jeudi 9 janvier 2025

2024 en livres

Il m'a semblé raisonnable de commencer 2025 par un retour sur les productions culturelles qui ont pu me réjouir en 2024, pour donner un bon coup de balai à l'année passée, et décider ce que j'en garde.

J'ai eu beaucoup de mal à lire cette année. Pour ne pas complètement abandonner, et j'ai principalement dévoré de la littérature d'évasion en anglais. J'ai aussi essayé de lire de la non-fiction plus régulièrement, avec quelques lumières particulières : Ceux qui restent, de Benoît Coquard, La fin des monstres, de Tal Madesta, et Les Guerres Mondiales, le désastre et le deuil, de Julie Le Gac et Nicolas Patin.

Cependant, à l'heure d'en faire un compte-rendu, je compose en bouquet ce qui me semble être les lignes fortes de mes lectures : des romans de genre présentant des héros et héroïnes qui tient des tréfonds de leur personnalité les forces nécessaires pour faire face à un environnement instable et inquiétant, dont les capacités à guérir du passé sont mise à l'épreuve.

Quelques titres, et ce que j'y ai vu :

- The Wolf and the Woodsman, Ava Reid (2021) - fantasy

Le premier roman d'Ava Reid, encore très près de ses études d'anthropologie. C'est un roman imparfait (il est assez déséquilibré en termes de structure), mais très appréciable par son ambiance. La première partie nous plonge dans les contes traditionnels russes avec un système de magie inhabituel, la deuxième dans la culture juive du Moyen-Âge. Et comme souvent avec les auteurs qui puisent une partie de leur inspiration dans des sources anthropologiques (vous savez à quelle autrice je fais référence ;-), c'est original et intéressant. Je crois que c'est là que j'ai commencé à m'intéresser à Ava Reid, et j'ai lu à la suite A study in drowning (VF : Un passé englouti), qui est bien plus jeunesse, assez imparfait également, mais qui aborde avec une grande honnêteté le sujet des violences sexistes et sexuelles, et leurs conséquences psychologiques. Un livre dont je me suis dit que j'espérais que beaucoup de jeunes lectrices le liraient. Et c'est tout pour Ava Reid, je trouve ses derniers romans moins ambitieux que son premier, ou en tout cas, ses influences sont maintenant bien plus classiques. J'ai l'impression qu'elle a quitté le terrain de la fantasy à worldbuilding pour celui des réécritures, et si j'ai bien dans ma PAL sa version de Lady Macbeth, je ne suis pas certaine de le lire avec autant d'empressement (je regrette un peu cette tendance, je préférerais des textes plus uniques). Ce qui nous fait une transition parfaite pour une autrice qui a eu à peu près la même évolution.

 

- Hide (2022) et Mister Magic (2023), Kirsten White - horreur

Kirsten White a commencé par écrire du Young adult et des sérialisations de Buffy contre les vampires. De ses romans d'horreur, j'ai lu Hide et Mister Magic, dont les thèmes nostalgiques sont particulièrement attirants. Hide est un huis-clos à la "Et alors il n'en resta plus aucun" d'Agatha Christie : de jeunes participants sont recrutés pour une téléréalité dans laquelle ils doivent chaque jour se cacher dans un parc d'attraction abandonné. Deux participants sont "trouvés" par jour, et disparaissent mystérieusement. Évidemment, la production cache un bien plus noir secret. Mister Magic, quand à lui, reprend un creepy pasta, sur une émission pour enfants des années 80, que seuls certains enfants ont en mémoire, dont les traces internet ne cessent d'être effacés. On se souvient vaguement qu'un groupe d'enfants jouait avec le mystérieux Mister Magic, ce magicien qui pouvait exaucer tous les rêves, et certains adultes ayant regardé l'émission jurent mordicus qu'ils ont vu un des enfants mourir en direct, raison de l'arrêt brutal du programme. Des années plus tard, une ancienne participante est recontactée par ses camarades.

Ces deux romans, qui sont rédigés dans la grande tradition du roman d'horreur bien 90's, ont pour point commun des personnages ayant eu des enfances malheureuses, que des épreuves surnaturelles vont confronter à leurs croyances et à leur passé. Kirsten White est très claire dans ses postfaces : ces deux romans sont pour elle des moyens d'exorciser une enfance difficile (passé dans un culte religieux, explique-t-elle). Les deux romans sont très intrigants, avec une ambiance savoureuse, mais peut-être un peu fragiles lors de la résolution. Le dernier roman de l'autrice est également une réécriture, cette fois-ci du personnage de Lucy Westenra dans Dracula. 

 

- A theory of haunting (2023), suivi de The Bone Key (2007), et le cycle de quatre romans La Doctrine des Labyrinthes (2005-2009), Sarah Monette - fantasy, fantastique

Sarah Monette est ma meilleure découverte de l'année, la preuve, je suis peu à peu en train de lire toute sa production. J'ai commencé en 2023 en lisant le charmant The Goblin Emperor (2015, Prix Locus), dont j'avais trouvé la maestria d'écriture très satisfaisante : Sarah Monette, qu'elle écrive sous un pseudonyme ou l'autre (Katherine Addison), a une véritable aisance littéraire. Cette année, j'ai découvert la partie dark fantasy et fantastique de son travail, et je compte bien en parler un peu. Le délicieux recueil The Bone Key, et la novella A theory of haunting se déroulent dans le même univers : un monde très lovecraftien, dans lequel on suit Mr.Booth, un archiviste exquisément bien éduqué, qui travaille pour un musée suranné, et dont le quotidien consiste à confronter maints objets maudits, fantômes, et créatures malveillantes, le tout avec le savoir-vivre le plus parfait. Sarah Monette a écrit qu'elle était Booth ; j'adore Booth, s'il existait je lui offrirais sans doute le thé. Les textes autour de ce héros sont un pastiche très bien mené de nouvelles fantastiques anglaises, avec le talent de Sarah Monette pour le worldbuilding : c'est à la fois horrible et amusant, je les conseille sans réserve (quelques textes de The Bone Key sont réjouissants d'humour absurde). Mais ma plus grande satisfaction en termes de lecture était sans nul doute les quatre gros tomes de La Doctrine des Labyrinthes : Mélusine, The Virtu, The Mirador, Corambis. C'est la fantasy la plus sombre, avec le worldbuilding le plus savant et détaillé que j'ai lu depuis longtemps. On y suit deux frères, abandonnés à leur naissance : l'un, ancien prostitué, est devenu un sorcier puissant, bien inséré dans la bonne société, l'autre, ancien assassin, est un petit voyou qui enchaîne les missions douteuses pour subsister. Le cycle est l'histoire de leur rencontre, et de la lente progression de leur affection, dans de très nombreux lieux, car Sarah Monette réalise un véritable tour de force de création, en enchaînant les décors aussi bien que les péripéties, donnant à l'ensemble un petit côté feuilleton 19e. J'ai lu mes Mystères de Paris, mes Fantômas et mes Arsène Lupin, et je pense que Monette est une digne héritière. Elle est par ailleurs exceptionnelle pour créer un monde si cohérent que les personnages se parlent en faisant des allusions crédibles à des pièces de théâtres, des lieux, des textes... réputés dans leur monde. Je ne peux conclure sans préciser que le cycle est noir, très noir, et que les écrits de Sarah Monette semble tourner autour d'une certaine fascination pour la définition du genre, avec des personnages qui jouent avec leur expression de genre, s'expriment avec des caractéristiques d'un autre genre. Ce sont des questions qui semblent importantes pour elle personnellement et que l'on retrouve tout au long de son travail, y compris le dernier The Angel of the Crows (2020), qui est une réécriture de Sherlock Holmes. Point Alma Mater : Katherine Addison "a rédigé sa thèse sur les fantômes dans les tragédies de vengeance anglaises de la Renaissance" (Wikipedia), ce qui semble expliquer une partie de ses maniérismes et de ses goûts littéraires. J'aime particulièrement son élégante écriture et ses personnages tourmentés, et heureusement, je n'ai pas encore tout lu.


-The haunting of Velkwood, Gwendolyne Kiste (2023) - horreur

De Gwendolyn Kiste, j'avais lu Reluctant Immortals (2022), son précédent roman, et j'avais déjà pu apprécier son immense culture littéraire et son sens de l'humour. Elle a commencé sa carrière comme critique de théâtre, a écrit des pièces, réalisé des films indépendants, avant de se tourner vers l'écriture, et de recevoir un Bram Stoker Award pour son roman Young Adult The Rust Maidens. Reluctant Immortals était une fantaisie cruelle mettant en scène Mina Murray Harker (l'héroïne de Dracula de Bram Stoker), et Bertha Mason (la folle dans le grenier de Jane Eyre de Charlotte Brontë), qui dans le Los Angeles des 70s vont devoir faire face à leur ex toxiques (et à Jane qui est une Pick me girl). C'était une lecture férocement réjouissante, ce que The haunting of Velkwood n'est pas : il se dégage de ce roman une angoisse et une mélancolie toute adolescente. Trente ans plus tôt, un quartier entier d'une banlieue américaine a changé de statut pour devenir un quartier hanté : ses habitants sont réduits à l'état de fantômes, ses maisons dressent leurs ombres fantomatiques sur le voisinage, et ceux qui parviennent à y mettre le pied sans être immédiatement rejetés par une force mystérieuse constatent que le temps s'y écoule différemment. De ce lieu maudit, trois jeunes filles ont pu s'enfuir avant la catastrophe, et devenues femmes, gèrent avec peine les souvenirs qu'elles en ont. Bien sûr, il va leur falloir y revenir. The haunting of Velkwood est un excellent roman, qui traite du mal-être adolescent, de l'homophobie, et de la nostalgie. Je suis assez contente d'avoir encore du Gwendolyne Kiste à lire en 2025, je trouve qu'elle réussit à traiter de sujets douloureux avec une vraie délicatesse. Une partie de ses textes est disponible en français aux éditions du Chat Noir.

- Wolf Hall, Hilary Mantel (2013-2022) - roman historique

Cette année, j'ai fait deux très beaux voyages en terres britanniques : le premier à Glasgow, le deuxième à Londres, où je suis allée visiter Hampton Court, le château d'Henri VIII, plus sinistrement connu comme le roi qui inspira le conte de la Barbe Bleue, l'homme aux 6 épouses, dont 2 qu'ils condamna à la décapitation. L'excellent Wolf Hall nous plonge au cœur de cette histoire, et nous fait suivre l'un des hommes les plus influents de la cour, le très intrigant Thomas Cromwell, drapier, serviteur de l'archevêque d'York Thomas Wolsey et bien vite conseiller du roi. La langue d'Hilary Mantel est magnifique, et elle a un grand sens du récit. Grâce à elle, les turpitudes de la cour, et de ses personnages aux grands pouvoirs et aux petites âmes, nous deviennent aussi familières que si nous les avions vues nous même. C'est un régal, et cela a transformé ma visite du château. Je crois qu'un de mes conseils en matière de voyages, ce sera toujours ceci : préparer en lisant sur les lieux, pour leur donner toute leur dimension au moment de la visite. Car rien ne vaut de visiter l'ancien bureau de Wolsey quand on l'a vu, confortablement installé, discourir finement de diplomatie avec une petite liqueur à la main, à travers les yeux d'Hilary Mantel.


- Ancient images, Ramsay Campbell (1989) - horreur

Dans un de mes nombreux cahiers se trouve une liste des romans d'horreurs sur le cinéma publiés au 20e siècle, et ce roman-ci en fait partie. Il m'a fallu aller jusqu'en Écosse pour le trouver, et je suis assez contente de l'avoir enfin lu. Ancient images est un hommage au cinéma de la Hammer, et regorge de châteaux, de grincements, de créatures sombres, et de nuages menaçant, en nous envoyant à la recherche d'une bobine de film maudit. L'héroïne intrépide est une blonde Hitchcockienne n'ayant pas froid aux yeux, et c'est une source de satisfaction. C'est une lecture légère, avec des personnages simples mais efficace. Campbell a le cœur qui penche du côté du progressisme, l'assumait déjà dans ce roman (qui contient un couple gay aimant, de la manière la plus normale qui soit pour un livre sorti en 1989, et se délecte à brocarder les industriels et les notables). C'est parfois un peu daté, mais régulièrement amusant : une excellente lecture d'été.




- Magic for Liars, Sarah Gailey (2019) - fantasy ?

Bien qu'on me l'ai beaucoup conseillée, je n'ai pas lu d'autre Sarah Gailey que celui-ci, que je trouve aussi cruel que brillant. Ivy Gamble, détective alcoolique anonyme, est embauchée pour enquêter sur le meurtre qui vient d'avoir lieu dans l'école magique où sa sœur jumelle est enseignante. Car si elles sont jumelles, seule sa soeur a hérité de pouvoir, fait une excellente scolarité, et vit maintenant une vie confortable. Ivy, elle, n'a aucun don magique, se considère comme une ratée, est jalouse et profondément dépressive. L'enquête commence d'autant plus mal que la directrice choisit de ne pas révéler à ses collègues, ou aux élèves, que l'enquêtrice n'a pas de magie, laissant celle-ci fantasmer une vie qu'elle ne peut pas avoir. Et cependant, Ivy a d'autres talents : c'est une exceptionnelle observatrice des humains et de leurs faiblesses, et elle sait admirablement en jouer. Magic for liars est faussement simple : en prenant le parti de l'environnement magique, il nous trompe sur le degré de toxicité qui se cache dans ses pages, sur le talent avec lequel Sarah Gailey dépeint ses personnages et les fait réagir les uns aux autres. C'est roman aussi éprouvant que bon.


Et c'est tout pour 2024. Si j'en crois mon cahier, j'ai lu une soixantaine de livres, ne méritant pas tous qu'on en parle. J'espère être plus sélective en 2025, j'espère surtout avoir du temps pour lire. C'est parti !



2024 en livres

Il m'a semblé raisonnable de commencer 2025 par un retour sur les productions culturelles qui ont pu me réjouir en 2024, pour donner un ...