vendredi 27 février 2015

Clameurs : portraits Voltés, entretiens avec les auteurs des éditions La Volte

Ce qui est bien, quand on s'intéresse à un domaine, c'est que peu à peu on s'affine, on découvre de nouvelles ramifications sans fin au sujet qu'on aime bien.
Ce qui m'arrive avec la lecture.
Auparavant, je l'avoue, je ne prêtais pas attention à l'univers autour du livre (le traducteur ? Le maquettiste ? L'illustrateur ? La place du roman dans la carrière de l'auteur? Pas remarqués, ou si peu).
L'histoire éditoriale, et ce travail de construction visionnaire réalisé par les bonnes maisons d'éditions, n'en parlons même pas.


Mais cette ignorance, à force de boulimie livresque, ne pouvait rester intacte.
Forcément, peu à peu, on remarque la couv' qui fait la différence, cette typographie qui fait du livre un bel objet. Et puis, attiré par un style, on remonte à la source pour trouver des livres similaires, alors que la trame plus grande, celle du dessein de l'éditeur, apparaît.
Où l'on s’aperçoit que l'éditeur, tout autant que l'auteur, est un créateur de mondes.
Si l'auteur gère ses personnages et son propre univers, l'éditeur, lui gère ses auteurs, et la vision du monde que les livres qu'il choisit d'éditer offrent au lecteur.
L'un et l'autre sont étroitement liés, et pour l'instant, sont souvent inter-dépendants (oui, je sais, n'oublions pas la fanfic et l'auto-édition, mais là, cette fois, il s'agit d'aborder le circuit classique du livre).

Seulement, ce travail-là, qui se fait hors de l'objet-livre, est bien plus discret.
Il faut le chasser au travers des interview, des conférences, des rencontres en librairie.
Qu'est-ce qui, dans son histoire personnelle, dans son éducation, fait un auteur ? Qu'est ce qui fait la rencontre de ses fonds de tiroirs avec les intentions d'un éditeur ?


Cette histoire apocryphe, c'est tout le propos de Clameurs, ouvrage dont l'objet est de présenter des auteurs de l'éditeur La Volte, à l'occasion de ses 10 ans.
Au travers de très longs entretiens, Richard Comballot interroge ces écrivains sur leur carrière, sur leur définition du monde et leurs choix esthétiques. Progressivement se dessine en creux l'histoire de la maison d'édition qui les rassemble, conçue en 2004 par son créateur, Mathias Echenay, pour éditer le roman La Horde du Contrevent d'Alain Damasio, puis poursuivie  avec exigence en éditant des auteurs inclassables qui correspondent difficilement aux cases de la littérature de science-fiction.
C'est un recueil infiniment enrichissant, pour de nombreuses raisons. Le name-dropping de lectures recommandables est quasi-permanent (il faudrait un cahier de notes à côté, tout le temps), les opinions d'auteurs comme Damasio et Beauverger sur l'écriture et son rôle sont nourrissantes, la sélection de questions de Richard Comballot ne laisse rien ignorer des auteurs ainsi passés à la question (et il s'agit bien de semi-torture, si l'on en croit les gémissements d'épuisement poussés par les auteurs à bout, après des heures d'interview).
Il ressort de ces conversations une certaine vision du rôle de l'écrivain dans la société contemporaine, et une approche holistique de la création narrative, pour tous les auteurs dispersée en divers supports : jeu de rôle, jeu vidéo, fanzine ou journaux, associations avec la musique... qui reflète parfaitement le positionnement de la Volte, dont les livres sont très souvent associés à des CDs, et qui encourage la réalisation de DVD et de performances artistiques inspirés des ouvrages.
C'est certes une petite part des littératures de l'imaginaire à la française qui est offerte à nos regards, mais c'est l'une des plus étonnantes et riches d'innovations, par son exigence et son audace.

Enfin, l'objet en lui-même est si réussi esthétiquement qu'il permet des discussions dans le métro ("il est beau ce livre. C'est quoi ? C'est bien ?")

La musique : Mr Investigator, du groupe Hint, que Stéphane Beauverger mentionne (il est très fan et a travaillé avec eux pour l'édition du CD accompagnant le troisième volume de sa trilogie Chromozone), ici en concert avec le groupe EZ3kiel :




Clameurs : entretiens menés par Richard Comballot, avec Jacques Barbéri, Stéphane Beauverger, David Calvo, Philippe Curval, Alain Damasio, Emmanuel Jouanne, Léo Henry.
Illustration de couverture Laure Afchain et Corinne Billon.
La Volte, 2014, 16 €

lundi 23 février 2015

L'homme que les arbres aimaient, Algernon Blackwood

Se faire peur est une des lignes directrices des littératures.
Qu'il s'agisse de frissonner ensemble en disant un conte à la veillée, pendant les hivers paysans du 17e siècle, de cavaler dans les dédales de couloirs souterrains du roman gothique au 19e siècle où d'écouter l'invasion des extra-terrestres à la radio dans les 30's, nous autres lecteurs nous délectons de cette petite appréhension, que la raison dément, mais qui le temps d'un instant nous fait questionner la réalité.
Heureusement pour nous, ce type de littérature nous laisse de belles découvertes hors les grands classiques du genre : par exemple, ici, le Britannique Algernon Blackwood, dont une sélection de nouvelles a été éditée par L'Arbre vengeur, en 2011, et qu'on vient de m'offrir pour mon anniversaire, d'où cette soudaine envie de commenter ce que j'ai lu.


Dans le cas de Blackwood, relativement oublié en France, une préface conséquente d'Alexandre Marcinkowski permet de présenter l'auteur et son importance dans le paysage littéraire fantastique anglo-saxon.
Où l'on découvre un homme qui a toujours cherché à écrire, et qui reconnaissait pour parvenir à créer ses nouvelles fantastiques "se plonger lui-même dans des états fantomatiques."

Le recueil de l'arbre vengeur, composé de cinq nouvelles, semble porter le thème du "fantastique naturel": quatre nouvelles présentent en effet la nature comme porteuse d'extraordinaire, ou la décrivent avec un amour tout particulier.

C'est le cas de la toute première, Les Saules, oeuvre fantastique très traditionnelle, marqué par un sentiment d'angoisse grandissante autour de ces fins arbres à la mauvaise réputation.
C'est le cas, plus brillamment encore, dans l'incroyable nouvelle qui donne son nom au recueil, L'homme que les arbres aimaient, où la conscience des arbres, et leur amour pour leur gardien donne lieu à un combat entre croyances païennes et foi chrétienne. De manière très surprenante, ce qui commençait comme une nouvelle classique dévie de plus en plus vers des considérations métaphysiques, avec un superbe personnage témoin des faits, l'épouse en lutte pour la sauvegarde de son mari, qui de chaste bigote, devient la seule barrière entre la saine réalité catholique et la folie païenne qui convoite son époux.
On retrouve encore la nature dans les très beaux paysages du Passage pour un autre monde, nouvelle élégante et amoureuse où un jeune homme tente d'arracher sa promise à l'enchantement du petit peuple des elfes et des fées des bois, et dont quelques passages touchent au merveilleux pur, bien près des contes de Lord Dunsany.
La nature est encore présente, mais de loin, dans le récit clos du Piège du destin, où trois personnages, deux hommes, une femme, isolés dans une maison hantée au coeur des bois, se trouvent la proie de craintes déraisonnées et de leur propre situation amoureuse.
Enfin, le dernier récit, La Folie de Jones, s'éloigne très loin des belles forêts inquiétantes pour nous entraîner à la suite d'un employé de bureau missionné pour se venger de son employeur, qui l'a torturé dans une vie précédente. Bien que ne portant pas la trace de la nature très présente dans le reste du recueil, elle présente la même sensibilité au surnaturel, qui semble être une des marques distinctives de Blackwood.
Cet intérêt pour l'ailleurs, que l'on retrouve au travers des sensations quasi-mystiques qu'expérimentent les différents personnages est en effet l'autre marque bien singulière de l'oeuvre de Blackwood : membre du célèbre Ordre hermétique de l'Aube dorée, amateur d'occultisme et de bouddhisme, il se sera passionné toute sa vie pour l'invisible, et ses écrits en portent la trace visible, tirant ces récits du fantastique traditionnel vers la mystique, et donnant à ces nouvelles leur étonnante profondeur.

La musique : War Song, de Tomahawk, sur l'album Anonymous (2007)



L'Homme que les arbres aimaient, Algernon Blackwood,
L'Arbre vengeur, 2011. 16€30


All the murmuring bones, Angela Slatter

C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...