dimanche 18 octobre 2015

L'autre ville, Michal Ajvaz

Un instant cambriolé à cette rentrée mouvementée pour venir parler de ce livre lu et aimé pendant les vacances.

Tout commence dans la fantastique ville de Prague, qui, comme de nombreuses villes Européennes, a toujours une vibration particulière, eu égard à son riche passé médiéval (maintes histoires de sciences, d'astronomie, d'alchimie, de sorcellerie...), à ses splendeurs début de siècle et à ses mésaventures sous le joug de l'URSS.


C'est dans cette ville qu'un jeune homme, faisant le tour des bouquinistes comme il en a l'habitude, tombe sur un bel ouvrage relié, rédigé dans un alphabet comme il n'en a jamais vu de semblable. Rangé dans sa bibliothèque au cœur de la nuit, l'ouvrage luit d'une étrange lueur verte et lui occasionne de fantastiques et grandioses visions (telles qu'on pourrait imaginer avoir en lisant de vieux numéros de revues d'exploration du XIXe siècle sous l'influence de substances hallucinogènes : un tas de clichés charmants accolés les uns aux autres comme dans un collage de Max Ersnt).

Mu par un incompréhensible et impérieux désir de découvrir ce qui se révèle comme un véritable monde parallèle (comme un peu le Londres-du-dessous, de Gaiman ou Miéville), notre héros s'ouvre au bizarre qu'il découvre derrière la moindre petite annonce, accoudé au zinc d'un bar, ou au détour d'une échoppe : le monde qui affleure par instant est une Prague en folie, pleine de collages baroques et de religions bizarres, qui évoquent fortement le Dadaïsme et l'absurde, et qui mettent le lecteur en joie.

Rejeté par les habitants de cette invraisemblable monde, notre héros persiste à s'y aventurer, quitte à fuir devant la menace de ses incarnations d'animaux qui parlent, ses zélotes religieux et ses Saints étranges. C'est aussi l'occasion pour le lecteur de le suivre de vignettes en vignettes, dans ce qui constitue une succession de tableaux fous et poétiques, reprenant avec démesure l'imaginaire fantastique pour le dézinguer avec humour : où l'on assiste à un cours magistral donné de nuit à l'université sur la grande guerre menée dans les chambres et les salles de bains, où l'on découvre une utilisation alternative du piédestal des statues du Pont Charles, et la monstruosité caché derrière les rayonnages les plus égarés des grandes bibliothèques...

Il faut accepter, en lisant cette fantasmagorie, que l'intérêt de Michal Ajvaz pour le roman se situe ailleurs. Le narrateur est un personnage peu développé, et peu intéressant, les autres figures, justement, ne sont que des figures, qui ne servent que pour nourrir le charme du tableau. La narration serpente et ne va nulle part.
Plus qu'à un roman traditionnel, on fait face à une rêverie fantastique, à laquelle s'entremêle parfois, au détour de l'aventure, une subtile leçon de sagesse et d'acceptation glissée entre deux belles images.

Le propos d'Ajvaz semble plus être un appel à regarder la réalité avec émerveillement, à trouver dans notre quotidien ses propres sources de magie, "en dépit de" : et beaucoup tient à ce "en dépit de". En effet, une menace sourde plane sur le récit malgré tout, et d'une certaine manière, le charme ancestral de Prague est compliqué de son passé plus oppressant.
On s'amuse beaucoup, cependant, et je suis bien persuadée, par exemple, qu'un maître de jeu ayant envie de tirer un jeu de rôle fantastique vers cet ailleurs ébouriffé, pourrait tout à fait utiliser quelques anecdotes de l'Autre ville.

Roman de Prague, leçon de regard poétique, L'Autre Ville est une expérience très particulière, fascinante à chaque page, que je ne peux que recommander aux lecteurs les plus ouverts d'esprits.

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La musique :
Ok, c'est sans doute bien trop pompeux, mais le procédé employé par Ajvaz me fait vraiment trop penser aux Tableaux d'une exposition de Moussorgsky (on peut se passer de la vidéo, c'était purement pour l'illustration musicale).

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