C'était la rentrée, on y a globalement survécu.
Des séries :
Impression globale : trop de boulot, besoin de détente à bas coût intellectuel. Et ça se ressent un peu, avec l'impression persistante d'avoir dans l'ensemble perdu mon temps...
The expanse
Un space-opéra traditionnel hybridé avec une enquête policière. On y suit deux narrations et deux anti-héros : l'un, capitaine de vaisseau, est un petit gars propre sur lui trop intelligent pour son propre bien, tout comme la SF américaine les aime bien (et sa super équipe et son super vaisseau), l'autre est un flic corrompu mais tenace, avec un chapeau mou inutile dans l'espace mais fidèlement porté. Les deux enquêtes se rencontrent, les personnages féminins sont très bien, mais malgré des acteurs sympathiques, tout reste très, très classique.
Outsiders
En matière de série, j'ai globalement très mauvais goût.
Ma dernière expérience dans ce registre est la série Outsiders, honteux sous-produit de Sons Of Anarchy, qui ne décide jamais si elle est la petite maison dans la prairie, le Seigneur des anneaux ou un documentaire M6 sur l'exploitation de la nature par les grandes entreprises.
On y suit une très grande famille de laissés-pour-compte, les Ferell, qui vivent depuis un bon bout de temps (les vagues d'immigrations Américaines? Les Indiens ? les scénaristes laissent ça sur le côté, il ne faudrait pas lasser le public) sur leur montagne, parlent une langue étrange qui ressemble à du Hobbit, pratiquent le troc et sont gouvernés par une matriarche intransigeante à la langue bien pendue. Comme ils se marient entre eux, ils s'appelent tous cousins sans le moindre second degré (oui, vraiment). Pour la coolitude, ils ont cheveux et barbes longues, et une production d'alcool locale légendaire, dont la série nous apprendra que ne la boit pas qui veut (il vaut mieux avoir le foie en adamentium trempé).
Evidement, ça ne se passe pas très bien avec les habitants de la petite ville en bas de la montagne, dans laquelle ils ne passent que pour piller l'épicerie en quad (oui, vraiment bis). Mais nos outsiders vont se retrouver contraints à parlementer avec les habitants lorsqu'un projet de mine, apporté par une compagnie aussi retorse que l'employée qui les repésente, cherche à les exproprier. Ajoutons à tout ça un pseudo drame shakespearien de la quête du pouvoir corrupteur, un sherif alcoolique et drogué, des méchants très méchants, une love story mignonette et une autre pas intéressante, et le résultat est d'un mauvais goût excentrique, qu'on regarde avec perplexité en essayant de comprendre s'il y a un récit et où celui-ci peut bien aller.
S'il faut en juger le dernier épisode de la saison 1, l'inventivité des scénaristes dans ce domaine est bien supérieure à la nôtre, d'autant plus qu'ils ont fait l'impasse sur tout souci de réalisme depuis un bon moment déjà.
Définitivement n'importe quoi, bizarrement sympathique.
Happy Valley
Cette série britannique est l'inverse de celle précédemment citée. On y suit le difficile quotidien d'une policewoman anglaise, dans une petite ville sinistrée par la crise. Elle a la cinquantaine et un sacrée caractère, vit avec sa soeur, une ancienne alcoolique, en couchant de temps en temps avec son ex-mari, et en élevant péniblement son petit-fils, fruit du viol de sa fille, décédée peu après la naissance de l'enfant. Il y a un coupable pour cet ancien crime qui a bouleversé sa famille, et nous allons le rencontrer bien assez tôt... Happy Valley est une grande série, qui a le souci de dépeindre la Grande-Bretagne avec réalisme. Nul n'y est juste, nul n'y est bon : les hommes politiques ont des passe-droits, les comptables se lancent dans le kidnapping, et les policiers mènent leurs guérillas personnelles. L'ambivalence et la mesquinerie de l'âme humaine, à hauteur de village, servis par des acteurs brillants.
Et en plus, le discours est profondément féministe.
Et des livres :
Impression globale : un peu pareil. J'en arrive au stade où ma curiosité renâcle un peu, il est temps de trier pour lire des choses plus satisfaisantes.
Les variations Sebastian et Dernière nuit à Montréal, d'Emily St John Mandel
Lus à la suite de Station Eleven, pour mieux appréhender le style et les intérêts de l'auteur, ces deux livres présentent des similarités qui laissent transparaître certaines obsessions. Ce qui me touche, c'est qu'on retrouve en creux des êtres humains fragiles qui tentent de survivre dans la société moderne. Qu'il s'agisse du petit ami, chercheur raté et pantouflard peureux de Dernière nuit à Montréal, aux beaux portraits du quatuor de musiciens dont les promesses de l'adolescence ne se sont jamais concrétisées, dans Les variations Sebastian, il y a tout un motif du mal-être, de l'inadaptation face à notre monde et à ses dysfonctionnements, que le personnage de Miranda dans Station Eleven illustre également. Il me semble que c'est un motif qui parcours tous les écrits de St John Mandel, avec des personnages englués dans des mécanismes (sociaux, psychologiques, professionnels...) plus forts qu'eux, errant dans des vies qu'ils jugent vides de sens et qui, si elles en trouvent, n'en ont que pendant un court instant.
Lire Emily St John Mandel, c'est ressentir en note de fonds une forme de mélancolie sarcastique face à la réalisation de l'inutilité de l'être moderne, réduit à l'état de machin sentimental et complexé cherchant aveuglément une voie d'accomplissement, ce qui le conduit à emprunter des voies auparavant légitimes que l'évolution de la société a condamnées, distordues, ridiculisées, et qui ne peuvent plus être que destructrices (je pense au jeune journaliste des Variations Sebastian, conduit peu à peu à renier les valeurs du journalisme pour conserver son travail, au consultant en ressources humaines de Station Eleven, qui mène sans s'interroger des séances de dénonciation sur d'autres professionnels).
La fille qui naviga autour de Féérie sur un bateau construit de ses propres mains, Catherynne M. Valente
J'aime beaucoup cette autrice pleine d'audace et de bonnes idées. Le roman en question est un livre jeunesse qui devrait faire la joie d'un jeune lecteur (vers 10 ans ?), en panachant en rythme Alice au pays des merveilles, Narnia de C. S. Lewis et Lombres de China Miéville. C'est un peu trop enfantin pour moi, qui ai deux décennies de lecture de plus.
Critique macédonienne de la pensée française, Viktor Pelevine
Réussir à ne pas dresser encore une couronne de lauriers à Pelevine va être compliqué, mais résumons : il s'agit d'un chouette recueil de nouvelles dont la première partie pourrait réjouir un fan du Diable est au piano de Léo Henry. On y rit de bon coeur, et la manière dont il ridiculise les nouveaux riches Russes est un régal. Par contre, la deuxième est quasi-illisible, Pelevine ayant cette tendance au débat philosophico-spirituel, qu'il mène tout seul en laissant son lecteur à la porte.
Et des expos :
Impression globale : j'ai pas eu beaucoup de temps, mais j'ai enfin réussi à visiter les collections permanentes du Centre Pompidou (et ça suffit à ma joie, oui).
Kollektsia
Un don de la fondation Vadimir Poutine, on l'apprend en entrant dans les salles dédiées à cette accrochage, au quatrième étage du Centre Pompidou. Cette donation porte sur l'art contemporain Russe, des 50's à nos jours. Plusieurs choses ont retenu mon attention : les photographies magnifiques de Fancisco Infante-Arana, le Sots-art dans son ensemble (en shématisant, la version soviétique et très ironique du pop-art, dont l'objet était de moquer la propagande d'Etat), et l'entrée de l'exposition, présentant les oeuvres du génial Dmitri Prigov, artiste touche-à-tout, poète, dessinateur et performeur, entre auteur d'une "Apothéose du flic", qu'on pourra le voir réciter dans une stupéfiante archive, coiffé d'une casquette de policier, de lunettes d'aviateur, devant une énorme télé, installé dans le fauteuil d'un appartement russe typique. Et malgré les années, malgré l'obstacle que constitue la langue russe, les visiteurs de l'exposition s'arrêtent de longues minutes, mesmérisés par l'humour qui transparaît de cette prestation. Dmitri Prigov est formidable, j'espère qu'on aura l'occasion d'en connaître un peu plus.
Provoke
Trois numéros de revue de photos plutôt underground publiés dans les 60's auront suffi à marquer durablement le paysage photographique japonais. Cette revue, Provoke, est le témoin des expérimentations de quelques photographes engagés, qui filment les luttes sociales de leur pays, et définissent une esthétique brute, floue, granuleuse.
L'exposition, passionante, donne une bonne idée de ce qu'était le Japon à l'époque, et la partie dédiée à la performance est jubilatoire, racontant à l'aide de photos, de plans et de vidéos, d'incroyables jeux joués avec le public, et qui permettent de se rappeler qu'aux mêmes dates, en France, c'était mai 68.
Et des films :
Juste la fin du monde, Xavier Dolan
Ce film contient bien tous les défauts que la presse a pointés : acteurs incapables d'aller au delà du cliché, réalisation peu inventive... Mais le film survit grâce au texte de Lagarce, dont la puissance repose sur le décalage insupportable entre actes, paroles et ressentis. Enfermés avec ces phénomènes problématiques que sont les personnages, les spectateurs étouffent, et c'est ce que veut Dolan, nous impacter physiquement par la violence inutile des discours, qui disent trop des coeurs blessés qu'ils cachent et ne résolvent rien.
Je suis émotive, ça a marché.
Miss Peregrine et les enfants particuliers, Tim Burton
Un Burton enfantin, oubliable mais sympathique, adapté fidèlement du roman jeunesse éponyme. On passe un joli moment, on s'ennuie un peu car tout est très convenu.
Bonus : Des trucs que j'ai fait avec mes mains :
Un atelier sérigraphie pour comprendre comment ça marche / un atelier sketchnote pour pareil / je suis un inscrite à un atelier d'arts plastiques où je bidouille des trucs inattendus (dont des sachets de thé secs) dans la joie la plus complète / une expérience avec un appareil photo argentique aimablement prêté, et dont le résultat, que je viens de recevoir, m'éblouit complétement (le grain, la couleur, wahou je suis wahou).
Quoi pour la suite ? Octobre est bien entamé, on verra.
jeudi 13 octobre 2016
mardi 4 octobre 2016
Station Eleven, Emily St John Mandel
Qu'on l'aie voulu ou pas, il n’était pas possible ces derniers temps d’éviter Emily St John Mandel. Elle est l'auteur d'un roman post-apocalyptique remarqué, Station Eleven, originellement paru en 2014 aux Etats-Unis, et disponible en France depuis cette rentrée, aux éditions Rivages, qui l'éditent en France. Le livre a été traduit par Gérard de Chergé, son traducteur attitré, habitué à la littérature policière.
Station Eleven s’ouvre sur la mort d’un acteur, Arthur Léander, pendant la représentation du Roi Lear, dont il tient le rôle titre. On essaye de le sauver, mais il est trop tard, et de ce point dramatique presque anodin dans l’histoire de l’humanité démarre l’apocalypse, dont nous apprenons qu’elle est dûe à une super grippe, qui a exterminé 99% de la population mondiale, et mis fin à la société moderne. Plus d’économie de marché, mais plus non plus d’électricité, d’internet, de gasoil, de dentiste : la technologie a disparu.
Les humains sont répartis en petites communautés très éloignées les unes des autres et repliées sur elles-mêmes.
Dans cette société où la nature a regagné sa place, vingt ans après la catastrophe, subsiste une troupe nommée la Symphonie itinérante. Composée d’acteurs et de musiciens, sa devise est tirée de Star Trek : “Parce que survivre ne suffit pas.” Cette troupe va de village en village pour jouer du Shakespeare et du Beethoven, pour proposer aux survivants ce qu’elle pense être le meilleur de l’ancien monde, et tenter de subsister malgré les dangers : car entrer dans un nouveau village, dans cet univers, est un coup de poker.
Ces deux éléments suffiraient à faire de Station Eleven une très bonne histoire. Mais on y trouve bien plus : le récit décrit différents personnages sur une trajectoire d’une trentaine d’années, avant et bien après la catastrophe. Très vite, on devine qu’ils sont liés les uns aux autres, et tout l’art d’Emily St John Mandel, qui est à l’origine autrice de romans policiers, est de ménager son suspens et de jouer avec les pistes, comme ce mystérieux roman graphique, qui à différentes étapes de son existence, passe entre les mains de tous.
Suivre ces personnages émouvants et solidement écrits, rend les conséquences de la catastrophe plus visibles encore. En compagnie de Kirsten, la jeune comédienne de la Symphonie, qui pille les lieux abandonnés pour survivre, on dévoile avec pudeur les drames de la catastrophe passée : ces gens isolés dans un aéroport, qui n’ont dû leur survie qu’à un panneau indiquant “Quarantaine” à l’entrée de l’autoroute qui la dessert, ces morts par milliers sur les routes, ces villageois gagnés par des folies sectaires et qui décident de sacrifier leurs voisins, cet avion qui s’est posé tous feux éteints à l’autre bout de la piste, et dont personne n’est jamais descendu.
Outre ce côté vertigineux, Station Eleven constitue une réflexion sur la place de la technologie dans notre vie : les survivants se racontent ce qu’était l’air climatisé, une page internet, ou le vocabulaire du management, avec un recul émerveillé, et leurs enfants ne les croient pas, ne comprennent pas, à tel point qu’on imagine qu’ils crééront une société radicalement différente, envisagée avec un certain optimisme. Enfin, c’est un livre sur la culture sous ces différentes formes, et un hommage à ceux qui y consacrent leur existence, qu’ils soient acteurs, auteurs de bande dessinée, musiciens, responsables de musée improvisé, ou journalistes dans l’unique journal de l’après. Dans Station Eleven, la culture est le pont entre les mondes et entre les gens, l’espoir qui donne du sens.
Il y a plusieurs façons d'aborder l'apocalypse en SF : en se focalisant sur la technologie, l'horreur, le drame... Le choix fait ici est celui de la réflexion sur la société contemporaine, ses malfaçons et ses ridicules, ainsi que sur l'humanité qui persiste malgré tout, autrement. L'apocalypse est bien là, mais traité différement, à distance, ce qui me semble-t-il, n'ôte rien à sa violence émotionelle.
On trouve dans ce roman des personnages et des réflexions qui nous accompagneront bien au delà de notre lecture. Celle-ci terminée, on pourra retrouver des thématiques très proches dans le reste des oeuvres d'Emily St John Mandel.
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Station Eleven, Emily St John Mandel, traduit par Gérard de Chergé, Rivages, 2016.
dimanche 25 septembre 2016
Immortel, Catherynne M. Valente
Voici l'un des seuls livres de Catherynne M. Valente qui aie été traduit en français (pour être exacte, avec le roman pour adolescents La fille qui navigua autour de Féérie dans un bateau construit de ses propres mains, Prix Locus 2012, édité chez Balivernes en 2015 et sélectionné pour le Prix Elbakin cette année).
La particularité de Catherynne M. Valente, repose dans ses inspirations, souvent liées aux contes et à la féérie. Elle possède un univers personnel particulièrement riche, et n'hésite pas à faire de ses récits des cocktails détonnants.*
Immortel, paru aux Etats-Unis en 2011 sous le nom Deathless, et publié en 2014 par Panini Books, en est un bon exemple.
Dans une grande maison de Saint-Pétersbourg, à l'orée du 20e siècle, vivent quatre soeurs, belles et jeunes, toutes quatre à marier. Un premier oiseau, un freux, se change en prince et emmène l'aînée comme femme, un deuxième, un pluvier, se change en prince et emmène la puînée, un troisème oiseau, cette fois une pie-grièche, se change en prince et emmène l'avant-dernière de la maisonnée.
Mais lorsque vient le tour de la cadette Maria Morevna, et que la Révolution d'octobre vient à peine de survenir, c'est un grand hibou noir, qui n'est pas prince, mais l'adversaire des Contes Russes, l'immortel Kotcheï, costumé en commissaire de la révolution, qui vient la chercher.
Et c'est ainsi que se déroule un récit qui entremêle le conte traditionnel Maria Morevna, dans lequel la Reine-guerrière est liée à l'Immortel, et tombe amoureuse du charmant Prince Ivan, qui la libère (une version du conte ici), avec l'histoire de la Russie au XXe siècle, les révolutions, les guerres, les famines.
Immortel est une lecture un peu inhabituelle : son auteur y rend hommage aux contes Russes en y puisant les motifs principaux de la narration (l'omni-présence du chiffre 3, les péripéties et les animaux magiques), mais également en s'appuyant sur l'oralité des contes pour son propre style, donnant lieu à une oeuvre qu'on imaginerait facilement être lue à voix haute.
La traduction, dûe à Laurent Philibert-Caillat (qui a traduit également son roman pour la jeunesse) rend bien ces archaïsmes volontaires.
Mais il y a bien plus que cela dans ce roman étrange : Catherynne M. Valente brode autour de l'un des motifs inexpliqués du conte original (pourquoi la Reine Maria Morevna garde-t-elle Kotcheï enchaîné dans sa cave?), une histoire d'amour puissante entre Kotcheï l'Immortel et Maria.
Cela lui permet d'aborder des thématiques telles que la répartition des pouvoirs dans le couple (un sujet que traitent les contes de fées, et que Catherynne M. Valente tourne en faveur de la femme), la complexité du sentiment amoureux (car comme dans le conte, Kotcheï et Ivan sont rivaux auprès de Maria, et Catherynne M. Valente joue brillament de l'utilisation systématique de ce motif dans le conte en jouant avec les limites de la narration : personnages qui se savent personnages, contraints à l'affrontement); l'éducation féminine est aussi traitée (à ce sujet, une des scènes utilise l'un des célèbres défis de Baba Yaga, et contraint la jeune fille à se faire passer pour la sorcière, en chevauchant son légendaire Marteau-pilon et en se faisant obéir de ses serviteurs monstrueux : c'est une idée brillante, bien réalisée et forte symboliquement).
On aborde également les thématiques de l'amitié, de la fidélité, de la trahison, de la mort... tels que les abordaient les contes, et bien des éléments mériteraient une analyse : il y a presque trop de choses dans ce roman, et certaines sont inégales et plus ou moins approfondies, ce qui nuit un peu à la lecture.
Finalement, face au contenu très riche du matériau traditionnel, l'ajout de la réalité soviétique est plus accessoire qu'autre chose. Il a pour rôle de rendre concrète l'histoire sanglante de la Russie à toutes les époques, et cela fonctionne plus ou moins bien : la courte partie enchâssée qui joue avec les personnages de l'Histoire Russe en mélant réalité et imaginaire paraît plus anecdotique.
Chaque grande période du roman est annoncée par un extrait de texte de la poétesse russe Anna Akhmatova, dont l'oeuvre a abordé entre autres, la complexité des rapports entre hommes et femmes et la Terreur stalinienne. Il est évident que ses poèmes ont fait forte impression sur Catherynne M. Valente, qui explique dans ses remerciements à la fin de l'ouvrage, que ce roman lui a été inspiré par son mari russe, Dimitri, premier à lui lire Maria Morevna, et sa famille qui l'a accueillie.
C'est à un hommage enthousiaste à cette culture russe fraîchement découverte que se livre Catherynne M. Valente, et c'est sans doute ce qui rend la lecture si singulière.
Immortel, Catherynne M. Valente, traduit par Laurent-Philibert Caillat. Eclipse, 2014.
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* Elle décrit d'ailleurs son univers thématique comme "Mythpunk", un dérivé post-moderne du cyberpunk.
La particularité de Catherynne M. Valente, repose dans ses inspirations, souvent liées aux contes et à la féérie. Elle possède un univers personnel particulièrement riche, et n'hésite pas à faire de ses récits des cocktails détonnants.*
Immortel, paru aux Etats-Unis en 2011 sous le nom Deathless, et publié en 2014 par Panini Books, en est un bon exemple.
Dans une grande maison de Saint-Pétersbourg, à l'orée du 20e siècle, vivent quatre soeurs, belles et jeunes, toutes quatre à marier. Un premier oiseau, un freux, se change en prince et emmène l'aînée comme femme, un deuxième, un pluvier, se change en prince et emmène la puînée, un troisème oiseau, cette fois une pie-grièche, se change en prince et emmène l'avant-dernière de la maisonnée.
Mais lorsque vient le tour de la cadette Maria Morevna, et que la Révolution d'octobre vient à peine de survenir, c'est un grand hibou noir, qui n'est pas prince, mais l'adversaire des Contes Russes, l'immortel Kotcheï, costumé en commissaire de la révolution, qui vient la chercher.
Et c'est ainsi que se déroule un récit qui entremêle le conte traditionnel Maria Morevna, dans lequel la Reine-guerrière est liée à l'Immortel, et tombe amoureuse du charmant Prince Ivan, qui la libère (une version du conte ici), avec l'histoire de la Russie au XXe siècle, les révolutions, les guerres, les famines.
Immortel est une lecture un peu inhabituelle : son auteur y rend hommage aux contes Russes en y puisant les motifs principaux de la narration (l'omni-présence du chiffre 3, les péripéties et les animaux magiques), mais également en s'appuyant sur l'oralité des contes pour son propre style, donnant lieu à une oeuvre qu'on imaginerait facilement être lue à voix haute.
La traduction, dûe à Laurent Philibert-Caillat (qui a traduit également son roman pour la jeunesse) rend bien ces archaïsmes volontaires.
Mais il y a bien plus que cela dans ce roman étrange : Catherynne M. Valente brode autour de l'un des motifs inexpliqués du conte original (pourquoi la Reine Maria Morevna garde-t-elle Kotcheï enchaîné dans sa cave?), une histoire d'amour puissante entre Kotcheï l'Immortel et Maria.
Cela lui permet d'aborder des thématiques telles que la répartition des pouvoirs dans le couple (un sujet que traitent les contes de fées, et que Catherynne M. Valente tourne en faveur de la femme), la complexité du sentiment amoureux (car comme dans le conte, Kotcheï et Ivan sont rivaux auprès de Maria, et Catherynne M. Valente joue brillament de l'utilisation systématique de ce motif dans le conte en jouant avec les limites de la narration : personnages qui se savent personnages, contraints à l'affrontement); l'éducation féminine est aussi traitée (à ce sujet, une des scènes utilise l'un des célèbres défis de Baba Yaga, et contraint la jeune fille à se faire passer pour la sorcière, en chevauchant son légendaire Marteau-pilon et en se faisant obéir de ses serviteurs monstrueux : c'est une idée brillante, bien réalisée et forte symboliquement).
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L'immortel Kotcheï poursuivant Maria Morevna sur son cheval magique, par Ivan Bilibine |
On aborde également les thématiques de l'amitié, de la fidélité, de la trahison, de la mort... tels que les abordaient les contes, et bien des éléments mériteraient une analyse : il y a presque trop de choses dans ce roman, et certaines sont inégales et plus ou moins approfondies, ce qui nuit un peu à la lecture.
Finalement, face au contenu très riche du matériau traditionnel, l'ajout de la réalité soviétique est plus accessoire qu'autre chose. Il a pour rôle de rendre concrète l'histoire sanglante de la Russie à toutes les époques, et cela fonctionne plus ou moins bien : la courte partie enchâssée qui joue avec les personnages de l'Histoire Russe en mélant réalité et imaginaire paraît plus anecdotique.
Chaque grande période du roman est annoncée par un extrait de texte de la poétesse russe Anna Akhmatova, dont l'oeuvre a abordé entre autres, la complexité des rapports entre hommes et femmes et la Terreur stalinienne. Il est évident que ses poèmes ont fait forte impression sur Catherynne M. Valente, qui explique dans ses remerciements à la fin de l'ouvrage, que ce roman lui a été inspiré par son mari russe, Dimitri, premier à lui lire Maria Morevna, et sa famille qui l'a accueillie.
C'est à un hommage enthousiaste à cette culture russe fraîchement découverte que se livre Catherynne M. Valente, et c'est sans doute ce qui rend la lecture si singulière.
Immortel, Catherynne M. Valente, traduit par Laurent-Philibert Caillat. Eclipse, 2014.
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* Elle décrit d'ailleurs son univers thématique comme "Mythpunk", un dérivé post-moderne du cyberpunk.
lundi 19 septembre 2016
Avec joie et docilité, Johanna Sinisalo
Johanna Sinisalo, c'est cette petite dame à qui on doit cette grosse poilade cinématographique qu'est Iron Sky, mais aussi différents romans typiques du Finnish Weird, dont Jamais avant le coucher du soleil, et Le Sang des fleurs, le tout publié en France chez Actes Sud.
Avec son dernier livre traduit en France, elle nous propose non pas un fantastique subtil dans un monde contemporain qui se délite, mais de la science fiction, avec une dystopie sur le thème des différences liées au sexe.
Dans la Finlande de ce roman, le pays a dévié dans les années 50 en se basant sur des expériences de conditionnement, pour créer trois sous-espèces : les Virilos (des mecs virils mais qui peuvent aussi penser), les Eloïs (de jolies Barbies décervelées), et les Morlocks (d'affreuses femmes intelligentes, qu'on exploite et qu'on sous-paye dans l'espoir avoué de les faire disparaître un jour).
Les jeunes Finlandaises subissent toutes jeunes un test qui les assigne à telle ou telle catégorie, et prédéfinit ce que sera leur existence. Afin d'assurer une parfaite stabilité du pays, toute drogue, ou plaisir trop intense est également banni.
Mais l'héroïne du récit, Vanna, a été testée trop tard, et se retrouve Morlock cachée dans un corps d'Eloï. Elle cache son intelligence à tous, et se retrouve mêlée à un trafic de drogue, tout en enquêtant pour comprendre la soudaine disparition de sa soeur, jeune Eloï prometteuse.
Tour à tour intrigant, car la société décrite est un prolongement exagéré du sexisme et des débats sur le genre, émouvant, avec les confidences épistolaires de Vanna à sa soeur absente, et glaçant au fur et à mesure de la lecture, Avec joie et docilité est avant tout impossible à reposer avant d'avoir le fin mot de l'histoire.
La tension ne fait que monter depuis l'enfance très particulière des personnages, jusqu'à leurs débuts dans l'âge adulte, et leur potentielle rebellion, en prenant cependant le temps de colorer l'univers par le biais d'intermèdes constitués de faux documents (documentation officielle sur l'éducation à la docilité féminine, les punitions encourues, presse féminine, publicité sur le maquillage...)
Johanna Sinisalo, qui est également scénariste pour la télévision et la bande dessinée, a un art très visuel du récit : la scène qui ouvre le roman, notamment, est stupéfiante de puissance.
On ne retrouve pas de scène aussi violente dans la suite du récit, et on pourra regretter les ficelles un peu grosses de cette histoire de sexisme, mais les scènes marquantes ne manquent pas : de l'assignation des enfants à une classe, au bal des jeunes premières, en passant par la découverte par un tiers du "secret", et jusqu'à la résolution de l'énigme finale.
Un roman très distrayant, qui, à défaut de le faire subtilement, tient bien son rang en matière de science-fiction, en nous interrogeant sur les catégories sociales et ce qui les détermine.
Avec Joie et docilité, Johanna Sinisalo, traduite par Anne Colin du Terrail. Actes Sud, 2016.
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Apprécions également cette réjouissante couverture, réalisation de l'illustratrice Chez Gertrud.
Avec son dernier livre traduit en France, elle nous propose non pas un fantastique subtil dans un monde contemporain qui se délite, mais de la science fiction, avec une dystopie sur le thème des différences liées au sexe.
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Les jeunes Finlandaises subissent toutes jeunes un test qui les assigne à telle ou telle catégorie, et prédéfinit ce que sera leur existence. Afin d'assurer une parfaite stabilité du pays, toute drogue, ou plaisir trop intense est également banni.
Mais l'héroïne du récit, Vanna, a été testée trop tard, et se retrouve Morlock cachée dans un corps d'Eloï. Elle cache son intelligence à tous, et se retrouve mêlée à un trafic de drogue, tout en enquêtant pour comprendre la soudaine disparition de sa soeur, jeune Eloï prometteuse.
Tour à tour intrigant, car la société décrite est un prolongement exagéré du sexisme et des débats sur le genre, émouvant, avec les confidences épistolaires de Vanna à sa soeur absente, et glaçant au fur et à mesure de la lecture, Avec joie et docilité est avant tout impossible à reposer avant d'avoir le fin mot de l'histoire.
La tension ne fait que monter depuis l'enfance très particulière des personnages, jusqu'à leurs débuts dans l'âge adulte, et leur potentielle rebellion, en prenant cependant le temps de colorer l'univers par le biais d'intermèdes constitués de faux documents (documentation officielle sur l'éducation à la docilité féminine, les punitions encourues, presse féminine, publicité sur le maquillage...)
Johanna Sinisalo, qui est également scénariste pour la télévision et la bande dessinée, a un art très visuel du récit : la scène qui ouvre le roman, notamment, est stupéfiante de puissance.
On ne retrouve pas de scène aussi violente dans la suite du récit, et on pourra regretter les ficelles un peu grosses de cette histoire de sexisme, mais les scènes marquantes ne manquent pas : de l'assignation des enfants à une classe, au bal des jeunes premières, en passant par la découverte par un tiers du "secret", et jusqu'à la résolution de l'énigme finale.
Un roman très distrayant, qui, à défaut de le faire subtilement, tient bien son rang en matière de science-fiction, en nous interrogeant sur les catégories sociales et ce qui les détermine.
Avec Joie et docilité, Johanna Sinisalo, traduite par Anne Colin du Terrail. Actes Sud, 2016.
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Apprécions également cette réjouissante couverture, réalisation de l'illustratrice Chez Gertrud.
lundi 12 septembre 2016
Le livre sacré du loup-garou, Viktor Pelevine
Viktor Pelevine écrit des romans plus ou moins fantastiques, et, comme de nos jours, les frontières entre littérature blanche, littérature de l'imaginaire, autres genres, et tutti sont aléatoires, poreuses, et/ou inexplicables, le livre dont il va être question a été publié chez Denoël & d'ailleurs en 2009.
Dans Le livre sacré du loup-garou, notre narratrice, la brillante A Huli (dont on apprend que le nom, prononcé en russe, constitue une grossièreté), est une renarde-garou de 1200 ans qui se prostitue auprès des nouveaux riches pour survivre*.
Son état de renarde lui permet de projeter à ses clients leurs fantasmes les plus secrets, et elle vit en spectatrice désabusée de la vie des humains depuis un long moment, lorsqu'elle rencontre un autre loup-garou.
A Huli est indépendante, sarcastique, aventurière, c'est à la fois un beau personnage et un paravent idéal pour Victor Pelevine, qui se moque ici de la société Russe contemporaine -et de la société actuelle en général, d'ailleurs. On y trouve les fameuses formules brillantes qui ont fait son succès, et qui m'évoquent par moment les envolées cyniques d'Irvine Welsh ou de Chuck Pahlaniuk. La traduction de Galia Ackerman et Pierre Lorrain n'est pas pour rien dans cette réussite, car je me doute que rendre la langue bien particulière que Pelevine prête à A Huli n'est pas chose facile.
Alors, disais-je, elle rencontre un loup-garou. S'ensuit une histoire d'amour tout à fait distrayante, les deux étant des lettrés qui se jettent à la tête des références culturelles de toutes époques et tous niveaux visant à réfléchir à la société dans laquelle ils vivent (des jeux vidéos, des contes, les grands classiques russes et les chefs d'oeuvres du cinéma international : tout y passe). Et A Huli, qui aime analyser ses propres émotions, fait par ailleurs une amusante présentation des sentiments qu'elle éprouve, toute surprise de se retrouver touchée par le sentiment amoureux.
Dans le roman post-moderne (et c'est ce qu'écrit Victor Pelevine), l'action est surtout prétexte à autre chose. Aussi, pas d'étonnement devant le côté forcé, pleinement satirique, des événements qui se produisent, le coeur de l'action étant plutôt les idées propagées par Adèle et Sacha (les petits noms amoureux de nos deux héros). Dont on se délecte réellement, car, comme je l'ai déjà écrit, le roman exsude la culture bien utilisée, drôle, intelligente, et qui nous permet de nous faire une idée de l'état d'esprit de la Russie actuelle.
Cependant, la fin du roman (50, 70 pages) est une longue communication sur la mystique et l'illusion, dont une partie est artificiellement traitée en dialogue dans l'espoir de la rendre plus digeste, et que j'ai eu du mal à apprécier. Je crois qu'elle a beaucoup à voir avec le rôle que Pelevine prête à ses personnages : Sacha, en tant qu'incarnation du Russe 19-20e siècle peut continuer grâce à ses illusions romantiques et idéalistes, quand il faut un autre remède aux réflexions réalistes et désenchantées d'A Huli, âme résolument postmoderne (et il semble évident que Pelevine partage plutôt le point de vue de la renarde).
Heureusement, juste avant, on s'amuse beaucoup, il y a des pages de citations à recopier dans un coin de votre zibaldone personnel.
La lecture de Pelevine est absolument mémorable.
Le livre sacré du loup-garou, Viktor Pelevine, traduit par Galia Ackermann et Pierre Lorrain. Denoël, 2009.
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*Ce résumé me met positivement en joie.
Dans Le livre sacré du loup-garou, notre narratrice, la brillante A Huli (dont on apprend que le nom, prononcé en russe, constitue une grossièreté), est une renarde-garou de 1200 ans qui se prostitue auprès des nouveaux riches pour survivre*.
Son état de renarde lui permet de projeter à ses clients leurs fantasmes les plus secrets, et elle vit en spectatrice désabusée de la vie des humains depuis un long moment, lorsqu'elle rencontre un autre loup-garou.
A Huli est indépendante, sarcastique, aventurière, c'est à la fois un beau personnage et un paravent idéal pour Victor Pelevine, qui se moque ici de la société Russe contemporaine -et de la société actuelle en général, d'ailleurs. On y trouve les fameuses formules brillantes qui ont fait son succès, et qui m'évoquent par moment les envolées cyniques d'Irvine Welsh ou de Chuck Pahlaniuk. La traduction de Galia Ackerman et Pierre Lorrain n'est pas pour rien dans cette réussite, car je me doute que rendre la langue bien particulière que Pelevine prête à A Huli n'est pas chose facile.
Alors, disais-je, elle rencontre un loup-garou. S'ensuit une histoire d'amour tout à fait distrayante, les deux étant des lettrés qui se jettent à la tête des références culturelles de toutes époques et tous niveaux visant à réfléchir à la société dans laquelle ils vivent (des jeux vidéos, des contes, les grands classiques russes et les chefs d'oeuvres du cinéma international : tout y passe). Et A Huli, qui aime analyser ses propres émotions, fait par ailleurs une amusante présentation des sentiments qu'elle éprouve, toute surprise de se retrouver touchée par le sentiment amoureux.
Dans le roman post-moderne (et c'est ce qu'écrit Victor Pelevine), l'action est surtout prétexte à autre chose. Aussi, pas d'étonnement devant le côté forcé, pleinement satirique, des événements qui se produisent, le coeur de l'action étant plutôt les idées propagées par Adèle et Sacha (les petits noms amoureux de nos deux héros). Dont on se délecte réellement, car, comme je l'ai déjà écrit, le roman exsude la culture bien utilisée, drôle, intelligente, et qui nous permet de nous faire une idée de l'état d'esprit de la Russie actuelle.
Cependant, la fin du roman (50, 70 pages) est une longue communication sur la mystique et l'illusion, dont une partie est artificiellement traitée en dialogue dans l'espoir de la rendre plus digeste, et que j'ai eu du mal à apprécier. Je crois qu'elle a beaucoup à voir avec le rôle que Pelevine prête à ses personnages : Sacha, en tant qu'incarnation du Russe 19-20e siècle peut continuer grâce à ses illusions romantiques et idéalistes, quand il faut un autre remède aux réflexions réalistes et désenchantées d'A Huli, âme résolument postmoderne (et il semble évident que Pelevine partage plutôt le point de vue de la renarde).
Heureusement, juste avant, on s'amuse beaucoup, il y a des pages de citations à recopier dans un coin de votre zibaldone personnel.
La lecture de Pelevine est absolument mémorable.
Le livre sacré du loup-garou, Viktor Pelevine, traduit par Galia Ackermann et Pierre Lorrain. Denoël, 2009.
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*Ce résumé me met positivement en joie.
lundi 5 septembre 2016
Lumikko, Pasi Ilmari Jääskeläinen
Alors que le Finnish Weird connaît chez nous une célébrité grandissante, j'ai profité de mon été pour lire Lumikko, livre dont le titre original est "La société littéraire du Dos-de-Lapin".
Cette belle couverture permettra d'identifier sans se tromper la maison d'édition de l'Ogre, aux publications audacieuses.
Dès les premières lignes, le lecteur est happé à la suite de la professeure de français Ella Milana, qui constate qu'une maladie touche les livres de son petit village, modifiant l'histoire qu'ils racontent. Le virus se propage jusque dans la bibliothèque locale, et semble avoir des liens avec la mystérieuse société littéraire du coin.
Fondée une trentaine d'années auparavant autour de la célèbre romancière pour enfants Laura Lumikko, ladite société avait pour objectif de repérer dix enfants prometteurs et d'en faire des auteurs importants. C'est chose faite, pour neuf d'entre eux, mais le dixième n'a jamais été identifié, jusqu'à ce que l'honneur n'échoie sur Ella.
Tout en poursuivant son enquête, elle va découvrir l'éducation qu'ont reçue ces auteurs, tous se livrant pour trouver de la matière littéraire à d'étranges pratiques.
Lumikko est inclassable et joue sur le décalage permanent : il associe à part égales une réalité banale avec un fantastique au bord du nonsense britannique. Bien que d'origine finlandaise, dans ce roman, le bizarre est reçu par les personnages avec un flegme qui évoque fortement Lewis Carroll. Toute la mécanisme du récit semble reposer sur une enquête quasi-policière, qui prend son temps, lézarde en route, visite d'autres genres littéraires et ne répond pas tout à fait à la question centrale : qui*qu'*est vraiment Laura Lumikko, aux livres pour enfants qui hésitent entre contes traditionnels et imaginaire Burtonien ? Aux étonnantes pratiques éducatives ?
Les personnages qui marivaudent dans cette aventure sont plutôt réussis et ont ce qu'il faut de défauts pour être touchants (sauf la bibliothécaire-auteur jeunesse, qui me semble-t-il, est surtout écrite dans un but précis*).
Le grand sujet du roman est l'amour des livres et de l'écriture, et on le déguste à toute heure et sur toutes les pages : nos personnages sont abonnés à des revues littéraires, traînent dans des bibliothèques publiques ou personnelles, se racontent des histoires, ont des tables dédiées dans les cafés avec leurs livres dessus).
On lit donc un étrange beau moment, peuplé de lettrés charmants et subtilement inquiétants, dans un village qui a ses zones d'ombres.
Si l'on est patient et plutôt anglophile, que l'on a une grande après-midi pluvieuse devant soi, Lumikko promet un excellent moment.
Lumikko, Pasi Ilmari Jääskeläinen, éditions de l'ogre, 2016. 406 p., 25 €.
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* Cependant, je ne suis pas complétement impartiale avec les personnages de bibliothécaires...
Cette belle couverture permettra d'identifier sans se tromper la maison d'édition de l'Ogre, aux publications audacieuses.
Dès les premières lignes, le lecteur est happé à la suite de la professeure de français Ella Milana, qui constate qu'une maladie touche les livres de son petit village, modifiant l'histoire qu'ils racontent. Le virus se propage jusque dans la bibliothèque locale, et semble avoir des liens avec la mystérieuse société littéraire du coin.
Fondée une trentaine d'années auparavant autour de la célèbre romancière pour enfants Laura Lumikko, ladite société avait pour objectif de repérer dix enfants prometteurs et d'en faire des auteurs importants. C'est chose faite, pour neuf d'entre eux, mais le dixième n'a jamais été identifié, jusqu'à ce que l'honneur n'échoie sur Ella.
Tout en poursuivant son enquête, elle va découvrir l'éducation qu'ont reçue ces auteurs, tous se livrant pour trouver de la matière littéraire à d'étranges pratiques.
Lumikko est inclassable et joue sur le décalage permanent : il associe à part égales une réalité banale avec un fantastique au bord du nonsense britannique. Bien que d'origine finlandaise, dans ce roman, le bizarre est reçu par les personnages avec un flegme qui évoque fortement Lewis Carroll. Toute la mécanisme du récit semble reposer sur une enquête quasi-policière, qui prend son temps, lézarde en route, visite d'autres genres littéraires et ne répond pas tout à fait à la question centrale : qui*qu'*est vraiment Laura Lumikko, aux livres pour enfants qui hésitent entre contes traditionnels et imaginaire Burtonien ? Aux étonnantes pratiques éducatives ?
Les personnages qui marivaudent dans cette aventure sont plutôt réussis et ont ce qu'il faut de défauts pour être touchants (sauf la bibliothécaire-auteur jeunesse, qui me semble-t-il, est surtout écrite dans un but précis*).
Le grand sujet du roman est l'amour des livres et de l'écriture, et on le déguste à toute heure et sur toutes les pages : nos personnages sont abonnés à des revues littéraires, traînent dans des bibliothèques publiques ou personnelles, se racontent des histoires, ont des tables dédiées dans les cafés avec leurs livres dessus).
On lit donc un étrange beau moment, peuplé de lettrés charmants et subtilement inquiétants, dans un village qui a ses zones d'ombres.
Si l'on est patient et plutôt anglophile, que l'on a une grande après-midi pluvieuse devant soi, Lumikko promet un excellent moment.
Lumikko, Pasi Ilmari Jääskeläinen, éditions de l'ogre, 2016. 406 p., 25 €.
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* Cependant, je ne suis pas complétement impartiale avec les personnages de bibliothécaires...
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