mercredi 27 avril 2016

Des larmes sous la pluie, Rosa Montero

Des Réplicants à la Blade Runner, de la meuf féministe, une dystopie intelligente, et pleins d'interrogations métaphysiques ? Mets ta petite laine et tes baskets, c'est Des larmes sous la pluie, c'est super chouette, et on y va !


Dans Des larmes sous la pluie, nous sommes en 2100. Le monde a plus ou moins récolté ce qui l'attendait, à savoir des révoltes en tout genre, et s'est structuré en Etats-Unis terrestres. On a découvert le voyage spatial, créé des Réplicants (des cyborgs à la durée de vie limitée à 10 ans, et dont l'existence se termine par la TTT : Tumeur Totale Techno, horrible cancer généralisé incurable), enclavé des zones vivables pas trop polluées et non submergées par la montée des eaux (sorry, Barcelone). Comme on pouvait s'y attendre, l'humanité n'a pas tellement appris, et est toujours parcourue des mêmes défauts : haine de l'étranger, cupidité, égoïsme... Toutes ces tares sont le gagne-pain de la formidable Bruna Husky, Réplicante de combat et détective privée, qui doit en plus jongler avec ses angoisses philosophiques.
Tout en menant de son mieux ses enquêtes, elle fuit dans l'alcool, compte les jours restants jusqu'à sa TTT et cultive son humeur noire.
Justement, sa nouvelle enquête l'entraîne à la poursuite de Réplicants qui se suicident lors de crises meurtrières, et de modifications criminelles de l'Histoire récente du Monde (qui ressemble à un Wikipedia sur-protégé).

On l'aura compris, je trouve à ce roman plein de qualités. 
Le monde construit par Rosa Montero est très intelligent, et réaliste : dans une intrigue générale qui doit beaucoup au roman noir traditionnel, elle a poussé plus loin quelques concepts existants de nos jours. Cela permet de dresser le portrait d'une société malade, mais vivable, où le capitalisme continue à prospérer (on vend même l'air pur).
Se trouvent en plus dans ce roman quelques personnages traditionnels de la SF, extraterrestres et Réplicants, animés de sentiments plus ou moins complexes. Le thème du Réplicant est par ailleurs un très bon prétexte pour poser des questions essentielles sur l'identité, le monde, le destin, la famille, la mort... Tout en alternant ces questionnements avec des enquêtes pleines de rythme.

Tout ceci est déjà prometteur, mais ce qui élève vraiment le propos, c'est le personnage magnifique de Bruna Husky. 
Je prête toujours une grande attention aux personnages féminins dans la littérature, et j'adore trouver des personnages forts et complexes.
C'est le cas de l'héroïne de ce roman, pendant féminin d'un enquêteur de roman noir à la Marlowe, dans laquelle Rosa Montero investit ses connaissances en psychologie et en journalisme (sa formation initiale), et son expérience du monde, pour obtenir un personnage aussi fort physiquement que son for intérieur est troublé.
Cette complexité psychologique donne encore plus de substance au monde que l'on découvre à travers elle : tout en y vivant, elle déplore ses aberrations, et en est la victime.
On pourrait être tenté de reprocher à l'héroïne un petit côté "super-woman de bit-litt", avec une histoire d'amour à la clé, mais s'il est évident que l'objectif de Rosa Montero est d'amener son héroïne à une forme d'humanité, par l'amitié, et par cette fameuse love story présente de loin en loin, ce n'est pas le seul point focal, dans un univers particulièrement riche. Cette relation est donc plus un outil qu'une finalité, et il me semble qu'elle sert plutôt le propos de l'auteur.

 On pourra bien sûr trouver les ficelles un peu grosses, certains personnages pénibles à force de cliché (l'animal de compagnie, notamment, dont je ne dirai pas plus, mais qui me semble tellement écrit à dessein qu'il n'a guère d'existence, et le personnage de Paul, qui évoque une aimable version de papier de Vincent d'Onofrio dans New York Police criminelle), mais cela ne suffit pas à nuire à la lecture de cet excellent roman, dont on pourra saluer univers, intrigue, et personnage principal.

Des larmes sous la pluie / Rosa Montero. Métaillié, 2014.

samedi 23 avril 2016

Le cadran solaire, Shirley Jackson

Shirley Jackson, on en reprendrait bien un peu ?

Alors, le Cadran Solaire, paru aux Etats-Unis en 1958, sous le titre The Sundial, et en France en 1995 dans la collection Pocket Terreur. L'édition que j'ai en main est donc un poche assez jauni, le texte a été traduit par Dominique Haas.

Si l'on consulte le passionnant Panorama du fantastique américain de Jacques Finné, on constate que ce quatrième roman de Shirley Jackson (après les non-traduits The Road through the Wall, 1948, Hangsaman, 1951 et The Bird's nest, 1954), est traditionnellement considéré comme l'un des moins aboutis, en tout cas face à ces classiques que sont Hantise et Nous avons toujours habité le château.



Dans Le Cadran Solaire, la famille Halloran, famille fortunée qui vit dans un impressionnant manoir près d'un village, fait face à la perte du fils héritier. La scène d'ouverture donne le ton du roman, noir et malicieux : le vieux Monsieur Halloran est sénile, son épouse est obsédée par l'argent et le pouvoir, leur belle-fille se montre tout aussi vénale et leur petite fille a un comportement inquiétant.

J'oublie, dans ce qui va très vite composer un huis-clos à l'ambiance délétère, la dame de compagnie, ancien amour de Monsieur, et le jeune homme qui range la bibliothèque, bon à rien flegmatique.
A ce stade, j'ai l'impression de décrire du Wodehouse, cet anglais qui décrivait les travers de la bonne société anglaise dans des romans doucement cinglés, et à l'esprit bon-enfant.

Mais bien sûr, chez Shirley Jackson, ce n'est pas la bienveillance qui prévaut : la sœur de Monsieur, la vieille tante Fanny, susceptible et souffrant de sa condition de vieille fille, se perd un matin dans le jardin et, dans des circonstances des plus inexplicables, a une vision de son père lui annonçant la fin du monde - nouvelle d'autant plus stupéfiante qu'il ajoute que seuls les habitants de la Grande Maison seront épargnés, et sont donc destinés à constituer les Elus du monde futur.

Tout ce petit monde accepte la nouvelle sans trop de surprise, car bien sûr, il est évident que les Halloran sont au dessus du commun. Commence alors l'improbable attente de la fin, entre petits fours et livraisons de matériel de survie, dans un manoir habité par des personnalités plus déplaisantes les unes que les autres.

Et dans ce roman qui annonce les prémisses de Hantise (la maison, subtilement inquiétante par les conditions de sa construction), et de Nous avons toujours habité le Château (ces bourgeois névrosés, en fin de règne, à la santé mentale discutable), c'est à un jeu de massacre dépeignant les travers humains que nous convie Shirley Jackson. Pas vraiment d'horreur ou de fantastique dans ce roman, car la réalité de l'annonce restera un choix laissé au lecteur, mais une comédie noire où personne ne sort indemne.

Shirley Jackson est brillante dans la comédie de mœurs, et quelques scènes sont délectables : la rencontre avec un autre de groupe d'illuminés persuadés de la survenue de la fin est merveilleuse (bien évidemment, ils viennent du village et croient à la survenue des extra-terrestres, à ce titre ils ne peuvent être que traités avec condescendance), la confrontation des habitants de la maison avec ceux du village, qu'il s'agisse de courses, ou de la grande fête que l'on donne en leur honneur avant la fin, constitue un régal de méchanceté. Cette partie n'a pas trop vieilli : de nos jours, l'abominable Orianna Halloran, reine de la punch-line vicieuse, ne pourrait être qu'une star de la télé-réalité dont on commenterait les sorties sur les réseaux sociaux.

La comédie est tempérée de différents moments : une scène terrifiante où l'une des invitées tentant de fuir l'ambiance du manoir se retrouve dans un taxi conduit par un pervers (et qui, me semble-t-il, jure plutôt avec l'ambiance du récit : il est évident qu'il y a danger dans cette scène, alors que le roman laisse un doute bien élevé et moqueur partout ailleurs. Shirley Jackson veut-elle montrer à quel point les habitants sont déplacés dans la réalité ?), quelques scènes touchantes (on comprend notamment que Fanny est l'héritière des relations tordues entre ses parents, et que la petite Demoiselle Halloran serait probablement normale si elle n'avait pas à grandir isolée des enfants de son âge).

J'imagine que les spécialistes qui estiment que ce roman est imparfait font peut-être référence à ces éléments  : les changements d'ambiance soudains, l'ajout régulier de personnages dans un huis-clos, au résultat artificiel (on dirait que Shirley Jackson avait peur de ne pas avoir assez à dire, mais il en résulte que les portraits sont moins fouillés), et la gestion de l'argument du roman : cet apocalypse que l'on ne fait qu'attendre, et dont nous, lecteurs ne verrons rien, le roman se terminant particulièrement abruptement (volontairement malicieusement, me semble-t-il).

Ce sont effectivement des éléments très visibles, mais Le Cadran solaire reste un moment de lecture savoureux, si l'on accepte sa lenteur et son côté daté. On peut y apprécier le fantastique très subtil de Shirley Jackson et son humour malveillant, noir et amer.
Je suis passé à côté lors de ma première lecture, adolescente, et c'est y revenant que j'ai fini par comprendre ce que je lisais. A ce titre, il me semble que l'édition en Pocket Terreur, avec son illustration terrifiante, est particulièrement malvenue, car il est évident que ce titre n'est pas un roman d'horreur, mais une vilaine comédie.

Et en y réfléchissant, je me dis que classer la production de Mrs. Jackson n'est décidément pas chose facile...

Le cadran solaire / Shirley Jackson, traduit par Dominique Haas, Pocket Terreur, 1995.

mercredi 6 avril 2016

La Loterie, Shirley Jackson

Nous avons tous des œuvres préférées, des auteurs dont la voix semble résonner particulièrement pour nous, et vers lesquels nous retournons de temps à autre.
Dans mon cas, il s'agit de Shirley Jackson, maîtresse du gothique américain, dont les œuvres particulièrement plébiscitées sont les romans Hantise, Nous avons toujours habité le château, et la nouvelle La loterie.
Avec cette série que je compte régulièrement mettre à jour, je vais essayer d'approfondir ce que je sais de cet auteur et de ses œuvres, et m'y plonger avec plus d'attention.

Il faut, avant que je commence à parler de La Loterie, que je vous donne d'abord quelques éléments sur Mrs. Jackson.
Lorsqu'on aime le fantastique, on entend parler de cette dame relativement régulièrement : Stephen King en parle souvent comme une inspiratrice majeure (il lui dédie certains romans, en parle dans Anatomie de l'horreur, s'en inspire pour d'autres...), c'est également le cas de Lisa Tuttle, mais aussi Peter Straub, Neil Gaiman... La génération plus jeune des auteurs de Welcome to Night Vale, Joseph Fink et Jeffrey Cranor, la citent dans leurs sources d'inspiration, et c'est également le cas de l'auteur de Notre Château, Emmanuel Régnier, dont le livre puise beaucoup dans le roman Nous avons toujours habité le château. Il y a aussi une vraie filiation avec certains textes fantastiques de Thomas Ligotti, me semble-t-il.

Pour autant, Shirley Jackson a eu une carrière relativement courte (elle est décédée à 48 ans d'une attaque cardiaque), et une production qui comprend une énorme quantité de nouvelles (dont toutes ne seraient pas encore parues, si on en croit la bibliothèque qui détient ses archives), pour 6 romans, 2 autobiographies, et 4 romans jeunesse.

Bien qu'elle soit particulièrement reconnue pour deux romans qui appartiennent aux "genres" (Hantise, qui est une histoire de maison hantée parfaitement subtile hésitant entre surnaturel et folie des occupants; et Nous avons toujours habité le château, thriller psychologique ou roman policier noir, qui joue lui aussi sur l'instabilité mentale et l'enfermement), toute son œuvre n'est pas fantastique, bien au contraire. Mais on y retrouve quelques éléments typiques, qui placent ces textes à la limite de ce qui pourrait être du genre.

Mrs Jackson était très douée dans la description de la société bourgeoise américaine, et de ses mœurs plus ou moins rangées et aliénantes. S'astreignant à plusieurs heures d'écriture par jour, elle décrivait ce qu'elle connaissait le mieux, en tant qu'épouse à domicile vouée à l'éducation de ses quatre enfants et au soutien de la carrière de son mari, universitaire et critique littéraire.
Au long de sa vie, elle est restée proche des milieux littéraires en organisant des réceptions auxquels étaient invités des acteurs de ce monde, et en donnant plus tard des cours d'écriture.
Une vie étonnante, dans la mesure où elle reste reconnue pour ses textes sombres.

The lottery, dans son édition originale
Le recueil La Loterie, donc, est paru sous le titre The lotery and other stories or the adventures of James Harris en 1949 aux Etats-Unis.
A l'origine de cette publication se trouve l'histoire éponyme, publiée dans le New York Times, et dont la publication suscita chez les lecteurs des réactions particulièrement violentes : certains menacèrent de se désabonner, d'autres décrivirent Shirley Jackson comme "Anti-Américaine", "Sadique"...
Le recueil comporte aux Etats-Unis 24 nouvelles, dont de nombreux personnages portent le nom de Harris.
Il a été traduit en français en 1980 à La librairie des Champs-Elysées, par Dominique Mols. Dans cette édition, l'ordre des nouvelles est bouleversé, et 5 nouvelles n'ont pas été traduites*. Une réédition en a été faite en Pocket Terreur en 1994.
Le sommaire suivant est celui de l'édition française, je mettrai à jour cet article avec l'édition originale quand je l'aurai lue.
Attention, il y a des demis-spoilers dans cette présentation (je ne dévoile pas la fin, mais on sait de quoi parle la nouvelle).

La Dent
Une gentille épouse quitte sa campagne et son mari pour se faire arracher une dent chez un bon chirurgien dentiste de New York. Entre les anti-douleurs, le whisky et les somnifères, elle commence une expérience de voyage des plus étranges. Le fantastique est quasi-imperceptible, mais ce long bad trip porte de nombreuses marques de l'étrange : un mystérieux passager qui l'aborde ("Jim" = James ?), en susurrant des paroles incohérentes mais poétiques, la sensation de dépersonnalisation lors des soins médicaux et la sensation grandissante d'égarement rendent le texte singulier.

L'Amant diabolique
Une femme s'éveille, et des brumes de son sommeil se souvient qu'aujourd'hui elle doit épouser Jamie. Elle choisit ce qui lui semble être une robe appropriée, et ne le voyant pas arriver, part sur ses traces, de plus en plus mystérieuses. Cette fois encore, le fantastique est subtil : notre héroïne, un peu âgée selon les critères de l'époque, se raconte-t-elle des histoires ? Il semble que ses sens soient troublés. Qui est ce mystérieux Jamie ?

The Villager
Miss Clarence, qui a très bien réussi sa vie, et a une belle situation, a l'intention d'acheter des meubles après avoir lu une petite annonce. Elle entre dans l'appartement dont elle a l'adresse, et s'y trouve seule, avec une note de la propriétaire lui demandant de faire son choix en son absence. La rencontre avec un autre acheteur, Harris, qui vient d'emménager à New York, lui fait envisager ses choix de vie d'une manière toute différente... Il n'y a pas de fantastique dans cette nouvelle, juste l'inconfort léger du choix final de Miss Clarence, et la dernière phrase qui vient appuyer la sensation de malaise diffus de la scène de discussion.

Charles
Deux parents envoient leur petit Laurie à l'école pour la première fois. Celui-ci revient en parlant du petit Charles, gamin insupportable et presque inquiétant. De semaine en semaine, les deux adultes prennent des nouvelles de l'affreux bambin en imaginant la vie de famille que ses parents doivent avoir. Heureusement, la réunion scolaire arrive, et leur permettra de les rencontrer.
Il s'agit de l'un des textes les plus autobiographiques de Shirley Jackson, et qui figure également dans son livre Raising demons (Démons en herbe), où elle dépeint l'éducation de ses enfants. S'il y a bien un twist à la fin du récit, il est plutôt amusant. On voit cependant dans la description des excès de Charles avec quelle maîtrise Shirley Jackson parvient à inspirer de l'inquiétude, par une simple phrase.

Ma vie chez R.H Macy
Un instant de vie dans un grand magasin Macy's, raconté par une employée, et insistant sur la dépersonnalisation et l'inhumanité de cette très grande structure, jusqu'au burlesque. Très court, très drôle, avec un goût de Brazil, de Temps modernes, et plus lointain, de Demain l'usine, ce texte génial de Messieurs Henry et Mucchielli (dans Yama Loka Terminus).

Le sorcier
Un charmant petit garçon, sa petite sœur et leur maman patientent dans le train, quand un homme sympathique s'installe dans leur compartiment et dit quelques mots au garçonnet. Quelques mots inattendus. Le texte repose entièrement sur ce décalage, qui parvient encore à nous déranger à notre époque (je n'ose imaginer ce que le lecteur en pensait en 1949).

Sept types d'ambiguïté
Une nouvelle cruelle sur les rapports entre la culture et l'argent, dans une librairie d'occasion tenue par un certain M. Harris, où se rencontrent un jeune étudiant cultivé mais désargenté et un couple plus fortuné mais ayant moins de temps à consacrer à l'étude. La méchanceté sereine qu'on y trouve en fait l'une de mes préférées du recueil.

Les renégats
Mrs Walpole apprend que son chien a tué les poules du voisinage, et tous s'accordent à dire qu'un tel travers ne peut être soigné. Plus sa journée avance, et plus les solutions qu'on lui propose gagnent en horreur. Le malaise augmente lui aussi (mais il me semble que la dernière phrase, coup de couperet que se réservaient bien des novellistes à l'époque, est presque superflue).

Ebriété
Dans une réception à la Mad Men, un invité ivre s'isole dans la cuisine, et rencontre la fille de famille, dont le hobby principal est l'évocation de la fin du monde. La nouvelle a perdu de sa force de frappe (le décalage, toujours), peut-être parce qu'en 1949, les ados gothiques étaient moins fréquents...

Statue de sel
Un couple profite de l'absence d'un ami pour aller passer quinze jours à New York. Le moment de rupture se produit lors d'une soirée chez un ami, alors que quelqu'un crie "au feu." Encore une histoire pleine de perceptions troublée, et d'instabilité psychologique, qui ressemble beaucoup à La dent.
Le titre fait référence à l'épouse de Loth, qui lors de sa fuite, s'était retournée pour regarder la destruction de Sodome et Gomorrhe, et s'était ainsi transformée.

Colloque
Une très courte histoire de folie, basée sur les termes journalistiques, où "médecine psychosomatique" et "inflation déflationniste" représentent des dangers pour la stabilité mentale.

Le pantin
Deux dames vont dîner dans un restaurant à spectacle. Un de leurs voisins de table est le ventriloque, odieux avec sa petite amie. Il me semble que le sujet du ventriloque, très à la mode dans l'imaginaire des années 50-60, est un peu passé, et qu'avec ces dames très bourgeoises, le texte a mal vieilli.

Combat Judiciaire
Dans un meublé, la jeune Emily tente de confronter sa voisine plus âgée et légèrement kleptomane. On ne trouve pas dans ce texte d'élément véritablement dérangeant, et le final est plutôt touchant (et un peu moral). Par contre, on retrouve bien la délicatesse de Shirley Jackson, et c'est cette arme-là, bien maîtrisée, qui lui permet de nous toucher ou de nous effrayer. Il est évident qu'elle aurait pu, en modifiant la gradation des réactions de ses personnages, nous faire éprouver autre chose.

Bien sûr
Mme Tylor a de nouveaux voisins. Les voyant déménager, elle discute avec Mme Harris, sa nouvelle voisine, dont le mari n'aime ni la radio, ni les journaux, ni le cinéma... Ici aussi, le "sunny side" de Shirley Jackson, la banlieue Américaine et ses inconforts.

Les hommes, et leurs grosses chaussures !
Mme Hart, future jeune maman, a une bonne envahissante. Idem.

La lettre de Jimmy
Une lettre est l'occasion d'une dispute de couple. Une de mes nouvelles préférées, ici aussi, qui témoigne vraiment du talent de l'auteur : rien n'est montré dans les réactions, et tout ce qui retient notre attention, tout ce qui est inquiétant, est intériorisé, et ne surgit qu'au détour de quelques phrases. Une leçon de style.

Comme ma mère les faisait
David, qui est un homme d'intérieur accompli, invite son amie Marcia à dîner. Mais Marcia préférerait inviter M. Harris. Ici encore, un simple twist qui rend l'histoire plutôt drôle.

Jardin fleuri
La nouvelle voisine est parfaite, et de très bon goût, jusqu'à ce qu'elle se décide à employer comme jardinier un homme de couleur. Elle est alors la cible des quolibets. Un des textes les plus longs du recueil, où la mécanique impitoyable de l'étroitesse d'esprit broie les meilleures intentions.

Venez en Irlande danser avec moi
Trois dames reçoivent assez mal un vieil homme sans domicile fixe. Il n'est pas ce qu'il semble être.

La loterie
Un petit village célèbre sa plus vieille tradition : une loterie où l'on tire le nom d'un des habitants de la ville. Il s'agit du texte qui donne son nom au recueil, et on ne peut lui nier une certaine force. Pas de Harris à l'intérieur, juste une inquiétude grandissante et parfaitement contrôlée, vers une fin très noire.

Pour résumer : je regrette vivement l'absence des autres textes, vraisemblablement jugés moins intéressants et écartés de la version française. James Harris, fil conducteur de nombreuses nouvelles, est pour Shirley Jackson la personnification du Diable, du côté sombre de tout être humain, et qui peut-être plus ou moins dompté. Une fois que l'on a la "clé" du recueil, il est facile de chercher sa présence dans les différents textes, et de lire différemment ces chroniques du quotidien.
Les sujets abordés ont plus ou moins bien vieilli, mais on y trouve ce qui fait la force de l'auteur, cette subtilité, et cette capacité à s'amuser des autres, et sa maîtrise absolue du récit.
Il est aussi appréciable de découvrir d'autres œuvres, qui touchent plus à la satire de la société américaine de son époque.
Une chose est certaine : entre les faiblesses et les folies de ses contemporains, et son fantastique plein d'ombres, Shirley Jackson n'est décidément pas bienveillante.

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* C'est l'édition que j'ai entre les mains, l'ayant commodément trouvée en bibliothèque (il fallait bien que je commence par quelque chose). Les textes absents du recueil français, si je compte bien, seraient les suivants : After you my dear Alphonse, Afternoon in linen, Dorothy and my grandfather and the sailors, Elisabeth, A fine old firm.

All the murmuring bones, Angela Slatter

C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...