mercredi 17 février 2016
Notre château, Emmanuel Régniez
Tout comme leur sœur du Nouvel Attila, les éditions du Tripode font de bien belles choses, et aiment jouer avec la littérature. On peut se souvenir notamment du formidable (en tout cas qui m'avait régalé) Endiguement des renseignements de Fabienne Yvert, recueil d'extraits de courriers des lecteurs de magazine féminins du XIXe siècle, où l'on devinait l'amorce de la société de consommation, extraits rendus caduques et étranges par l'éloignement temporel.
Si l'on se trouve bien du côté de l'expérience littéraire avec le livre d'Emmanuel Régniez (premier livre, nous dit-on, ce qui n'est pas tout à fait vrai, car il faut compter avec un recueil aux éditions du Quartanier, composé de citations de romans), l'ambiance en est résolument plus anxiogène.
En effet, passionné de gothique jusqu'à chasser des thèses sur le sujet jusqu'au Japon, Emmanuel Régniez se livre à un minutieux exercice d'hommage au genre.
Dans un château, donc (un château, une très belle maison, nous dit le narrateur), vivent un frère et sa sœur. Ils n'ont d'autre occupation que lire les romans que le frère va chercher en ville, les jeudis après-midi, avec une régularité de métronome. Et dans la perfection de leurs habitudes se glisse un grain de sable. Un grain risible pour le lecteur, mais évidemment pas pour ces deux excentriques qui peuplent le livre, dont l'instabilité mentale est palpable dès les premiers mots.
En conséquence, le monde se trouble de plus en plus au fil des pages, laissant grandir l'inquiétude du lecteur, subtilement, sans rien montrer, comme dans un bon roman gothique, jusqu'à ce qu'éclate... Ce que je ne raconterai pas, car il ne faut pas gâcher la fin de ce grand récit maniaque. Mais chut.
Outre sa filiation revendiquée avec les textes des grands auteurs du genre que sont Henry James, Shirley Jackson ou Thomas Ligotti, dont Emmanuel Régniez avoue avoir parfois semé quelques citations au bénéfice des amateurs, le texte bénéficie avant tout d'une écriture maîtrisée parfaitement.
Dans notre château, la forme est indissociable du fonds, et l'expression très particulière des personnages joue un grand rôle dans leur caractérisation et dans l'ambiance inquiétante qui se développe. Son écriture fait de ce texte un plaisir à lire à haute voix, et à entendre. Ce qu'on ne manquera pas de vérifier à la Maison de la poésie (ce sera en Mars, je l'ai vu passer, mais ce n'est pas encore annoncé) pour une lecture sonore angoissante.
Apprécions enfin ce très bel objet que Le Tripode nous met entre les mains, reflet de son contenu écrit : cette photographie découpée comme au scalpel pour en révéler l'étrangeté rappelle la méthode d'écriture d'Emmanuel Régniez, et le cahier de photographies, poétiques et inquiétantes, qui clôt l'ouvrage.
Un livre qui fera donc très bien sur l'étagère, à côté de vos Lewis, Bronté, et autres Sade.
Notre château, d'Emmanuel Régniez, éditions du Tripode, 2016.
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J'ai trop hâte que la Chambre 101 en parle, ramène son exemplaire et que je puisse le subtiliser :-)
RépondreSupprimerJe crois qu'il y a deux exemplaires en circulation dans ladite Chambre. De quoi emprunter facilement...
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