vendredi 22 juillet 2016

Choses vues et lues, juin-juillet 2016

Du bazar.
Et de l'action :
-Parfois, on se laisse impressionner par les choses que l'on ne connaît pas, uniquement parce qu'on est incapable de se représenter mentalement leur construction. Voir faire un dessin, par exemple, lorsque l'on regarde une vidéo Youtube, semble plus facile qu'être face à la feuille blanche avec son crayon. On peut alors se glisser dans les pas de la personne que l'on observe et mieux comprendre "comment c'est fait".

Longtemps, la photographie m'a semblé un art inaccessible et incompréhensible. Il m'a fallu la démonstration des techniques de réalisation de l'image dans un atelier pour enfin comprendre (la lumière, les négatifs et positifs).
Et se trouver capable de ramener la chose à sa technicité joyeuse pour produire des images, à son petit niveau.

- Parfois, on se laisse impressionner par des choses que l'on ne connaît pas (bis), parce qu'on les pare d'une telle valeur culturelle ajoutée qu'elle nous étouffe et nous empêche de nous y intéresser. Dans ce cas, rencontrer des passionnés qui vont partager avec vous ce qui les fait vibrer est une manière d'entrer à son tour dans le domaine. Dans mon cas, j'ai eu la chance d'assister à une formation cinéma d'une telle qualité qu'elle m'a rendue cinéphile et vaguement obsessionelle, ce qui fait que je regarde des films, et que je vais à d'absconses conférences tenues par des universitaires ayant des compulsions langagières portant sur l'adjectif "humoral" (à voir sur cette mine qu'est le site du Forum des Images). Et je me suis bien amusée en regardant des Chroma. Je n'ai plus peur, pas même de la Nouvelle Vague, pas même de Lussas (même si c'est pas pour cette année).

- Parfois on se laisse impressionner... Non, en fait, on n'a pas l'idée de faire le truc utile, et c'est quelqu'un d'autre qui allume la mèche à votre place : on m'a donc suggéré de faire un dessin par jour. Super bonne idée! Je m'y tiens depuis, de la répétition naît la progression (et on voit ça , on est invité à rigoler avec moi).
Cela me fait toutes sortes de bien parmi lesquels : s'obliger au croquis (la liaison main-oeil), terminer un dessin et sa mise en couleur (une de mes grosses angoisses, j'ai l'impression que je n'y comprends rien, à la couleur), tester des techniques différentes (enfin du sec, parce que jusqu'à maintenant je n'ai pas le temps de bricoler de l'aquarelle ou de la gouache le soir tard), trouver des sujets à dessiner (une réflexion barbare sur la pauvreté de mon imaginaire est en cours, je n'ai pas envie de dessiner de charmants quais Parisiens ou des jolies filles en jolies robes toute ma vie, ça m'ennuie, il va donc falloir trouver autre chose).

Et sinon :
 
Chris Ware : la bande dessinée réinventée, Jacques Samson et Benoît Peeters, Les impressions nouvelles, 2010.


Lire du Chris Ware, qu'on aie ou pas l'habitude de la bande dessinée, peut s'avérer un peu déroutant. La narration (quand figurent des phylactères et des paroles échangées, ce n'est pas toujours le cas) est inhabituelle, réduite à un symbole qu'il faut décrypter, le sens de lecture est aléatoire, les émotions des personnages se lisent dans la gradation subtile de leur mise en couleur, et l'objet-livre lui-même fait l'objet d'une déconstruction. Le lecteur un peu perdu, qui n'avait jamais rencontré de bande-dessinée post-moderne avant, se trouve bien content de fréquenter le livre mentionné ci-dessus, qui associe des textes présentant l'oeuvre de Chris Ware et ses influences, quelques articles de Chris Ware lui-même, et de nombreuses planches. On peut donc relire Jimmy Corrigan, Quimby the Mouse et le très spectaculaire Building stories (14 livrets rassemblés dans un coffret racontant les histoires séparées de personnes vivant dans le même bâtiment). En se trouvant tout ému, car Chris Ware, on le pressentait dans ses bandes dessinées, mais c'est évident en entretien, est un être humain sensible et bienveillant.



La fabrique du monstre : 10 ans d'immersion dans les quartiers Nord de Marseille, Philippe Pujol, Les Arènes, 2016.

Un nouveau livre de David Simon a été traduit par les éditions Inculte, et c'est alléchant, mais plus près de chez nous, qu'écrit un journaliste sur la drogue et les quartiers pauvres ? Qu'écrit le récipiendaire du Prix Albert Londres ? Philippe Pujol, ancien journaliste localier à La Marseillaise, raconte, et si le résultat n'est pas comparable à la narration brillante de l'auteur de The Wire, les situations dont il a été le témoin sont frappantes, et forment un rapport alarmant et douloureux sur la ville.
On en aura un résumé en écoutant cette émission.
Il va falloir lire Albert Londres.



Truman Capote, réalisation Benett Miller, 2005. Avec Philipp Seymour Hoffman, Catherine Keener...


Truman Capote, joli snob roi des conversations mondaines New yorkaises, s'est soudain pris de passion pour un meurtre familial au fin fond de l'Arkansas, essayant à force d'entretiens avec les meurtriers de comprendre la genèse de l'acte, dont il tirera son célèbre De sang froid. Le film montre ce jeu de manipulation auquel se livrent Capote et les détenus, l'un ayant le pouvoir (la liberté, l'argent, et surtout la parole), les autres ayant l'histoire dont il a besoin. Et comme il s'agit de relations humaines, de vie, et de mort, bien plus est finalement en jeu.
En parallèle du livre, j'ai aussi sur ma table de chevet Un plaisir trop bref, correspondance de Capote parfaite, qui associe brio, petits commérages et attentions touchantes. La quintessence des mots qu'on amerait avoir pour nos proches (impressionante traduction de Jacques Tournier), avec une vue imprenable sur le travail de l'auteur en train de se faire.
Et en parlant de la vie de Capote, je suis aussi curieuse de l'adaptation haute en couleurs et pas toujours du meilleur goût réalisée par Douglas McWrath en 2006, avec Toby Jones dans le rôle : Scandaleusement célèbre (Infamous).

Whity, R.W. Fassbinder, 1971
A la fin du XIXe siècle, dans une grande plantation du Sud des Etats-Unis, Whity est le fils illégitime d'un propriétaire blanc et d'une esclave noire. Tout en ayant un statut de serviteur, et en se laissant jouer par sa demi-famille blanche, il s'illusionne sur sa place dans cette famille très fin-de-race, parcourue de perversions et de haines quand lui est encore bon. C'est sa beauté et sa pureté que sa famille blanche lui envie tant, et qu'elle s'acharne à corrompre, tout en cherchant à en jouir. Ce cadre symbolique une fois posé, l'histoire se déroule sans accroc jusqu'aux scènes finales, prédestinées, où le héros se libère de ses entraves familiales.
Le film, et les couleurs, sont superbes (je pense notamment à la mise en valeur constante de la sensualité des personnages, par le vêtement -la veste rouge de Whity, les éclairages, les cadrages - un phénoménal plan tournant du héros, immobile sur son lit, et le jeu du maquillage, plus ou moins présent).


Lili Marleen, R. W Fassbinder, 1981
La très légère chanteuse de cabaret Lili Marleen entretient une relation avec un fils de banquier Suisse, fortement désapprouvée par la famille de celui-ci. Alors que la seconde guerre mondiale débute, la chanteuse aboandonnée se retrouve propulsée idole Hitlérienne à cause du succès de sa chanson, pendant que son amant, membre d'une organisation secrète de protection des juifs, se retrouve menacé. De cette trajectoire d'amour contrarié, Fassbinder tire des scènes mémorables, en jouant avec l'inquiétant glamour de cette vedette malgré elle, qui ne veut qu'une seule chose : son amour, et qu'elle n'obtiendra pas (et la scènes finale est paradoxalement très philosophe, car si la chanteuse est rejetée du monde rangé auquel elle aspirait, il est aussi évident que d'autres aventures l'attendent).


Et clore avec de l'art : suite à une géniale visiste chez Aaapoum-bapoum, je suis ultra-fan de l'auteur de bandes dessinées Chantal Montellier, de sa sobriété et de ses mises en couleur frappantes. Je vais en lire plus, je ferais un article un jour. Mais son dessin et son audace m'éblouissent.
Les damnés de Nanterre, Chantal Montellier, 2005







mercredi 13 juillet 2016

La justice de l'ancillaire, Ann Leckie

Hey.
Un petit mot rapide pour parler de ce livre sur lequel les avis semblent diverger, mais qui m'a plutôt enthousiasmé.

Donc, La Justice de l'ancillaire, traduit de Ancillary Justice, premier roman d'Ann Leckie, qui remercie dans son bouquin son club d'écriture, et partie inaugurale d'une trilogie dont le tome 2 vient juste de sortir (mais là, je suis noyée sous les bouquins, je me le garde donc comme plaisir coupable pour une prochaine fois).



Ce roman a reçu un accueil enthousiaste, dont le bandeau et la quatrième de couverture de l'édition J'ai Lu Millénaire porte la trace : une dizaine de mentions de prix parmi les plus prestigieux.
Pour autant, lorsqu'ayant loupé 3-4 stations de métro, prolongé une veillée de manière déraisonnable et jailli dans ma librairie préférée en le brandissant comme une sorcière son balai, le trio de spécialistes de la SF réuni à ce moment là devant le café m'a dit en gros : "Ah oui ? Tu as aimé ? Parce que bof-bof."
Bof-bof signifiant, parce que j'ai demandé : rien de nouveau sous le soleil, histoire ni originale ni intéressante, très longue première moitié du roman, personnages pas spécifiquement attachants.
Et puis j'ai lu d'autres critiques plutôt cools qui disaient "moui, ça peut plaire aux plus jeunes."

Well, il se trouve que j'ai vraiment aimé ma lecture, alors je vais essayer d'expliquer ce qui moi, m'a accroché : tout d'abord, il y a ce personnage principal incroyable (et effectivement peut-être pas follement chaleureux) qui est une intelligence artificielle de vaisseau spacial prise au piège dans un corps humain. Et qui regarde donc le monde avec une distance froide fascinante. Dès la première page, elle découvre une ancienne co-équipière dans une situation critique, et résoud de la sauver, pour des raisons particulièrement mystérieuses. Ce second personnage est délicieusement odieux, et c'est aussi lui qui va le plus évoluer pendant l'aventure, apportant progressivement une touche plus humaine (mais presque décevante, je l'aimais tellement snob, drogué et revenu de tout). Quoiqu'on ne puisse pas dire que notre IA reste complètement impassible, mais elle l'est pendant la majeure partie du récit, se révélant subtilement.
Comme les romans le font beaucoup, la narration alterne différentes périodes de temps: lorsque notre IA était encore un vaisseau, ses missions diplomatiques et ses relations avec son Capitaine préféré, et ses aventures actuelles. Bien sûr, et c'est pour moi l'une des meilleures pages du roman, Ann Leckie s'est réservée le plaisir de nous raconter la séparation de l'IA (une même scène d'action qui saute du vaisseau à la vingtaine de corps que son intelligence occupe, avec fluidité jusqu'à la rupture et l'isolement de notre héros). C'est, il me semble du très beau travail, et Ann Leckie est également plutôt douée pour le suspens (des scènes d'espionnage ou de négotiation très prenantes) et l'émotion.

Et surtout, il y a aussi ce jeu sur le genre qui m'a épatée (et je sais que c'est loin d'être la seule à jouer cette carte-là, et j'espère vite les découvrir) :  notre IA le dit dès le début, dans sa culture, il n'y a pas de différence culturelle entre les sexes, et le neutre est féminin. On dit par défaut "Une homme, Une capitaine, une vaisseau." L'ancienne partenaire récupérée à la page 1 est donc d'un genre indéterminée au début, à moins que le lecteur, comme moi, n'assume qu'elle est féminine pour finir par hésiter. Les relations entre personnages sont aussi habitées par cette incertitude, que l'on trouve troublante au début, pour l'accepter parfaitement en cours de roman.

Alors oui, c'est peut-être un peu facile par moment, comme un fast-food quand on rentre très tard chez soi et qu'on a pas envie de faire d'efforts. Mais le plaisir de lecture est bien présent, et pour peu qu'il soit disponible à la bibliothèque, ça vaut le coup d'essayer.

(Et ne me jetez pas trop de pierres, je vais lire du Baxter, c'est en cours...)