'en multiplie de tous côtés, et c'est réjouissant d'entendre ces voix intelligentes prendre la parole pendant qu'on fait notre footing ou qu'on tente de viser les clous et non pas nos doigts avec le marteau, le dimanche.
Qu'il s'agisse de rediff" d'émissions de radios ou de podcasts purs et bruts, c'est nourrissant, c'est formidable. A tel point qu'aux Etats-Unis, contrée d'où nous vient ce raz-de-marée, on cherche frénétiquement un moyen de rentabiliser tout ça.
L'un des podcasts qui a déclenché l'avalanche se trouve être justement une fiction qui appartient au domaine de l'imaginaire, et il est temps d'en parler.
Welcome to Nightvale : l'émission
Welcome to Nightvale a été créé en 2012 par Joseph Fink et Jeffrey Cranor, qui avaient des professions des plus pragmatiques (l'un d'entre eux bossait dans le service après-vente d'une grande entreprise), mais une bonne connaissance de la littérature fantastique des XIX-XXe siècle.Ce podcast met en scène un fausse émission de radio locale, genre très traditionnel aux Etats-Unis, où le présentateur, Cecil Gershwin-Palmer, donne les nouvelles de la bonne ville de Nightvale, isolée dans le Sud-Ouest désertique des Etats-Unis. On aura donc les horaires de la bibliothèque, des informations sur les scouts, la météo, le trafic routier, les élections... A ceci près que Nightvale est la ville où toutes les théories conspirationnistes les plus folles, où toutes les histoires fantastiques issues du folklore se produisent, imperturbablement narrées par la belle voix grave de Cécil, pour qui cela est décidément très normal.
On l'aura compris, Nightvale est une parodie à l'humour pince sans rire, qui joue avec la mise-en-abîme et avec le décalage perpétuel pour susciter le rire.
Cette entreprise est plutôt brillament exécutée, et pleine de références : on reconnaît les histoires dont NightVale s'inspire, des maîtres de la littérature du XIXe jusqu'aux épisodes des X-Files, donnant naissance à un objet pop qui devrait parler à de nombreuses générations.
Le succès est venu assez vite à NightVale, grâce à la rapidité de réaction des réseaux sociaux (sur lesquels Fink et Cranor prolongent l'existence de leur ville fictive), mais également grâce à l'adoption de l'univers par les fans, et l'appropriation par les utilisateurs de Tumblr notamment, génération un peu plus jeune que l'average gros lecteur de Sci-Fi et de fantastique.
Tumblr, base de création de blogs essentiellement composés d'image, où bruissent les détournements de milliers de fans de série : où agissent les fans d'Hannibal, de Sherlock... en des communautés très soudées qui se réapproprient les codes d'une série qu'ils aiment pour leurs propres créations, qu'il s'agisse d'illustrations, de retouche-photo, de liens vers des fanfictions.
La matière de Welcome to NightVale était dès le début, très utilisable dans ce genre d'univers, aussi a-t-elle très rapidement été adoptée, et de nombreuses œuvres de fans ont été créées, popularisant très vite l'émission, jusqu'à en faire le podcast de fiction le plus écouté des Etats-Unis.
A ce stade, les propositions commerciales n'ont cessé de pleuvoir autour de Jeffrey Cranor et Joseph Fink, et le podcast - toujours complétement gratuit, sous creative commons, est désormais rentabilisé grâce à des dons, des spectacles, et des produits dérivés.
Welcome to Nightvale : le bouquin
Parmi ces fameux produits dérivés, se trouve un livre -"N°1 des ventes US sur Amazon !"- baptisé en français Bienvenue à Nightvale, édité par Bragelonne, et dont un exemplaire est actuellement posé sur ma table de chevet.Il a été écrit par Fink et Cranor, et doit donc lutter contre pas mal de préjugés, à savoir : un produit dérivé peut-il être intéressant (ce qui est un peu la politique actuelle de Bragelonne, avec la sortie de la novélisation de BioShock rapture, par exemple) ? Comment novéliser un programme radio ? Est-ce qu'un tel objet est lisible par un public extérieur au fandom ?
Le choix fait par Fink et Cranor est de donner un peu de chair aux habitants de Nightvale. Le podcast d'actualités maintient finalement l'auditeur à distance, et les faits qui sont relatés l'obligent à se demander comment un habitant de Nightvale peut y vivre, avec ce taux de mortalité explosif et ses événements inattendus. On suit dans le livre plusieurs habitants dont le bizarre est quotidien, ce qui répond pas mal à la question et utilise encore ce ton décalé. Ce fil narratif est intercalé d'extraits d'actualités de Nightvale, tels qu'annoncés par Cecil.
L'une des grandes richesses de Fink et Cranor, c'est la capacité à raconter de petits incidents, et à "colorer" un univers (terme que je tiens du théâtre d'improvisation et qui équivaut à cesser la narration pour se concentrer sur la description). Et l'une de leurs grandes faiblesses, c'est leur manque de capacité (ou de volonté) à dessiner un arc narratif plus fort. L'évolution des personnages est plutôt bienveillante, et touche à l'angoisse fondamentale des deux créateurs : comment être adulte, et accepter l'épuisant et absurde fardeau du quotidien ? C'est ce que l'on trouve déjà dans le podcast, développé plus encore dans le roman.
Malheureusement, il me semble que la trame narrative proposée par les deux auteurs est trop légère pour le roman, et très rapidement, nos personnages empilent les péripéties sans qu'on soit bien capable de savoir où ils vont. La promenade est sympathique, certaines scènes sont vraiment réussies, mais tout cela reste du fanservice : les grands adeptes du podcast (dont je fais partie) apprécieront tout de même un travail plutôt honnête.
Bienvenue à Valnuit : la trad' française du podcast
Ok, donc, s'il n'est pas question d'écouter en anglais, on appréciera les efforts de l'équipe bénévole de traduction française. Bienvenue à Valnuit est une translation du podcast américain, qui permet de retrouver en VF l'humour décalé de l'univers. C'est un challenge de traduire les jeux de mots de Nightvale, et on peut comprendre que la traduction soit parfois inégale. Mais il me semble qu'en général, c'est assez réussi, et que le personnage d'Emile est justement interprété.Comme l'émission originale, on écoutera le podcast deux fois par mois, juste là.
Bonus track : découvrir l'univers UK de Scarfolk ici.