jeudi 25 octobre 2018

Les rigoles, Brecht Evens

Les nuits de Brecht Evens sont plus belles que nos jours, bonjour.
Brecht Evens est sympathique, Brecht Evens dessine bien, Brecht Evens est le Neal Stephenson de la bande dessinée francophone ... Bref, parlons des Rigoles.


On se souvient de Panthère (un mystérieux animal imaginaire contamine les rêves et la réalité d'une petite fille esseulée), on se souvient des Amateurs (folie chorale d'une bande d'artistes décidés à réaliser une oeuvre collective d'art contemporain à la campagne), mais, quand on lit les Rigoles, on se souvient surtout des Noceurs (heurs et malheurs de Robbie, le Monsieur Loyal de toutes les soirées réussies). Les Noceurs était déjà une bande-dessinée sur l'art de se perdre dans les fêtes urbaines, ou comment joie et futilité peuvent procurer lors du temps suspendu qu'elles constituent une sorte de consolation, un remède réparateur.
Dans les Rigoles, on retrouve un peu de notre cercle de joyeux fêtards, mais la tonalité qui domine tient de la mélancolie douce.
Trois personnages hauts en couleurs se partagent le livre, et la soirée qui s'écoule est constituée de leurs expériences douces-améres : Jona passe ici sa dernière nuit avant de quitter la ville, et ce qu'il voudrait laisser derrière lui ne cesse de le poursuivre, le Baron Samedi (un ami de Robbie) tente de soigner son coeur brisé en se perdant dans les fêtes les plus fantastiques, et Victoria passe une douloureuse soirée en compagnie d'amis, à se couler dans une normalité qui n'est pas tout à fait la sienne.
Trois aventures personnelles complexes, dans le cadre chatoyant des fêtes de Brecht Evens, tellement belles qu'elles font tout oublier : les bars sont légion, les gens joyeux, le taxi sort d'un conte... et cependant, alors que l'on touche du doigt cette magie fêtarde, aucun des trois héros ne s'y retrouve vraiment.
Les Rigoles est le récit de trentenaires qui se font rattraper par le réél, alors que leur oblivion se révèle pour ce qu'il est : une féérie limitée, pour laquelle les coups de minuit qui marquent la transformation en citrouille ont déjà retenti.
Et là sont peut-être les limites de l'exercice : nombreux sont les lecteurs à ne fréquenter ces glorieuses bacchanales que livresquement, voir à ne pas les apprécier du tout, et plus nombreux encore sont-ils à déjà bien connaître les limites des oublis nocturnes : en ce cas, ressentir de la sympathie pour ces personnages légers est plus difficile, et les lecteurs dans cette situation ne ressentiront sans doute d'intérêt que devant la brillante maîtrise technique de l'auteur.
Cela tombe bien, jamais Brecht Evens n'a été plus inspiré, et l'album est une fête en soi : l'auteur inclut dans ses pages maintes citations d'autres artistes, joue avec les plans, le noir & blanc, l'harmonie des couleurs... Les Rigoles est une symphonie qui célèbre le monde de la nuit, et c'est bien comme cela que l'on peut lire cette bande dessinée : en laissant ses yeux s'émerveiller de la beauté de la promenade, comme l'auditeur se laisse emmener en écoutant son musicien préféré. Nous y sommes, c'est très beau, et nul ne sait ce qui se produira lors de la page/note suivante, mais cet instant dont nos sens se régalent, cet instant... est magique.

Les Rigoles, Brecht Evens. Actes Sud BD, 2018.
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* Pardon. Je sais. Aimer autant ce travail chatoyant me positionne illico en tant que hipsterette téléramesque, alors que peut-être toi-même, tu n'y es pas très sensible. Alors pour te remettre, tu peux aussi voir Julie Doucet, et Jhonen Vasquez, ça fera respiration. Des bisous.

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