C'est quand même super quand un éditeur fait un petit cadeau à ses lecteurs. Et quand le cadeau est un recueil de Léo Henry, c'est encore mieux.
Et c'est une bonne nouvelle, parce que lire du Léo Henry est toujours une expérience intéressante : il mixe selon ses humeurs une culture monstrueuse parfaitement maîtrisée, pour en tirer des textes littéraires touchants, brillants, ou pleins d'humour.
Ce qui donne, suivant ses différentes façons, des pastiches fous et réjouissants comme les suivants, tirés du recueil Le diable est au piano : Corto Maltese X Blaise Cendrars X beaucoup trop d'alcool, Gerda Taro et les vaillants révolutionnaires Espagnols X Indiana Jones X son égo surdimensionné; ou des nouvelles plus troublantes et plus retenues comme une transformation Kafkaïenne dans un hôtel de Prague, un monde où le potentiel de création de chaque être est révéré autant que la création elle-même...
Dans Philip K. Dick goes to Hollywood, on retrouve des textes de ces différentes manières, soit 5 nouvelles complétées par une interview private-jokesque avec Karim Berrouka et un abécédaire célébrant les éditions ActuSF (parce qu'ils ont un quinze ans ? Je n'ai pas trouvé cette information dans le recueil et ce n'est pas très clair). Certaines sont inédites (Meet the Beätles, Philip K.Dick goes to Hollywood), d'autres ont déjà connu des diffusions qui expliquent leur forme (Fe6, paru dans l'anthologie Utopiales 2014, dont le thème était "Intelligence", Les règles de la nuit et No se puede vivir sin amar, textes courts envoyés aux heureux abonnés aux nouvelles par email de l'auteur).
Parmi les nouvelles de Léo Henry, se trouve la fantaisie qui donne son nom au recueil : une suite de correspondances que K. Dick enverrait à David Lynch dans un monde pas si éloigné du nôtre au moment de la réalisation de Blade Runner, et entremêlant des éléments de la carrière de l'un et de l'autre. K. Dick est merveilleusement dysfonctionnel et un peu cinglé, on s'amuse bien.
Meet the Beätles est encore une application du principe de blender Léo-Henryesque, et qui nous plonge dans une utopie musicale où les Beatles, suite au décès réel de Paul Mc Cartney (Paul is dead, ce fameux Hoax musical tiré de la pochette d'Abbey Road), décident d'embaucher pour le remplacer un petit jeune du nom de Lemmy Kilmister, et en sa compagnie, bouffent toute l'histoire du rock'n'roll en inventant à eux tout seuls le punk, le Krautrock, et allant même piquer ses titres à Elton John. Mick Jagger is not amused (et se retrouve donc rédac' chef de Music Maker).
Cette nouvelle impressionnante de références est racontée comme un compte rendu d'interview avec Lennon faite à l'occasion de la sortie d'un livre imaginant le monde musical si Paul n'était pas mort et baptisé Paul is Live (clin d'œil au Maître du Haut-Château). Livre lui-même adapté en série télé avec l'irremplaçable Matthew Mc Conaughey dans le rôle de John Lennon.
Par sa brillante érudition (car c'est aussi un club littéraire cool, Ballard et Hunter S. Thompson sont dans le coin) et sa construction malicieuse, cette nouvelle est ma grande préférée du recueil, un morceau brillant où l'on trouve à boire et à manger dans un enthousiasme vrombissant.
Autre argument de poids : l'un des personnages finit par tenir une baraque à frites sur une plage (et j'ai toujours eu un faible pour ce type de fin).
La suivante, Les Règles de la Nuit, est un superbe hommage à la cinéphilie, imaginant une collaboration Jean Vigo-Dziga Vertov. Très ramassée (quatre pages de romanesque cinématographique), et présentée comme une introduction au Cinéma de Minuit, elle évoque une certaine magie du cinéma, une magie à la Cinémathèque époque Henri Langlois, quand le fait de parler des films perdus était déjà une aventure fantastique.
Fe6 ou la transfiguration de Bobby Fischer, a été plus délicate à aborder : je vous avoue que les championnats d'échecs internationaux sont un manque majeur à ma culture. Hélas, lire Léo Henry et louper les finesses de ses références fait perdre un peu de son charme à la nouvelle, même si bien sûr, c'est aussi un appel à documentation.
Et quand à la dernière, No se puede vivir sin amar, c'est une courte nouvelle sur la fin d'un marin barbu portant un pull bleu, ayant connu de folles aventures avec son ami le journaliste blondinet. C'est un peu triste, et c'est moins travaillé que le reste (mais ceci est peut-être lié à sa forme initiale de nouvelle numérique).
Pour résumer, c'est un recueil assez étrange, avec des nouvelles de niveaux très différents, et ces deux chapitres ajoutés (interview et abécédaire) dont la présence au sommaire reste mystérieuse. Le fait qu'il soit offert en fait un objet assez exotique mais quoiqu'il en soit, c'est un très joli cadeau que nous font les éditions ActuSF.
Ah, l'illustration de couverture (Diego Tripodi) est vraiment formidable, aussi.