Ce qui m'arrive avec la lecture.
Auparavant, je l'avoue, je ne prêtais pas attention à l'univers autour du livre (le traducteur ? Le maquettiste ? L'illustrateur ? La place du roman dans la carrière de l'auteur? Pas remarqués, ou si peu).
L'histoire éditoriale, et ce travail de construction visionnaire réalisé par les bonnes maisons d'éditions, n'en parlons même pas.
Mais cette ignorance, à force de boulimie livresque, ne pouvait rester intacte.
Forcément, peu à peu, on remarque la couv' qui fait la différence, cette typographie qui fait du livre un bel objet. Et puis, attiré par un style, on remonte à la source pour trouver des livres similaires, alors que la trame plus grande, celle du dessein de l'éditeur, apparaît.
Où l'on s’aperçoit que l'éditeur, tout autant que l'auteur, est un créateur de mondes.
Si l'auteur gère ses personnages et son propre univers, l'éditeur, lui gère ses auteurs, et la vision du monde que les livres qu'il choisit d'éditer offrent au lecteur.
L'un et l'autre sont étroitement liés, et pour l'instant, sont souvent inter-dépendants (oui, je sais, n'oublions pas la fanfic et l'auto-édition, mais là, cette fois, il s'agit d'aborder le circuit classique du livre).
Seulement, ce travail-là, qui se fait hors de l'objet-livre, est bien plus discret.
Il faut le chasser au travers des interview, des conférences, des rencontres en librairie.
Qu'est-ce qui, dans son histoire personnelle, dans son éducation, fait un auteur ? Qu'est ce qui fait la rencontre de ses fonds de tiroirs avec les intentions d'un éditeur ?
Cette histoire apocryphe, c'est tout le propos de Clameurs, ouvrage dont l'objet est de présenter des auteurs de l'éditeur La Volte, à l'occasion de ses 10 ans.
Au travers de très longs entretiens, Richard Comballot interroge ces écrivains sur leur carrière, sur leur définition du monde et leurs choix esthétiques. Progressivement se dessine en creux l'histoire de la maison d'édition qui les rassemble, conçue en 2004 par son créateur, Mathias Echenay, pour éditer le roman La Horde du Contrevent d'Alain Damasio, puis poursuivie avec exigence en éditant des auteurs inclassables qui correspondent difficilement aux cases de la littérature de science-fiction.
C'est un recueil infiniment enrichissant, pour de nombreuses raisons. Le name-dropping de lectures recommandables est quasi-permanent (il faudrait un cahier de notes à côté, tout le temps), les opinions d'auteurs comme Damasio et Beauverger sur l'écriture et son rôle sont nourrissantes, la sélection de questions de Richard Comballot ne laisse rien ignorer des auteurs ainsi passés à la question (et il s'agit bien de semi-torture, si l'on en croit les gémissements d'épuisement poussés par les auteurs à bout, après des heures d'interview).
Il ressort de ces conversations une certaine vision du rôle de l'écrivain dans la société contemporaine, et une approche holistique de la création narrative, pour tous les auteurs dispersée en divers supports : jeu de rôle, jeu vidéo, fanzine ou journaux, associations avec la musique... qui reflète parfaitement le positionnement de la Volte, dont les livres sont très souvent associés à des CDs, et qui encourage la réalisation de DVD et de performances artistiques inspirés des ouvrages.
C'est certes une petite part des littératures de l'imaginaire à la française qui est offerte à nos regards, mais c'est l'une des plus étonnantes et riches d'innovations, par son exigence et son audace.
Enfin, l'objet en lui-même est si réussi esthétiquement qu'il permet des discussions dans le métro ("il est beau ce livre. C'est quoi ? C'est bien ?")
La musique : Mr Investigator, du groupe Hint, que Stéphane Beauverger mentionne (il est très fan et a travaillé avec eux pour l'édition du CD accompagnant le troisième volume de sa trilogie Chromozone), ici en concert avec le groupe EZ3kiel :
Clameurs : entretiens menés par Richard Comballot, avec Jacques Barbéri, Stéphane Beauverger, David Calvo, Philippe Curval, Alain Damasio, Emmanuel Jouanne, Léo Henry.
Illustration de couverture Laure Afchain et Corinne Billon.
La Volte, 2014, 16 €