mercredi 24 février 2016

Les incidents de la nuit, David B.

Plusieurs trucs :

- 2006, une étudiante, une petite librairie de province, et les trois premiers fascicules des Incidents, présentés comme un vrai/faux journal XIXe. Emballage intrigant, graphisme déroutant. On y suit un narrateur à la poursuite du rédacteur immortel d'un journal conspirationniste et occulte, dont les objectifs sont incertains, mais malfaisants à coup sûr. Il y a des tonnes de livres et plein de trouvailles pour bibliophile. C'est chouette.
Puis, pendant longtemps plus rien de monsieur B. sur ce sujet.



- 2010, re-rencontre avec le travail d'iceluy, des années après. On admire la beauté de son dessin : noirs graphiques, géométrie très art déco (qui nous évoque les bas-reliefs sumériens du British Museum, on ne sait pas pourquoi, si ce n'est que le British Museum, c'est très bien). La nouvelle bande dessinée, mouvement autour de l'Association dont M. B est l'un des cofondateurs, est héritière de l'esthétique A suivre et d'une partie de ses thèmes, et ça se voit.

- 2014, où l'on parle de cette bande dessinée dans une sordide et bien-aimée librairie du 12e, et où l'on sort sous nos yeux les volumes manquants des Incidents de la nuit, les trois premiers réunis en un volume, et suivis d'un tome deux inédit. Petit regret parce qu'on perd cette couv' évocatrice, et que la mise en couleur, jusqu'à maintenant, affadit le dessin de l'illustrateur. Petit regret parce que s'il y a encore des idées délectables pour bibliophile, la trame narrative part en vrille, les personnages et leurs motivations aussi. Mais ça reste un livre inclassable pour fan de bouquins, et les anecdotes sont savoureuses.



Dans la nouvelle édition, David B. fait référence à un livre de Jacques Yonnet, qui est plutôt culte : Rue des Maléfices, sorte de Mystères de Paris 50's. Psychogéographie toujours. Le texte de Yonnet constitue une somme de l'imaginaire fantastique parisien, dans une période peu habituelle, il est logique qu'il donne lieu à des oeuvres dérivées comme la bande dessinée ci-dessus. Il faut donc lire Les Incidents de la nuit si on aime les livres, et lire Jacques Yonnet si on aime Paris.

- 2016 enfin, on parle des Incidents en public, on prête les Incidents.
La rencontre se fait ou pas, mais l'important est de populariser cette curiosité, à la fois typique du travail de David B. (dimension autobiographique), et pourtant à côté de son travail habituel (bibliomanie fantastique).

mercredi 17 février 2016

Notre château, Emmanuel Régniez


Tout comme leur sœur du Nouvel Attila, les éditions du Tripode font de bien belles choses, et aiment jouer avec la littérature. On peut se souvenir notamment du formidable (en tout cas qui m'avait régalé) Endiguement des renseignements de Fabienne Yvert, recueil d'extraits de courriers des lecteurs de magazine féminins du XIXe siècle, où l'on devinait l'amorce de la société de consommation, extraits rendus caduques et étranges par l'éloignement temporel.


Si l'on se trouve bien du côté de l'expérience littéraire avec le livre d'Emmanuel Régniez (premier livre, nous dit-on, ce qui n'est pas tout à fait vrai, car il faut compter avec un recueil aux éditions du Quartanier, composé de citations de romans), l'ambiance en est résolument plus anxiogène.
En effet, passionné de gothique jusqu'à chasser des thèses sur le sujet jusqu'au Japon, Emmanuel Régniez se livre à un minutieux exercice d'hommage au genre.

Dans un château, donc (un château, une très belle maison, nous dit le narrateur), vivent un frère et sa sœur. Ils n'ont d'autre occupation que lire les romans que le frère va chercher en ville, les jeudis après-midi, avec une régularité de métronome. Et dans la perfection de leurs habitudes se glisse un grain de sable. Un grain risible pour le lecteur, mais évidemment pas pour ces deux excentriques qui peuplent le livre, dont l'instabilité mentale est palpable dès les premiers mots.
En conséquence, le monde se trouble de plus en plus au fil des pages, laissant grandir l'inquiétude du lecteur, subtilement, sans rien montrer, comme dans un bon roman gothique, jusqu'à ce qu'éclate... Ce que je ne raconterai pas, car il ne faut pas gâcher la fin de ce grand récit maniaque. Mais chut.

Outre sa filiation revendiquée avec les textes des grands auteurs du genre que sont Henry James, Shirley Jackson ou Thomas Ligotti, dont Emmanuel Régniez avoue avoir parfois semé quelques citations au bénéfice des amateurs, le texte bénéficie avant tout d'une écriture maîtrisée parfaitement.
Dans notre château, la forme est indissociable du fonds, et l'expression très particulière des personnages joue un grand rôle dans leur caractérisation et dans l'ambiance inquiétante qui se développe. Son écriture fait de ce texte un plaisir à lire à haute voix, et à entendre. Ce qu'on ne manquera pas de vérifier à la Maison de la poésie (ce sera en Mars, je l'ai vu passer, mais ce n'est pas encore annoncé) pour une lecture sonore angoissante.

Apprécions enfin ce très bel objet que Le Tripode nous met entre les mains, reflet de son contenu écrit : cette photographie découpée comme au scalpel pour en révéler l'étrangeté rappelle la méthode d'écriture d'Emmanuel Régniez, et le cahier de photographies, poétiques et inquiétantes, qui clôt l'ouvrage.
Un livre qui fera donc très bien sur l'étagère, à côté de vos Lewis, Bronté, et autres Sade.

Notre château, d'Emmanuel Régniez, éditions du Tripode, 2016.

mercredi 3 février 2016

Note d'intention : culture pour 2016

2015, année de dévoration culturelle. Avant de repartir à toute allure, voilà un petit point digestif, et l'esquisse de quelques directions que j'aimerais explorer pour 2016 (attention, la note qui suit est indigeste, et je vous ai mis du Kitty Crowther pour compenser).




Bandes dessinées, albums jeunesse
Mes grands coups de foudre cette année sont Transmetropolitan (Ellis/Robertson), Sunny (Tayiou Matsumoto) et Panthère (Evens).
C'est d'ailleurs une dédicace de Brecht Evens qui m'a permis de comprendre plus de choses sur la mise en images d'une histoire (je ne commence qu'à remarquer le truc, le chemin est encore long).
En illustration, je craque pour le travail de Kitty Crowther, dont le petit album Alors ? (dont on peut voir une image plus haut) est mon préféré, je crois. J'aime la simplicité apparente de son dessin, ses mises au couleur au crayon qui ont l'air désordonné mais témoignent d'une vraie maîtrise.
Et il y a eu plein de Bad girls vintage cette année (l'illustration pulp est mon pêché mignon, un jour il faudra que je parle de Deco Devolution, l'art book de Bioshock) : qu'il s'agisse des couv' de Gangster stories, de Bad girls/good girls de Maly Siri ou de Mean Girl Club de Brian Heshka.
Oh, et j'aime l'illustration ancienne, alors ce tumblr, aussi.

Pour 2016, je vais continuer sur ma lancée. Bande dessinée indépendante et illustration sont au programme, et sans doute quelques festivals. J'aimerais aussi aller faire un tour du côté des classiques, Tardi, Breccia... et lire les bandes dessinées publiées dans la mythique collection A suivre.


Livres (romans et documentaires)

De belles lectures : Léo Henry (je n'ai pas le quart de sa culture, mais j'admire sa manière d'utiliser ses connaissances pour fantasmer une histoire), Emmett Grogan (Ringolevio dans une belle édition), Hal Duncan (Velum et Encre). Là aussi mes lectures auront été motivées avant tout par l'envie. Il y aura eu beaucoup de fantastique, finalement, et pas autant de Science Fiction que je l'aurais pensé ou aimé. Pas tant de non-fiction, non plus. Il faut que je me bricole un mécanisme de pilotage viable, c'est un peu l'un des enjeux de 2016.
Aires d'intérêts :
Littérature : grands noms des littératures de genre / de la SF, plein de SF / de la littérature "blanche"/ le nouveau roman, l'écriture beat suite : Kerouac, le fantastique : Borges, Gracq... Les littératures étrangères.
Comprendre le monde : le "roman de la ville" (le vieux Paris, son peuple, ses coutumes, l'histoire et la littérature des grandes villes du 20e siècle) / lectures-passerelles entre sociologie, urbanisme, science fiction et utopie architecturale / littérature de voyage / économie actuelle / le Ruin Porn, histoire et actualité.


Tout le reste (tout le reste)

On continue l'effort cinématographique (ce qui me fait penser que j'ai découvert Every frame a painting, petite série de vidéos Youtube sur l'analyse filmique bien fichue) : nouvelle vague et grands réalisateurs, cinéma documentaire. Je vais essayer d'assister au festival "Cinéma du Réel", tiens. Et peut-être aller faire un tour à la Cinémathèque.
La photographie : histoire, rôle, analyse. Et j'aimerais bien réfléchir 5 minutes à l'action de photographier, qui est à la fois se distancier de l'action et à la fois en garder une copie plus ou moins fidèle, ce qui est quand même pas mal fascinant. Je devrais bien trouver ça quelque part. Peut-être même qu'un jour, je penserais à faire une photo toute bête.
Et la musique, toujours, que je ne sais pas trop dans quel sens prendre.

Voilà pour la carte de l'année.
En sus, parce qu'on ne saurait être que nourriture intellectuelle, on voyagera, sortira, bricolera des trucs...

All the murmuring bones, Angela Slatter

C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...