dimanche 20 décembre 2015

Spécial Roman jeunesse : le gothique féminin de Mary Hooper

La semaine dernière était un peu la semaine de la littérature jeunesse, avec le Salon du Livre et de la presse Jeunesse de Montreuil qui venait juste de se terminer.
Je suis à la bourre pour publier, mais parlons de ces chouettes romans jeunesse parus aux éditions Les Grandes Personnes, et plus particulièrement des intrigants récits de Mary Hooper.

Les éditions des Grandes Personnes sont l'émanation directe de l'activité jeunesse des éditions Panama, qui s'étaient fait connaître pour leur production audacieuse. Si c'est en s'associant avec Antoine Gallimard que l'éditrice Brigitte Morel a pu créer la maison d'édition, elle insiste en interview sur la liberté et l'indépendance de ses choix éditoriaux. Le catalogue est tourné vers une production de qualité, qu'il s'agisse d'albums, de pop-ups, ou de romans. Cette dernière catégorie est particulièrment bien représentée, avec une majorité de textes traduits ambitieux, qui se distinguent sur les étals des librairies grâce à leur maquette allongée aux coins arrondis, et par les très belles illustrations de couverture.

Et c'est grâce à ce dernier détail, cette insistance à faire appel aux meilleurs illustrateurs, et parmi ceux-ci à Pierre Mornet, que je me suis laissé séduire par Mary Hooper.
Cette auteur anglaise, née en 1948, a une importante production de livres destinés à la jeunesse, souvent inspirés de faits historiques.
J'ai choisi de parler de deux d'entre eux, c'est à dire La messagère de l'au-delà et Waterloo necropolis.

La Messagère de l'au-delà (Newes from the dead), traduit par Fanny Lad et Patricia Duez, éditions Panama, 2008, repris aux Grandes Personnes, 2010.


Au-delà de cette quatrième de couv' qu'il ne faut pas lire, et que vous ne lirez pas, parce qu'elle est bien trompeuse sur le contenu, voici ce qui se passe dans ce livre court mais intense : la jeune Anne Green, de la pénombre brumeuse qui suit son décès, raconte de chapitre en chapitre ce qui l'y a amenée. Soit la situation de grande fragilité d'une jeune bonne face aux désirs de son jeune maître, en plein 16e siècle. Anne se laisse convaincre dans un bref instant de crédulité, et tombe enceinte (ces quelques scènes de "séduction" sont très réalistes : pas de désir ou de romantisme, mais bien l'imposition d'une volonté obtenue par le pouvoir). Désespérée, tâchant de cacher son état, elle se retrouve accouchant d'un enfant mort-né dans les latrines de la demeure dans laquelle elle sert ("livre à partir de 13 ans"; le lecteur destinataire doit être un peu défrisé à la lecture). Malheureusement pour elle, la loi anglaise imposait à l'époque à la mère d'un enfant mort-né de prouver qu'elle n'était pas à l'origine de sa mort. Quand sa situation est découverte, le Lord-propriétaire s'assure donc qu'elle soit arrêtée et condamnée à la pendaison pour ce supposé crime (il faut sauver la réputation de la famille).

C'est à ce point qu'intervient le miracle adapté d'un fait historique avéré : après pendaison, alors que les scalpels des chirurgiens de l'Académie des Sciences qui ont acquis son corps s'apprêtent à entrer en action, Anne se réveille peu à peu. Et sème donc le trouble dans l'esprit des praticiens, émerveille les bigots et fascine les foules. Grâce à ce "miracle" monétisable, elle parvient à racheter sa grâce, et se trouve un prétendant mieux intentionné.

Alors : qu'est ce qui a pu suffisament attirer l'équipe de Panama dans ce titre pour qu'elle l'embarque avec elle et le réédite chez Les Grandes Personnes ? A vue de nez : ce sujet troublant et très documenté, avec une écriture très simple. Et le gore presque fantastique de la situation ajoute à la fascination que l'on ressent.
Le roman, raconté à la première personne pour faciliter l'identification, commence dans un cercueil, et frôle sans arrêt la limite de ce qu'on peut faire lire à un jeune lecteur. Les personnages y sont rendus dans toute leur complexité (à l'exception du propriétaire terrien, qui est tout à fait manichéen et aura donc la punition que la morale prévoit).
Le dispositif narratif, qui entremêle deux temporalités différentes, est également un point fort, bien que parfois un peu factice, notamment dans les transitions de fin de chapitre. En bref, ce petit livre est hors normes, et constitue un étonnant livre jeunesse.

Waterloo Necropolis (Fallen grace), traduit par Fanny Lad et Patricia Duez, éditions des Grandes Personnes, 2011.

Encore un roman bien noir, directement issu de la veine creusée par Dickens et Wilkie Collins. Le texte s'ouvre dans un décor plutôt exotique : la ligne ferroviaire London Necropolis, dédiée aux enterrements, et qui opéra entre 1854 et 1941. La jeune fille qui y prend son billet ne va pas à l'enterrement d'un proche, mais glisser dans l'un des cercueils l'enfant mort-né dont elle vient d'accoucher. C'est aussi l'occasion de revenir sur la scène d'accouchement dans un hospice Londonien, et de comprendre que la jeune Grace, orpheline pauvre, et marchande de cresson, est le seul secours de sa grande sœur Lily, mentalement fragile.
Les deux jeunes filles vivent dans des conditions très difficiles, occasion pour Mary Hooper de décrire la pauvreté Londonienne du XIXe siècle. Alors que leur situation empire, Grace est embauchée comme pleureuse pour les enterrements de luxe, et un Deus ex machina directement tiré de la Petite Princesse de Burnett (encore une salvatrice histoire d'héritage), se construit avec ses nouveaux employeurs, les Unwin, au pseudonyme bien choisi.


Bien que j'imagine que cette grosse deuxième moitié du récit soit très satisfaisante pour le lecteur plus jeune, car offrant les ingrédients d'un thriller enfantin, elle cède aux clichés trop souvent pour être lisible par un lecteur plus âgé, qui a déjà lu les classiques du XIXe qui ont servi d'inspiration. Il suffit de dire que les Unwin sont abominables, qu'on y trouve un charmant jeune homme animé de bonnes intentions, et que la justice triomphe.

Le roman est bien plus réussi dans sa première partie, impitoyable dans sa description de la pauvreté, et l'on regrette ce réalisme bienvenu, abandonné au profit d'artifices narratifs gratuits. Il est indéniable que l'objet de la littérature de jeunesse est parfois de frôler des situations perturbantes pour ensuite ramener le lecteur sur des rivages plus rassurants, mais il me semble que cet objectif aurait pu être atteint en restant sur des rails historiques.
Ceci étant dit, c'est une lectrice adulte qui se permet cette remarque, et nul doute que le recours à ces ingrédients classiques du récit populaire peuvent également être appréciés comme un encouragement à aller lire un jour des textes plus anciens.
Il me semble également juste de s'interroger sur la propension de l'auteur à ajouter des références liées à la sexualité et à la maternité dans ses œuvres. Je devrais probablement en lire plus pour me faire une avis, mais je ne peux m'empêcher d'y voir un avertissement bien particulier : les deux jeunes héroïnes ont en commun d'être éloignées de leur famille (où les deux pères sont décédés), à la merci d'hommes malfaisants (plus âgés, plus fortunés), victimes d'abus qui se traduiront par des maternités traumatisantes et mortifères, et qui sont finalement sauvées par l'irruption d'un prétendant décent, qui, lui, les épousera. Cela pourrait être une réminiscence du roman gothique (la jeune fille pure et l'homme fatal, la révélation d'un secret honteux), mais il y a sans doute une forme de morale à la clé.
Enfin, une dernière remarque : Fallen Grace, le titre original du roman, est bien plus adapté que son adaptation française. Il décrit la situation de l'héroïne avec un petit jeu de mots, quand le titre français ne décrit qu'un décor présenté dans le premier chapitre.

Quoiqu'il en soit, on peut apprécier chez Mary Hooper l'ambiance gothique qui rappelle la tradition littéraire anglaise, son amour des situations historiques qui tutoient le fantastique, et son recours systématique à des personnages socialement défavorisés. Une œuvre qui étonne par son originalité, et qui illustre bien les choix très assumés des éditrices des Grandes Personnes.

All the murmuring bones, Angela Slatter

C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...