dimanche 19 juin 2016

Belladonna (La belladonne de la tristesse), Eiichi Yamamoto

Hey. Voici un film très discutable sur pleins de points mais passionnant.

Belladonna est un anime érotique japonais sorti au Japon en 1973. Il faisait à l'origine partie d'une trilogie de films produite par Osamu Tezuka. Mais laissé plutôt libre dans ses choix artistiques pour ce dernier anime, le réalisateur Eiichi Yamamoto a donné à son film une forme très expérimentale, raison pour laquelle le film est resté dans les mémoires et bénéficie cette année d'une sortie restaurée.



L'argument est inspiré de La sorcière de Michelet : dans un village médiaval, juste après son mariage avec Jean, la très belle Jeanne est violée par le Seigneur local et par la Cour. Isolée dans leur masure, manquant du soutien du faible Jean, elle est abordée par le Démon, qui se présente sous des atours très peu inquiétants, et propose de l'aider, tout en lui faisant découvrir le plaisir sexuel (rappelons-le, c'est un anime érotique). Le pouvoir qui lui est accordé améliore tout d'abord sa situation, mais suite à une première attaque du baron local, elle se retrouve dans la vallée déserte, seule dans la nature. C'est là qu'elle utilisera ses talents, et notamment sa connaissance des plantes, au profit des habitants, attisant la colère du Seigneur voisin.

Belladonna est très déroutant pour le regard contemporain : la complaisance vis à vis de la violence sexuelle est difficile à soutenir, malgré une première scène à l'intérêt esthétique indéniable, qui joue avec le sang rouge sur la blancheur de la peau de Jeanne. Ce type de violence se reproduira à une cadence trop importante pour ne pas être dérangeant*.

Les Japonais ont aussi un sens du ridicule assez important, et s'amusent en ajoutant d'improbables symboles phalliques dans la moindre situation. Ces éléments ont mal vieilli et attirent la perplexité ou le rire.

On peut également regretter la faiblesse des personnages et du scénario global : oeuvre esthétique et libidineuse, Belladonna ne se soucie que peu de faire exister ses personnages, et sa chute finale soudainement féministe, qui annonce la Révolution française par un tableau ancien collé là sans ménagement, est au mieux embarrassante.



Voilà tout ce qui peut présenter des difficultés à la vision, mais cependant, Belladonna reste fascinant. La technique d'animation utilisée est très inhabituelle, en ne se reposant pas toujours sur de l'animation à proprement parler mais parfois sur des cadrages et des mouvements de caméra sur des planches illustrées fixes, qui succèdent à des scènes animées par des techniques variées.
A cette apparente simplicité technique s'associe une iconographie pleine de références à l'histoire de l'Art.
Le traitement de la couleur est particulièrement réussi, plein de contrastes 70's et de références à Klimt, Redon ou Mucha : des constrastes vifs de verts et de rose sur notre héroïne, des bleu outremer éclatants figurant un ciel malfaisant, des touches de doré où éclot soudain la couleur, ou la sobriété de pas noirs dont le mouvement est figuré par l'alternance du bleu de leurs ombres... Bien des scènes sont mémorables grâce à ce travail graphique audacieux, et mériteraient d'être revues pour leur beauté ou pour leur intérêt technique.
Les différentes scènes fourmillent d'idées, et les représentations changent de style et de sens avec une rapidité impressionante, associées à la beauté des voix (l'interpréte de Jeanne en livre une belle interprétation) et à une musique psychédélique et envoutante.

Pour conclure, malgré de nombreuses faiblesses dûes à l'âge ou à l'inconséquence de son scénario, qui font souvent de sa vision une expérience questionnable, Belladonna est un chef d'oeuvre esthétique déroutant, dont on pourra débattre bien longtemps.

---

*A ce sujet, je m'interroge sur les nombreuses critiques dithyrambiques de la presse, pour l'instant dans leur immense majorité rédigées par des hommes. Je suis curieuse de savoir ce que d'autres femmes ont ressenti devant le traitement de cette belle dame, et comment cela a influencé leur vision de l'oeuvre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

All the murmuring bones, Angela Slatter

C'est un cliché éculé, mais nous ne sommes pas armés pour comprendre les anglos-saxons, et encore moins leurs catégories et sous-catégor...