samedi 23 avril 2016

Le cadran solaire, Shirley Jackson

Shirley Jackson, on en reprendrait bien un peu ?

Alors, le Cadran Solaire, paru aux Etats-Unis en 1958, sous le titre The Sundial, et en France en 1995 dans la collection Pocket Terreur. L'édition que j'ai en main est donc un poche assez jauni, le texte a été traduit par Dominique Haas.

Si l'on consulte le passionnant Panorama du fantastique américain de Jacques Finné, on constate que ce quatrième roman de Shirley Jackson (après les non-traduits The Road through the Wall, 1948, Hangsaman, 1951 et The Bird's nest, 1954), est traditionnellement considéré comme l'un des moins aboutis, en tout cas face à ces classiques que sont Hantise et Nous avons toujours habité le château.



Dans Le Cadran Solaire, la famille Halloran, famille fortunée qui vit dans un impressionnant manoir près d'un village, fait face à la perte du fils héritier. La scène d'ouverture donne le ton du roman, noir et malicieux : le vieux Monsieur Halloran est sénile, son épouse est obsédée par l'argent et le pouvoir, leur belle-fille se montre tout aussi vénale et leur petite fille a un comportement inquiétant.

J'oublie, dans ce qui va très vite composer un huis-clos à l'ambiance délétère, la dame de compagnie, ancien amour de Monsieur, et le jeune homme qui range la bibliothèque, bon à rien flegmatique.
A ce stade, j'ai l'impression de décrire du Wodehouse, cet anglais qui décrivait les travers de la bonne société anglaise dans des romans doucement cinglés, et à l'esprit bon-enfant.

Mais bien sûr, chez Shirley Jackson, ce n'est pas la bienveillance qui prévaut : la sœur de Monsieur, la vieille tante Fanny, susceptible et souffrant de sa condition de vieille fille, se perd un matin dans le jardin et, dans des circonstances des plus inexplicables, a une vision de son père lui annonçant la fin du monde - nouvelle d'autant plus stupéfiante qu'il ajoute que seuls les habitants de la Grande Maison seront épargnés, et sont donc destinés à constituer les Elus du monde futur.

Tout ce petit monde accepte la nouvelle sans trop de surprise, car bien sûr, il est évident que les Halloran sont au dessus du commun. Commence alors l'improbable attente de la fin, entre petits fours et livraisons de matériel de survie, dans un manoir habité par des personnalités plus déplaisantes les unes que les autres.

Et dans ce roman qui annonce les prémisses de Hantise (la maison, subtilement inquiétante par les conditions de sa construction), et de Nous avons toujours habité le Château (ces bourgeois névrosés, en fin de règne, à la santé mentale discutable), c'est à un jeu de massacre dépeignant les travers humains que nous convie Shirley Jackson. Pas vraiment d'horreur ou de fantastique dans ce roman, car la réalité de l'annonce restera un choix laissé au lecteur, mais une comédie noire où personne ne sort indemne.

Shirley Jackson est brillante dans la comédie de mœurs, et quelques scènes sont délectables : la rencontre avec un autre de groupe d'illuminés persuadés de la survenue de la fin est merveilleuse (bien évidemment, ils viennent du village et croient à la survenue des extra-terrestres, à ce titre ils ne peuvent être que traités avec condescendance), la confrontation des habitants de la maison avec ceux du village, qu'il s'agisse de courses, ou de la grande fête que l'on donne en leur honneur avant la fin, constitue un régal de méchanceté. Cette partie n'a pas trop vieilli : de nos jours, l'abominable Orianna Halloran, reine de la punch-line vicieuse, ne pourrait être qu'une star de la télé-réalité dont on commenterait les sorties sur les réseaux sociaux.

La comédie est tempérée de différents moments : une scène terrifiante où l'une des invitées tentant de fuir l'ambiance du manoir se retrouve dans un taxi conduit par un pervers (et qui, me semble-t-il, jure plutôt avec l'ambiance du récit : il est évident qu'il y a danger dans cette scène, alors que le roman laisse un doute bien élevé et moqueur partout ailleurs. Shirley Jackson veut-elle montrer à quel point les habitants sont déplacés dans la réalité ?), quelques scènes touchantes (on comprend notamment que Fanny est l'héritière des relations tordues entre ses parents, et que la petite Demoiselle Halloran serait probablement normale si elle n'avait pas à grandir isolée des enfants de son âge).

J'imagine que les spécialistes qui estiment que ce roman est imparfait font peut-être référence à ces éléments  : les changements d'ambiance soudains, l'ajout régulier de personnages dans un huis-clos, au résultat artificiel (on dirait que Shirley Jackson avait peur de ne pas avoir assez à dire, mais il en résulte que les portraits sont moins fouillés), et la gestion de l'argument du roman : cet apocalypse que l'on ne fait qu'attendre, et dont nous, lecteurs ne verrons rien, le roman se terminant particulièrement abruptement (volontairement malicieusement, me semble-t-il).

Ce sont effectivement des éléments très visibles, mais Le Cadran solaire reste un moment de lecture savoureux, si l'on accepte sa lenteur et son côté daté. On peut y apprécier le fantastique très subtil de Shirley Jackson et son humour malveillant, noir et amer.
Je suis passé à côté lors de ma première lecture, adolescente, et c'est y revenant que j'ai fini par comprendre ce que je lisais. A ce titre, il me semble que l'édition en Pocket Terreur, avec son illustration terrifiante, est particulièrement malvenue, car il est évident que ce titre n'est pas un roman d'horreur, mais une vilaine comédie.

Et en y réfléchissant, je me dis que classer la production de Mrs. Jackson n'est décidément pas chose facile...

Le cadran solaire / Shirley Jackson, traduit par Dominique Haas, Pocket Terreur, 1995.

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