mercredi 18 mars 2015

Under the skin, Michel Faber

Ce livre et moi, c'est grâce à une chronique de la Salle 101 que nous nous sommes rencontrés (et ladite Salle est une grosse source de prescription pour moi, alors vous risquez d'en voir passer des bouquins : il serait sans doute plus économique et plus intellectuellement satisfaisant d'écouter directement ce podcast festif, voire même mieux, d'y aller les mardis et de picoler de la bière en écoutant Raoul et ses sbires en direct).

Souvent, on tombe sur le livre qu'il faut quand il faut ; dans mon cas, j'ai lu Under the skin alors que je m'interroge sur l'alimentation moderne et que je joue les crypto-végétariennes de salon. La souffrance animale, c'est un truc que je conçois, et la pollution des nappes fréatiques, et les OGM... pour ces thématiques-là, on a déjà de bons livres, mais le but de la SF c'est comme toujours de laisser filtrer de bonnes idées par le biais d'une histoire efficace, et c'est ce qu'Under the Skin fait très intelligemment (et oui, je sais que cette intro réduit le récit à un roman à thèse et que c'est pourtant plus que ça).



Dans Under the Skin, nous suivons les pas d'Isserley, étrange conductrice qui prend en stop de jeunes hommes esseulés, semble couverte de cicatrices et curieusement méthodique. Il se révèle vite que notre héroïne provient d'un monde extraterrestre dont les habitants possèdent des caractéristiques physiques plus ou moins canines, qu'elle a été chirurgicalement modifiée pour sembler humaine, et que son rôle est de fournir de la viande (les jeunes hommes qu'elle attire dans son véhicule), négociée à prix d'or, à son peuple.
Le monde d'où elle vient est fortement pollué, et le peuple vit une vie souterraine et inconfortable, pendant que l'élite se partage des intérieurs protégés à la surface, et peut donc se permettre le goût délectable de la viande de vodsel (nous les humains).
Isserley travaille donc pour une riche compagnie bouchère, et mène une vie monacale et douloureuse, jusqu'à l'annonce de la visite de l'héritier de son entreprise, Amliss Voss, jeune extraterrestre à la fourrure lustrée et aux convictions rigoureusement végétariennes.
C'est peu de dire que la confrontation provoque chez Isserley des sentiments contradictoires.

L'une des premières forces du roman réside dans la mise en scène de certains moments-clés, très cinématographiques, qui alternent des descriptions prenantes et les points de vue contrastés des différents personnages. Les scènes d'auto-stop sont marquantes, tout autant que les confrontations entre Amliss et Isserley. Les paysages naturels Écossais sont, ils me semble, parfaitement assortis à la sauvagerie qui parcours le récit : sauvagerie des corps autant que psychique, dont Isserley et les vodsels qu'elle chasse sont tout autant victimes.

On peut louer le travail du personnage d'Isserley, et la situation insupportable dans laquelle elle est placée, alors qu'isolée de ses semblables géographiquement, elle est devenue autre physiquement, et ne peut chercher de réconfort auprès d'eux. Il n'est pas non plus question de communiquer avec les vodsels auxquels elle ressemble, car ce serait leur accorder une humanité qui l'empêcherait de mener sa tâche à bien.

L'écriture, très sobre, laisse toute la place au conflit moral qui s'annonce chez l'héroïne, qui va très vite se retrouver contrainte à plaider pour une cause à laquelle elle ne croit pas elle-même (jusqu'à mentir, jusqu'à cacher l'intelligence évidente du bétail humain).
C'est tout l'intérêt du roman que cette réalisation progressive, qui l'amène peu à peu à comprendre ce qui dans sa mission est intenable.

Bien évidemment, outre cette suffocante traversée du tunnel en la compagnie d'Isserley, le roman tient son rôle de révélateur de nos mœurs : la chaîne d’abattage des vodsels est étrangement familière, tout autant que le plaisir qui naît de leur consommation. La consommation, qui est aussi le maître-mot de l'univers très inégalitaire d'où vient Isserley, dont les injustices sont rendues tangibles à travers la colère rentrée de l'héroïne mutilée comparant son destin barbare et celui très confortable de son patron, lui qui possède le luxe suprême de dédaigner cette viande qu'elle se sacrifie à chasser.

Il faut conclure en ajoutant qu'Under the skin est le premier roman publié de Michel Faber, avant son succés de La rose pourpre et le Lys, et qu'il a été adapté au cinéma en 2014 par Jonathan Glazer.

Et la musique pour digérer tout ça : Wandering souls des Bruxellois de Moaning cities


Under the skin de Michel Faber, traduit de l'anglais (USA) par Michèle Hechter, Points, 2014, 7,20 €

All the murmuring bones, Angela Slatter

C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...