Haydy-Hoo, Howdy-Hey dit la cow-girl en chemise noire.
J'ai lu ce truc, auquel je n'aurais peut-être pas accordé un regard (en tout cas, pas tout de suite), sous la forte incitation de la fille qui n'aimait rien.
J'aurais pu lire du Vance, du Tosches, et un petit Léo Henry que je me garde sous le coude à la place, mais elle m'a demandé régulièrement si la lecture de ce cauchemar littéraire avançait, alors j'ai pris une grande inspiration, et j'ai plongé dans ces foutues 800 pages.
La curiosité tue les chats et réjouit les bibliothécaires, sans doute.
Donc, Willie T., c'est cet auteur-journaliste qui aime les phrases à rallonges et les romans si denses qu'ils pourraient être classés comme arme contondante par la préfecture de police. Il est vénéré dans son pays, et aimé dans le notre pour Les Fusils, et La Famille royale (en tout cas, les gens qui ont des lettres citent ces deux assez naturellement).
Actes Sud, qui est son éditeur attitré chez nous, a publié en janvier cet indubitable enfer de lecture que constitue son premier roman, un truc paru en 1987 et qui a valu à Vollmann un prix.
C'est le seul bouquin de ce monsieur au visage lunaire qu'on pourrait éventuellement classer dans le genre, si ça peut expliquer.
Ce qu'il s'y passe en synthèse : on y suit un auteur qui lutte au fil du roman avec un certain "Big George" (évocation divine ? conscience de l'ordinateur ? inconscient de l'auteur?) pour la survie de ses personnages, les fameux "bright and risen angels" du titre, qu'il prétend aimer mais aime surtout maltraiter. Lesdits angels sont au coeur d'une lutte, que l'on va suivre tout au long du 20e siècle, entre deux factions pour la domination du monde : les insectes, et les "programmeurs", vaillants scientifiques au service de l'électricité et de la technologie, ces seconds menés par les affreux M. White et Dr. Dodger, superbes personnifications d'une forme d'impérialisme américain, ou au minimum d'un pouvoir sans vergogne et sans morale. Alors que les différents épisodes très inspirés de la pop culture (Conquête de l'Ouest, Maltraitance scolaire, Love Story qui se délite, licenciements chez les yuppies... tout cela constitue le portrait d'une Amérique de cauchemar) pourraient nous laisser soutenir le camps du Bien, ou imaginer qu'un camps représente le Bien, Vollmann insiste sur la folle aliénation de ses personnages dont les choix, des deux côtés, ne sont fondés finalement que par leurs troubles intérieurs et leurs histoires personnelles, tandis que les deux camps ne sont que des choix dérisoires.
C'est un roman sur la désillusion, par quelqu'un qui avait pile l'âge de comprendre ce sentiment quand il l'a écrit.
Cela sur 800 pages, avec un style inégal qui peut être superbement évocateur (scène de la jungle au début, comme un luxuriant cauchemar éveillé), implacablement cruel (maltraitance enfantine et émotions à vif), ou insupportablement ennuyeux (souvent, et non, je ne le relirai pas pour pointer les passages). On sent dans son style l'influence de l'écriture beat (il a des phrases qui évoquent un Thompson très, très, fort, sans toutefois sa délectable virtuosité rythmique et quasi-musicale).
Là où d'autres donnent à leur style l'apparence d'un scat littéraire, Vollmann nous englue dans un fleuve plein de méandres insupportables et douloureux ne mêlant volontairement nulle part (comme la vie ? Comme la vie), une sorte de Yang Tsé pollué et sale où les dauphins sont destinés à mourir.
Ces personnages que l'on prend en pitié sans les aimer, que l'on méprise doucement, autant que leur auteur, et qui mourront ou pas, sans qu'on s'en préoccupe et sans que cela fasse sens.
Ces gens brisés qui font des choix brisés et qui essayent de se convaincre qu'il y a une forme d'idéalisme derrière.
Le cynisme du jeune Vollman de 27 ans est invraisemblable, et exsude du texte : ce qu'il nous raconte, ces renonciations glauques, ces mesquineries du quotidien, c'est ce qu'on ne nous raconte pas d'habitude, ou pas sans essayer de donner un sens aux épreuves. Là, en lisant le compte-rendu des blessures de nos personnages, notre subconscient murmure d'une voix perverse "ah, comme dans la vraie vie..." Ce qui me fait positionner Vollmann est dans la continuité d'un Steinbeck, dans l'écriture de la laideur du monde.
Ce que je pense de ce Léviathan, c'est que j'ai souffert -vraiment souffert- à la lecture. Que j'aurais bien aimé arrêter. Et que je l'aurais sans doute fait sans les incitations régulières, pour me replonger tranquillement dans un truc moins difficile.
Mais voilà, on a eu le temps de débriefer cette horreur polymorphe entre nous pendant à peu près deux heures, j'ai fait quelques recherches pour contextualiser. Et tout cela m'a permis de remettre en perspective mon expérience.
Parmi ces avis et recherches je retiens les éléments suivants auquel je souscris : la lecture ne fait pas toujours plaisir, et celle dont on retire le plus est souvent celle qui demande également le plus de nous-même (bien sûr, bien sûr, me diras-tu, mais tu sais : j'avais oublié, je lisais Jack Vance et je croyais que c'était les vacances). La manière de Vollmann maltraite narration, personnages et lecteur porte un nom, littérature post-moderne (mention à laquelle le lettré soupire, oui, mais c'est si artificiel cette étiquette : elle est pratique, en tout cas, pour comprendre les métamorphoses à l'œuvre dans l'écriture du XX-XXIe siècle). Il y a plusieurs façons de raconter, et de lire un récit : au premier degré ("A midi, on m'a jeté à bas du chariot de foin"), et au second, troisième, et tutti : le lecteur est conscient, et plus actif, l'auteur lui jette des cacahuètes et/ou des chausses-trappes, et ça, là, ces deux kilos cinq de bouquin, c'en est. Il va falloir creuser ça.
Alors, au final, que pensé-je des "Anges Radieux" ? Que c'est l'enfer. Que si tu aimes la SF, ou le roman classique, tu ne vas pas t'engager dans ce margouillat noir et froid comme le café de la veille. Que si tu t'intéresse aux petits arrangements des auteurs modernes avec le récit, il y a peut-être d'autres lectures qui ne feront pas aussi mal.
Mais voilà, ce sale Vollmann, que je n'ai pas aimé, pas aimé, pas aimé, et bien c'est de la littérature.
Après, le retour au roman traditionnel est comme trop sage, trop normal. On comprend tout. Les personnages se comportent comme tel et c'est énervant, parce qu'à quoi bon, en fait.
Tout est gentil, rassurant et décevant.
Peut-être que je ne lirai plus jamais de Vollmann. Peut-être que j'en lirai d'autres.
Mais cette sensation, là, si déplaisante, si stimulante, je vais la rechercher. Parce que je ne crois pas que la littérature (en tout cas celle qui m'intéresse) soit polie, ni même qu'elle doive l'être, tout comme je ne croie pas que l'art où la musique le sont. J'ai plus confiance dans le bordel, les états transitoires et les bactéries.
Les anges radieux / William T. Vollmann, traduit de "You bright and risen angels : a cartoon" par Claro, Actes Sud, 2016.
jeudi 17 mars 2016
dimanche 6 mars 2016
Choses vues et lues, janvier-février 2016
Hey, voilà c'est mars, à la fenêtre une giboulée de petits grêlons fond au soleil, je suis à la bourre de tout mais c'est comme ça que la vie a du goût, bonjour.
Des trucs de début 2016, et beaucoup d'expositions :
Faire le mur : quatre siècles de papier peint (Musée des Arts décoratifs).
Il faut rendre service aux profs d'arts plastiques, ça vaut des invit' cools des fois. Là, devant mon aveu public de fanatique du motif, je me suis vu offrir le passage vers cette rétrospective des très riches collections du Musée des Arts Décoratifs.
Alors oui, tu vas me dire.
C'est un étage complet de chutes de papiers peints.
Mais c'est par la rencontre de toutes époques et de toute couleurs que naît l'intérêt visuel. C'est l'occasion d'offrir à ses yeux toutes époques graphiques, des William Morris fleuris psychédéliques, des papiers peints panoramiques enveloppant l'œil d'un mur à l'autre... L'œil, de lui même, identifie les motifs et les dates, et aimerait reconstruire un décor, malheureusement complétement absent, autant que le texte explicatif contextualisant l'ensemble. Le souci, c'est que le papier peint, présenté ainsi seul, pour électrisant qu'il puisse être, est quand même assez peu porteur de sens en dehors de son rôle esthétique : cette exposition est vraiment pensée pour le fanatique de graphisme, et nous en met plein la vue. Pile ce qu'on aimerait pouvoir avoir chez soi : des murs complets de surimpressions de couleurs luxuriantes*.
Pour les autres, je l'avoue, c'est un étage complet de chutes de papier peint.
I love John Giorno, installation d'Ugo Rondinone, Palais de Tokyo
Où, donc, l'on a reparlé de cet inconnu chez nous, le poète américain John Giorno. La mise en scène très visuelle était de Ugo Rondinone, artiste contemporain Suisse spécialisé dans la performance filmée (et on comprend donc un peu qu'il aime John Giorno, qui aimait tout autant la caméra).
De salle en salle, on assistait à quelques performances de John, à tous les âges : de la très émouvante performance poétique célébrant ses 75 ans, à l'une de ses premières vidéos, où, beau jeune homme, il était filmé nu, dormant, par Andy Warhol. Le tout intercalé de morceaux de poèmes audacieux, révoltés, libidineux, et de vestiges illustrant sa prodigieuse carrière, et sa vie tumultueuse.
A cette occasion, voilà ce que je retiens de John Giorno, dont les mémoires s'intitulent très à propos You got to burn to shine : à travers ses poèmes volontairement matérialistes, jouisseurs et pleins d'un humour sarcastique, il me semble qu'il avait touché une certaine vérité cruelle de son époque, et que les répétitions nombreuses dans ses poèmes, qui peuvent sembler un artifice facile, sont avant tout la marque d'un étouffement, d'une surexcitation, d'une surabondance de tout.
Ecouter les poèmes de Giorno peut être douloureux tant ce qui est reflété est problématique, et c'est une bonne part de ce qui me plaît chez lui.
Pour le reste, chez ce viveur qui assume les excès les plus graphiques, se trouve également une vraie sensibilité poétique (que même toi, qui comme moi n'a pas lu de poésie depuis Rimbaud, saura reconnaître). Prononcés, ses écrits acquièrent par la voix une dimension sensuelle supplémentaire, dont il aura joué via le dispositif dial-a-poem (un numéro à appeler pour entendre de la poésie), ou les disques de poésie lue qu'il aura édité.
En conséquence, j'aime John Giorno, moi aussi.
Chandigarh, 50 ans après Le Corbusier / Cité de l'Architecture et du Patrimoine
Surprise : cette exposition, de taille modeste, calée au niveau moins 2 de la Cité, là où on penserait plus à conserver ses bouteilles de Morgon, et à laquelle un billet de cinq euros permettait d'accéder, constituait cependant l'une des plus belles scénographies de ce début d'année.
Je m'explique.
Il s'agissait de comprendre l'évolution de la ville de Chandigarh (sorte de ville nouvelle Indienne, crée de toute pièce par Le Corbusier, Jeanneret, et un groupe d'architectes indiens associés) après 50 ans de fonctionnement : quels usages perdurent ? Quels utilisations ont disparu ? Pour cela, on aurait pu imaginer une expo-dossier pleine de plans et de photos, un truc indigeste que seul un architecte aurait pu apprécier. Mais le choix a été celui de la perspective sociologique : des heures de documentaire ont été tournés dans les rues, puis dans les logements et les bâtiments publics, mêlant à la contemplation esthétique l'aspect humain, et transformant cette nourriture intellectuelle en spectacle sensible : ces vidéos, projetées sur de très grands écrans, couvraient la totalité d'un mur, et devant chacune se trouvait des fauteuils confortables conçus par Le Corbusier pour la ville. Outre ce visuel très englobant, les audios se mêlaient librement, chants d'oiseaux, interviews, circulation automobile, pour recréer le pouls de la ville. A l'autre extrémité de la salle, maquettes, plans et explications se succédaient, secondées par des dispositifs multimédia thématiques (terrain occupé, difficultés rencontrées, futur de la ville...) De ce spectacle enthousiasmant conjuguant architecture, urbanisme et être humain, le spectateur ressort dépaysé.
Et l'œuvre du Corbusier alors ?
Je crois que le mieux, ce serait d'aller nous rendre compte par nous-même.
Visages de l'effroi / Musée de la vie Romantique
Le 19e, siècle sanglant, où l'on se sort de la Révolution Française et des guerres Napoléoniennes pour tomber dans le Gothique, le surnaturel, et le morbide. N'y aurait-il pas un lien de cause à effet ? C'est la thèse de cette exposition du Musée de la Vie Romantique, qui aura été une occasion de voir des files de pompiers traditionnellement conservés dans les Musées des Beaux-Arts de province, sur des sujets plus ou moins douteux. Il me semble que la liaison intellectuelle entre ce premier sujet et la passion populaire pour le faits divers (deuxième partie de l'exposition) était très lâche. Bien sûr, le musée de la vie romantique est un petit musée, et je ne sais pas précisément ce que j'attendais de cette exposition. Cependant, si j'admire parfois la maîtrise technique des peintres pompiers, j'ai moins de goût pour leurs esquisses, croquis, et travaux préparatoires, en très grand nombre cette fois, sans que le secours de cartels expliquant leur intérêt ne vienne m'éclairer. J'ai appris qui était Fingal, et c'est déjà pas mal.
Le grand partout / William T. Volmann
Où l'on découvre que le grand auteur, quand il n'est pas en train d'écrire, joue les hobos dans les trains de marchandise traversant les US. Un peu comme quand les urbains que nous sommes se lancent dans l'exploration de ruines industrielles, ou vivent le grand frisson sous Paris, en somme. Mais Volmann est honnête dans sa démarche : il sait bien, lui, qu'il a le confort d'une maison et d'une vie rangée qui l'attend, et avec la facilité d'abord qui le caractérise, il entretient des relations plus ou moins suivies avec de nombreux hobos, bien conscient de leurs conditions de vie. Il est également touchant lorsqu'il se dépeint, vieillissant, insistant pour continuer ses périples alors que son corps le ralentit et l'handicape. Ce livre n'est probablement pas un des immanquables de l'auteur, mais il témoigne du mythe du hobo américain à sa manière.
Hommage à la Catalogne / George Orwell
Le futur auteur de 1984, parti enquêter sur la guerre d'Espagne en tant que journaliste, s'engage au POUM (Parti Ouvrier d'Unification Marxiste) et débarque tout frais dans un Barcelone révolutionnaire.
Nous sommes en 1936, et pendant plus de 6 mois, Orwell vit de l'intérieur la guerre civile. Il découvre l'humanité de son ennemi, et se retrouve à tirer en priant pour ne pas toucher. Il fait l'expérience de la propagande politique. Son idéalisme de départ est douché peu à peu par la prise en tenailles totalitaire de la guerre (entre Franco et le communisme Stalinien), et cette expérience fondatrice constituera le fondement de ses réflexions pour 1984.
Le casse du continuum / Léo Henry
Pour un bon Léo Henry, il faut des ingrédients de qualité, un shaker et quelques glaçons.
Ce cru comporte donc une bonne mesure de Ocean's eleven, un doigt de Space Opera, et un remords de Guet-Apens. C'est cinématographique en diable, et on se retrouve à caster ses acteurs préférés dans les rôles titres. La pression ne retombe jamais, il faut rusher sa lecture jusqu'à la dernière rasade pour être satisfait, et pourtant à déguster, c'est un plaisir.
Agiter au shaker, servir glacé dans un verre à Margarita.
Pour conclure, j'allais te parler de Raylambert, gentil illustrateur des 30's. Et puis j'ai décidé que non, j'allais plutôt terminer avec un de mes illustrateurs préférés, BlexBolex. Je me doute que tu n'es pas étonné, parce que tu connais son style sérigraphie 50's dopée au fluo, et que dans tes étagères il y a le Ken Kesey Et quelque fois j'ai une grande idée, qu'il a illustré. Oui, moi aussi j'aime.
Et parmi sa fabuleuse production (tout est top, et si tu as des cadeaux jeunesse à faire je te conseille l'Imagier des Gens ou Romance, deux petits chefs d'œuvre graphiques), j'ai plus précisément choisi d'aborder mon Graal personnel, le classique de la cuisine française sur lequel j'ai appris vers 7 ans à faire des crèmes anglaises, j'ai nommé Je sais cuisiner, de Ginette Mathiot. Le gros ouvrage est un classique affreusement moche, et Saint Gordon Ramsay sache pourquoi, c'est uniquement en Angleterre que Phaidon l'a fait illustrer par BlexBolex, ce qui lui a valu le surnom envié -donné par moi-même- de "plus beau livre de cuisine du monde." Alors voilà, si un jour c'est mon anniv' et que tu ne sais pas quoi offrir, I know how to cook, je pense que ça peut le faire. En échange, je te ferai une île flottante, je suis hyper douée pour les îles flottantes.
Et hop, mars !
* en tout cas, chez moi. Mon rêve, ce serait un truc décadent à la jonction entre des murs lépreux couverts de graffitis 90's et un intérieur à la Tony Duquette. Ou un shabby chic cyberpunk comme dans les intérieurs de Blade runner, tu vois ? Drama is cool, dirons-nous. Fin de l'instant Elle déco.
Des trucs de début 2016, et beaucoup d'expositions :
Faire le mur : quatre siècles de papier peint (Musée des Arts décoratifs).
Il faut rendre service aux profs d'arts plastiques, ça vaut des invit' cools des fois. Là, devant mon aveu public de fanatique du motif, je me suis vu offrir le passage vers cette rétrospective des très riches collections du Musée des Arts Décoratifs.
Alors oui, tu vas me dire.
C'est un étage complet de chutes de papiers peints.
Mais c'est par la rencontre de toutes époques et de toute couleurs que naît l'intérêt visuel. C'est l'occasion d'offrir à ses yeux toutes époques graphiques, des William Morris fleuris psychédéliques, des papiers peints panoramiques enveloppant l'œil d'un mur à l'autre... L'œil, de lui même, identifie les motifs et les dates, et aimerait reconstruire un décor, malheureusement complétement absent, autant que le texte explicatif contextualisant l'ensemble. Le souci, c'est que le papier peint, présenté ainsi seul, pour électrisant qu'il puisse être, est quand même assez peu porteur de sens en dehors de son rôle esthétique : cette exposition est vraiment pensée pour le fanatique de graphisme, et nous en met plein la vue. Pile ce qu'on aimerait pouvoir avoir chez soi : des murs complets de surimpressions de couleurs luxuriantes*.
Pour les autres, je l'avoue, c'est un étage complet de chutes de papier peint.
I love John Giorno, installation d'Ugo Rondinone, Palais de Tokyo
Où, donc, l'on a reparlé de cet inconnu chez nous, le poète américain John Giorno. La mise en scène très visuelle était de Ugo Rondinone, artiste contemporain Suisse spécialisé dans la performance filmée (et on comprend donc un peu qu'il aime John Giorno, qui aimait tout autant la caméra).
De salle en salle, on assistait à quelques performances de John, à tous les âges : de la très émouvante performance poétique célébrant ses 75 ans, à l'une de ses premières vidéos, où, beau jeune homme, il était filmé nu, dormant, par Andy Warhol. Le tout intercalé de morceaux de poèmes audacieux, révoltés, libidineux, et de vestiges illustrant sa prodigieuse carrière, et sa vie tumultueuse.
A cette occasion, voilà ce que je retiens de John Giorno, dont les mémoires s'intitulent très à propos You got to burn to shine : à travers ses poèmes volontairement matérialistes, jouisseurs et pleins d'un humour sarcastique, il me semble qu'il avait touché une certaine vérité cruelle de son époque, et que les répétitions nombreuses dans ses poèmes, qui peuvent sembler un artifice facile, sont avant tout la marque d'un étouffement, d'une surexcitation, d'une surabondance de tout.
Ecouter les poèmes de Giorno peut être douloureux tant ce qui est reflété est problématique, et c'est une bonne part de ce qui me plaît chez lui.
Pour le reste, chez ce viveur qui assume les excès les plus graphiques, se trouve également une vraie sensibilité poétique (que même toi, qui comme moi n'a pas lu de poésie depuis Rimbaud, saura reconnaître). Prononcés, ses écrits acquièrent par la voix une dimension sensuelle supplémentaire, dont il aura joué via le dispositif dial-a-poem (un numéro à appeler pour entendre de la poésie), ou les disques de poésie lue qu'il aura édité.
En conséquence, j'aime John Giorno, moi aussi.
Chandigarh, 50 ans après Le Corbusier / Cité de l'Architecture et du Patrimoine
Surprise : cette exposition, de taille modeste, calée au niveau moins 2 de la Cité, là où on penserait plus à conserver ses bouteilles de Morgon, et à laquelle un billet de cinq euros permettait d'accéder, constituait cependant l'une des plus belles scénographies de ce début d'année.
Je m'explique.
Il s'agissait de comprendre l'évolution de la ville de Chandigarh (sorte de ville nouvelle Indienne, crée de toute pièce par Le Corbusier, Jeanneret, et un groupe d'architectes indiens associés) après 50 ans de fonctionnement : quels usages perdurent ? Quels utilisations ont disparu ? Pour cela, on aurait pu imaginer une expo-dossier pleine de plans et de photos, un truc indigeste que seul un architecte aurait pu apprécier. Mais le choix a été celui de la perspective sociologique : des heures de documentaire ont été tournés dans les rues, puis dans les logements et les bâtiments publics, mêlant à la contemplation esthétique l'aspect humain, et transformant cette nourriture intellectuelle en spectacle sensible : ces vidéos, projetées sur de très grands écrans, couvraient la totalité d'un mur, et devant chacune se trouvait des fauteuils confortables conçus par Le Corbusier pour la ville. Outre ce visuel très englobant, les audios se mêlaient librement, chants d'oiseaux, interviews, circulation automobile, pour recréer le pouls de la ville. A l'autre extrémité de la salle, maquettes, plans et explications se succédaient, secondées par des dispositifs multimédia thématiques (terrain occupé, difficultés rencontrées, futur de la ville...) De ce spectacle enthousiasmant conjuguant architecture, urbanisme et être humain, le spectateur ressort dépaysé.
Et l'œuvre du Corbusier alors ?
Je crois que le mieux, ce serait d'aller nous rendre compte par nous-même.
Visages de l'effroi / Musée de la vie Romantique
Le 19e, siècle sanglant, où l'on se sort de la Révolution Française et des guerres Napoléoniennes pour tomber dans le Gothique, le surnaturel, et le morbide. N'y aurait-il pas un lien de cause à effet ? C'est la thèse de cette exposition du Musée de la Vie Romantique, qui aura été une occasion de voir des files de pompiers traditionnellement conservés dans les Musées des Beaux-Arts de province, sur des sujets plus ou moins douteux. Il me semble que la liaison intellectuelle entre ce premier sujet et la passion populaire pour le faits divers (deuxième partie de l'exposition) était très lâche. Bien sûr, le musée de la vie romantique est un petit musée, et je ne sais pas précisément ce que j'attendais de cette exposition. Cependant, si j'admire parfois la maîtrise technique des peintres pompiers, j'ai moins de goût pour leurs esquisses, croquis, et travaux préparatoires, en très grand nombre cette fois, sans que le secours de cartels expliquant leur intérêt ne vienne m'éclairer. J'ai appris qui était Fingal, et c'est déjà pas mal.
Le grand partout / William T. Volmann
Où l'on découvre que le grand auteur, quand il n'est pas en train d'écrire, joue les hobos dans les trains de marchandise traversant les US. Un peu comme quand les urbains que nous sommes se lancent dans l'exploration de ruines industrielles, ou vivent le grand frisson sous Paris, en somme. Mais Volmann est honnête dans sa démarche : il sait bien, lui, qu'il a le confort d'une maison et d'une vie rangée qui l'attend, et avec la facilité d'abord qui le caractérise, il entretient des relations plus ou moins suivies avec de nombreux hobos, bien conscient de leurs conditions de vie. Il est également touchant lorsqu'il se dépeint, vieillissant, insistant pour continuer ses périples alors que son corps le ralentit et l'handicape. Ce livre n'est probablement pas un des immanquables de l'auteur, mais il témoigne du mythe du hobo américain à sa manière.
Hommage à la Catalogne / George Orwell
Le futur auteur de 1984, parti enquêter sur la guerre d'Espagne en tant que journaliste, s'engage au POUM (Parti Ouvrier d'Unification Marxiste) et débarque tout frais dans un Barcelone révolutionnaire.
Nous sommes en 1936, et pendant plus de 6 mois, Orwell vit de l'intérieur la guerre civile. Il découvre l'humanité de son ennemi, et se retrouve à tirer en priant pour ne pas toucher. Il fait l'expérience de la propagande politique. Son idéalisme de départ est douché peu à peu par la prise en tenailles totalitaire de la guerre (entre Franco et le communisme Stalinien), et cette expérience fondatrice constituera le fondement de ses réflexions pour 1984.
Le casse du continuum / Léo Henry
Pour un bon Léo Henry, il faut des ingrédients de qualité, un shaker et quelques glaçons.
Ce cru comporte donc une bonne mesure de Ocean's eleven, un doigt de Space Opera, et un remords de Guet-Apens. C'est cinématographique en diable, et on se retrouve à caster ses acteurs préférés dans les rôles titres. La pression ne retombe jamais, il faut rusher sa lecture jusqu'à la dernière rasade pour être satisfait, et pourtant à déguster, c'est un plaisir.
Agiter au shaker, servir glacé dans un verre à Margarita.
Pour conclure, j'allais te parler de Raylambert, gentil illustrateur des 30's. Et puis j'ai décidé que non, j'allais plutôt terminer avec un de mes illustrateurs préférés, BlexBolex. Je me doute que tu n'es pas étonné, parce que tu connais son style sérigraphie 50's dopée au fluo, et que dans tes étagères il y a le Ken Kesey Et quelque fois j'ai une grande idée, qu'il a illustré. Oui, moi aussi j'aime.
Et parmi sa fabuleuse production (tout est top, et si tu as des cadeaux jeunesse à faire je te conseille l'Imagier des Gens ou Romance, deux petits chefs d'œuvre graphiques), j'ai plus précisément choisi d'aborder mon Graal personnel, le classique de la cuisine française sur lequel j'ai appris vers 7 ans à faire des crèmes anglaises, j'ai nommé Je sais cuisiner, de Ginette Mathiot. Le gros ouvrage est un classique affreusement moche, et Saint Gordon Ramsay sache pourquoi, c'est uniquement en Angleterre que Phaidon l'a fait illustrer par BlexBolex, ce qui lui a valu le surnom envié -donné par moi-même- de "plus beau livre de cuisine du monde." Alors voilà, si un jour c'est mon anniv' et que tu ne sais pas quoi offrir, I know how to cook, je pense que ça peut le faire. En échange, je te ferai une île flottante, je suis hyper douée pour les îles flottantes.
Et hop, mars !
* en tout cas, chez moi. Mon rêve, ce serait un truc décadent à la jonction entre des murs lépreux couverts de graffitis 90's et un intérieur à la Tony Duquette. Ou un shabby chic cyberpunk comme dans les intérieurs de Blade runner, tu vois ? Drama is cool, dirons-nous. Fin de l'instant Elle déco.
jeudi 3 mars 2016
Succession, Scott Westerfeld
Chroniqué par Alice Abdaloff,
dont les goûts ne sauraient être remis en question, Succession est un roman
de SF brillant où l'on suit en fractionné trois excellentes séquences
narratives : dans le présent, la bataille spatiale acharnée que mène un
commandant de vaisseau contre une intelligence artificielle
auto-baptisée Alexandre ; en parallèle mais à des milliers de kilomètres,
les choix politiques de son amante, importante sénatrice d'un Empire où
l'on a vaincu la mort par d'étranges et mystérieuses méthodes ; et
enfin, dans le passé, leur rencontre et les débuts de leur relation dans
la fabuleuse maison intelligente de la sénatrice.
L'argument central de ce gros roman est dans l'utilité de l'évolution et l'acceptation de la mort : que se passe-t-il lorsque des gouvernants deviennent immortels et n'évoluent plus ? Si un Empire perdure des siècles, immuable, quand tout bouge autour de lui ?
Cette question fondamentale est étayée par de nombreux emprunts à la philosophie orientale, visibles (multiples extraits de Sun Tsu) ou plus discrets (l'organisation de la Cour me semble devoir beaucoup à la Chine Impériale, et le code d'honneur militaire au Japon).
Succession est bon, parce que les personnages sont fouillés, imparfaits et pourtant soumis à des situations difficiles qui les conduisent à définir ce que sont leurs valeurs et à se mettre en péril pour elles.
Cette mise en danger éthique est l'un des propos du roman, qui réussit à le traiter sans trop de manichéisme.
On saluera également cette performance qui consiste à alterner les angles de prise de vue (j'utilise à dessein ce terme cinématographique, qui reflète le côté visuel des scènes), et mêler combats galactiques biens menés (le combat galactique est envisagé comme une variante à 360° du combat naval), scènes d'actions rythmées, et moments intimes crédibles et touchants.
Il me semble également important de souligner la gestion qui est faite des intelligences artificielles, qui n'ont rien à envier aux hommes, dont elles sont les égales en matière d'importance dans le récit.
Cette position est assez inhabituelle : il me semble avoir lu bien plus de romans où l'IA, qu'elle soit humanoïde ou non, est soit un élément de décor exotique sans influence réelle sur le récit* (on aurait pu la remplacer par un tout autre personnage sans pour autant modifier la trame narrative), soit un personnage secondaire, qui peut être fascinant, digne d'intérêt, mais qui finalement restera étranger et mystérieux : on saura peu de ses combats, rien de ses pensées ou de ses émotions, et on le voit à vue d'homme. Ce n'est pas le cas ici, et les IA sont de véritables personnages, à placer sur un plan d'égalité avec leurs contreparties humaines : qu'il s'agisse du stratège Alexandre ou de la brillante et touchante Maison, dont le seul objectif est de faire la fierté de sa propriétaire en déployant sa prodigieuse intelligence à son service.
Westerfeld traite d'ailleurs de la même manière l'essentiel de ses personnages : qu'il s'agisse d'extra-terrestres zélotes religieux, ou de robots, il s'intéresse à leurs motivations, à leurs failles, à ce qui fait finalement leur humanité.
Bien évidemment, il s'agit ici de science-fiction, et il faut donc accepter le prix de ces quelques pages où, plongé dans un univers inhabituel, on ne comprend rien, nos références s'avérant inapplicables. Il faut également accepter la construction en trois temps du récit, qui peut sembler artificielle et rigide. Elle constitue pourtant la seule respiration quand le récit enchaîne actions violentes et questionnements éthiques, dans un univers hostile de bien des façons, et révèle sa valeur lors du final du roman en permettant l'invocation d'une fatalité tragique.
On pourra également se laisser décourager par l'ambition de l'univers dépeint, qui contraint Westerfield à ne pas s'apesantir sur le fonctionnement de l'Empire pour ne pas nuire à l'action : le lecteur en obtient donc des coup d'oeils partiels, plus ou moins informés selon le point de vue du personnage, et doit accepter de ne pas tout connaître. Ce parti-pris est assez inconfortable quand on en vient à la place des immortels dans la société, et un peu dommage dans la mesure où ce questionnement métaphysique est au coeur du roman.
Mais une fois ces prix payés, Succession est un très bon roman, qui parvient à balayer une multitude de problématiques contemporaines tout en restant captivant.
Succession, Scott Westerfeld, traduit par Guillaume Fournier, Pocket, 2012.
----------------
* je suis preneuse de toute suggestion de lecture/film/série sur la question (et ai bien noté de lire L'IA et son double, autre roman de Scott Westerfeld sur le même thème).
L'argument central de ce gros roman est dans l'utilité de l'évolution et l'acceptation de la mort : que se passe-t-il lorsque des gouvernants deviennent immortels et n'évoluent plus ? Si un Empire perdure des siècles, immuable, quand tout bouge autour de lui ?
Cette question fondamentale est étayée par de nombreux emprunts à la philosophie orientale, visibles (multiples extraits de Sun Tsu) ou plus discrets (l'organisation de la Cour me semble devoir beaucoup à la Chine Impériale, et le code d'honneur militaire au Japon).
Succession est bon, parce que les personnages sont fouillés, imparfaits et pourtant soumis à des situations difficiles qui les conduisent à définir ce que sont leurs valeurs et à se mettre en péril pour elles.
Cette mise en danger éthique est l'un des propos du roman, qui réussit à le traiter sans trop de manichéisme.
On saluera également cette performance qui consiste à alterner les angles de prise de vue (j'utilise à dessein ce terme cinématographique, qui reflète le côté visuel des scènes), et mêler combats galactiques biens menés (le combat galactique est envisagé comme une variante à 360° du combat naval), scènes d'actions rythmées, et moments intimes crédibles et touchants.
Il me semble également important de souligner la gestion qui est faite des intelligences artificielles, qui n'ont rien à envier aux hommes, dont elles sont les égales en matière d'importance dans le récit.
Cette position est assez inhabituelle : il me semble avoir lu bien plus de romans où l'IA, qu'elle soit humanoïde ou non, est soit un élément de décor exotique sans influence réelle sur le récit* (on aurait pu la remplacer par un tout autre personnage sans pour autant modifier la trame narrative), soit un personnage secondaire, qui peut être fascinant, digne d'intérêt, mais qui finalement restera étranger et mystérieux : on saura peu de ses combats, rien de ses pensées ou de ses émotions, et on le voit à vue d'homme. Ce n'est pas le cas ici, et les IA sont de véritables personnages, à placer sur un plan d'égalité avec leurs contreparties humaines : qu'il s'agisse du stratège Alexandre ou de la brillante et touchante Maison, dont le seul objectif est de faire la fierté de sa propriétaire en déployant sa prodigieuse intelligence à son service.
Westerfeld traite d'ailleurs de la même manière l'essentiel de ses personnages : qu'il s'agisse d'extra-terrestres zélotes religieux, ou de robots, il s'intéresse à leurs motivations, à leurs failles, à ce qui fait finalement leur humanité.
Bien évidemment, il s'agit ici de science-fiction, et il faut donc accepter le prix de ces quelques pages où, plongé dans un univers inhabituel, on ne comprend rien, nos références s'avérant inapplicables. Il faut également accepter la construction en trois temps du récit, qui peut sembler artificielle et rigide. Elle constitue pourtant la seule respiration quand le récit enchaîne actions violentes et questionnements éthiques, dans un univers hostile de bien des façons, et révèle sa valeur lors du final du roman en permettant l'invocation d'une fatalité tragique.
On pourra également se laisser décourager par l'ambition de l'univers dépeint, qui contraint Westerfield à ne pas s'apesantir sur le fonctionnement de l'Empire pour ne pas nuire à l'action : le lecteur en obtient donc des coup d'oeils partiels, plus ou moins informés selon le point de vue du personnage, et doit accepter de ne pas tout connaître. Ce parti-pris est assez inconfortable quand on en vient à la place des immortels dans la société, et un peu dommage dans la mesure où ce questionnement métaphysique est au coeur du roman.
Mais une fois ces prix payés, Succession est un très bon roman, qui parvient à balayer une multitude de problématiques contemporaines tout en restant captivant.
Succession, Scott Westerfeld, traduit par Guillaume Fournier, Pocket, 2012.
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* je suis preneuse de toute suggestion de lecture/film/série sur la question (et ai bien noté de lire L'IA et son double, autre roman de Scott Westerfeld sur le même thème).
mercredi 24 février 2016
Les incidents de la nuit, David B.
Plusieurs trucs :
- 2006, une étudiante, une petite librairie de province, et les trois premiers fascicules des Incidents, présentés comme un vrai/faux journal XIXe. Emballage intrigant, graphisme déroutant. On y suit un narrateur à la poursuite du rédacteur immortel d'un journal conspirationniste et occulte, dont les objectifs sont incertains, mais malfaisants à coup sûr. Il y a des tonnes de livres et plein de trouvailles pour bibliophile. C'est chouette.
Puis, pendant longtemps plus rien de monsieur B. sur ce sujet.
- 2010, re-rencontre avec le travail d'iceluy, des années après. On admire la beauté de son dessin : noirs graphiques, géométrie très art déco (qui nous évoque les bas-reliefs sumériens du British Museum, on ne sait pas pourquoi, si ce n'est que le British Museum, c'est très bien). La nouvelle bande dessinée, mouvement autour de l'Association dont M. B est l'un des cofondateurs, est héritière de l'esthétique A suivre et d'une partie de ses thèmes, et ça se voit.
- 2014, où l'on parle de cette bande dessinée dans une sordide et bien-aimée librairie du 12e, et où l'on sort sous nos yeux les volumes manquants des Incidents de la nuit, les trois premiers réunis en un volume, et suivis d'un tome deux inédit. Petit regret parce qu'on perd cette couv' évocatrice, et que la mise en couleur, jusqu'à maintenant, affadit le dessin de l'illustrateur. Petit regret parce que s'il y a encore des idées délectables pour bibliophile, la trame narrative part en vrille, les personnages et leurs motivations aussi. Mais ça reste un livre inclassable pour fan de bouquins, et les anecdotes sont savoureuses.
Dans la nouvelle édition, David B. fait référence à un livre de Jacques Yonnet, qui est plutôt culte : Rue des Maléfices, sorte de Mystères de Paris 50's. Psychogéographie toujours. Le texte de Yonnet constitue une somme de l'imaginaire fantastique parisien, dans une période peu habituelle, il est logique qu'il donne lieu à des oeuvres dérivées comme la bande dessinée ci-dessus. Il faut donc lire Les Incidents de la nuit si on aime les livres, et lire Jacques Yonnet si on aime Paris.
- 2016 enfin, on parle des Incidents en public, on prête les Incidents.
La rencontre se fait ou pas, mais l'important est de populariser cette curiosité, à la fois typique du travail de David B. (dimension autobiographique), et pourtant à côté de son travail habituel (bibliomanie fantastique).
- 2006, une étudiante, une petite librairie de province, et les trois premiers fascicules des Incidents, présentés comme un vrai/faux journal XIXe. Emballage intrigant, graphisme déroutant. On y suit un narrateur à la poursuite du rédacteur immortel d'un journal conspirationniste et occulte, dont les objectifs sont incertains, mais malfaisants à coup sûr. Il y a des tonnes de livres et plein de trouvailles pour bibliophile. C'est chouette.
Puis, pendant longtemps plus rien de monsieur B. sur ce sujet.
- 2010, re-rencontre avec le travail d'iceluy, des années après. On admire la beauté de son dessin : noirs graphiques, géométrie très art déco (qui nous évoque les bas-reliefs sumériens du British Museum, on ne sait pas pourquoi, si ce n'est que le British Museum, c'est très bien). La nouvelle bande dessinée, mouvement autour de l'Association dont M. B est l'un des cofondateurs, est héritière de l'esthétique A suivre et d'une partie de ses thèmes, et ça se voit.
- 2014, où l'on parle de cette bande dessinée dans une sordide et bien-aimée librairie du 12e, et où l'on sort sous nos yeux les volumes manquants des Incidents de la nuit, les trois premiers réunis en un volume, et suivis d'un tome deux inédit. Petit regret parce qu'on perd cette couv' évocatrice, et que la mise en couleur, jusqu'à maintenant, affadit le dessin de l'illustrateur. Petit regret parce que s'il y a encore des idées délectables pour bibliophile, la trame narrative part en vrille, les personnages et leurs motivations aussi. Mais ça reste un livre inclassable pour fan de bouquins, et les anecdotes sont savoureuses.
Dans la nouvelle édition, David B. fait référence à un livre de Jacques Yonnet, qui est plutôt culte : Rue des Maléfices, sorte de Mystères de Paris 50's. Psychogéographie toujours. Le texte de Yonnet constitue une somme de l'imaginaire fantastique parisien, dans une période peu habituelle, il est logique qu'il donne lieu à des oeuvres dérivées comme la bande dessinée ci-dessus. Il faut donc lire Les Incidents de la nuit si on aime les livres, et lire Jacques Yonnet si on aime Paris.
- 2016 enfin, on parle des Incidents en public, on prête les Incidents.
La rencontre se fait ou pas, mais l'important est de populariser cette curiosité, à la fois typique du travail de David B. (dimension autobiographique), et pourtant à côté de son travail habituel (bibliomanie fantastique).
mercredi 17 février 2016
Notre château, Emmanuel Régniez
Tout comme leur sœur du Nouvel Attila, les éditions du Tripode font de bien belles choses, et aiment jouer avec la littérature. On peut se souvenir notamment du formidable (en tout cas qui m'avait régalé) Endiguement des renseignements de Fabienne Yvert, recueil d'extraits de courriers des lecteurs de magazine féminins du XIXe siècle, où l'on devinait l'amorce de la société de consommation, extraits rendus caduques et étranges par l'éloignement temporel.
Si l'on se trouve bien du côté de l'expérience littéraire avec le livre d'Emmanuel Régniez (premier livre, nous dit-on, ce qui n'est pas tout à fait vrai, car il faut compter avec un recueil aux éditions du Quartanier, composé de citations de romans), l'ambiance en est résolument plus anxiogène.
En effet, passionné de gothique jusqu'à chasser des thèses sur le sujet jusqu'au Japon, Emmanuel Régniez se livre à un minutieux exercice d'hommage au genre.
Dans un château, donc (un château, une très belle maison, nous dit le narrateur), vivent un frère et sa sœur. Ils n'ont d'autre occupation que lire les romans que le frère va chercher en ville, les jeudis après-midi, avec une régularité de métronome. Et dans la perfection de leurs habitudes se glisse un grain de sable. Un grain risible pour le lecteur, mais évidemment pas pour ces deux excentriques qui peuplent le livre, dont l'instabilité mentale est palpable dès les premiers mots.
En conséquence, le monde se trouble de plus en plus au fil des pages, laissant grandir l'inquiétude du lecteur, subtilement, sans rien montrer, comme dans un bon roman gothique, jusqu'à ce qu'éclate... Ce que je ne raconterai pas, car il ne faut pas gâcher la fin de ce grand récit maniaque. Mais chut.
Outre sa filiation revendiquée avec les textes des grands auteurs du genre que sont Henry James, Shirley Jackson ou Thomas Ligotti, dont Emmanuel Régniez avoue avoir parfois semé quelques citations au bénéfice des amateurs, le texte bénéficie avant tout d'une écriture maîtrisée parfaitement.
Dans notre château, la forme est indissociable du fonds, et l'expression très particulière des personnages joue un grand rôle dans leur caractérisation et dans l'ambiance inquiétante qui se développe. Son écriture fait de ce texte un plaisir à lire à haute voix, et à entendre. Ce qu'on ne manquera pas de vérifier à la Maison de la poésie (ce sera en Mars, je l'ai vu passer, mais ce n'est pas encore annoncé) pour une lecture sonore angoissante.
Apprécions enfin ce très bel objet que Le Tripode nous met entre les mains, reflet de son contenu écrit : cette photographie découpée comme au scalpel pour en révéler l'étrangeté rappelle la méthode d'écriture d'Emmanuel Régniez, et le cahier de photographies, poétiques et inquiétantes, qui clôt l'ouvrage.
Un livre qui fera donc très bien sur l'étagère, à côté de vos Lewis, Bronté, et autres Sade.
Notre château, d'Emmanuel Régniez, éditions du Tripode, 2016.
mercredi 3 février 2016
Note d'intention : culture pour 2016
2015, année de dévoration culturelle. Avant de repartir à toute allure, voilà un petit point digestif, et l'esquisse de quelques directions que j'aimerais explorer pour 2016 (attention, la note qui suit est indigeste, et je vous ai mis du Kitty Crowther pour compenser).
Bandes dessinées, albums jeunesse
Mes grands coups de foudre cette année sont Transmetropolitan (Ellis/Robertson), Sunny (Tayiou Matsumoto) et Panthère (Evens).
C'est d'ailleurs une dédicace de Brecht Evens qui m'a permis de comprendre plus de choses sur la mise en images d'une histoire (je ne commence qu'à remarquer le truc, le chemin est encore long).
En illustration, je craque pour le travail de Kitty Crowther, dont le petit album Alors ? (dont on peut voir une image plus haut) est mon préféré, je crois. J'aime la simplicité apparente de son dessin, ses mises au couleur au crayon qui ont l'air désordonné mais témoignent d'une vraie maîtrise.
Et il y a eu plein de Bad girls vintage cette année (l'illustration pulp est mon pêché mignon, un jour il faudra que je parle de Deco Devolution, l'art book de Bioshock) : qu'il s'agisse des couv' de Gangster stories, de Bad girls/good girls de Maly Siri ou de Mean Girl Club de Brian Heshka.
Oh, et j'aime l'illustration ancienne, alors ce tumblr, aussi.
Pour 2016, je vais continuer sur ma lancée. Bande dessinée indépendante et illustration sont au programme, et sans doute quelques festivals. J'aimerais aussi aller faire un tour du côté des classiques, Tardi, Breccia... et lire les bandes dessinées publiées dans la mythique collection A suivre.
Livres (romans et documentaires)
De belles lectures : Léo Henry (je n'ai pas le quart de sa culture, mais j'admire sa manière d'utiliser ses connaissances pour fantasmer une histoire), Emmett Grogan (Ringolevio dans une belle édition), Hal Duncan (Velum et Encre). Là aussi mes lectures auront été motivées avant tout par l'envie. Il y aura eu beaucoup de fantastique, finalement, et pas autant de Science Fiction que je l'aurais pensé ou aimé. Pas tant de non-fiction, non plus. Il faut que je me bricole un mécanisme de pilotage viable, c'est un peu l'un des enjeux de 2016.
Aires d'intérêts :
Littérature : grands noms des littératures de genre / de la SF, plein de SF / de la littérature "blanche"/ le nouveau roman, l'écriture beat suite : Kerouac, le fantastique : Borges, Gracq... Les littératures étrangères.
Comprendre le monde : le "roman de la ville" (le vieux Paris, son peuple, ses coutumes, l'histoire et la littérature des grandes villes du 20e siècle) / lectures-passerelles entre sociologie, urbanisme, science fiction et utopie architecturale / littérature de voyage / économie actuelle / le Ruin Porn, histoire et actualité.
Tout le reste (tout le reste)
On continue l'effort cinématographique (ce qui me fait penser que j'ai découvert Every frame a painting, petite série de vidéos Youtube sur l'analyse filmique bien fichue) : nouvelle vague et grands réalisateurs, cinéma documentaire. Je vais essayer d'assister au festival "Cinéma du Réel", tiens. Et peut-être aller faire un tour à la Cinémathèque.
La photographie : histoire, rôle, analyse. Et j'aimerais bien réfléchir 5 minutes à l'action de photographier, qui est à la fois se distancier de l'action et à la fois en garder une copie plus ou moins fidèle, ce qui est quand même pas mal fascinant. Je devrais bien trouver ça quelque part. Peut-être même qu'un jour, je penserais à faire une photo toute bête.
Et la musique, toujours, que je ne sais pas trop dans quel sens prendre.
Voilà pour la carte de l'année.
En sus, parce qu'on ne saurait être que nourriture intellectuelle, on voyagera, sortira, bricolera des trucs...
Bandes dessinées, albums jeunesse
Mes grands coups de foudre cette année sont Transmetropolitan (Ellis/Robertson), Sunny (Tayiou Matsumoto) et Panthère (Evens).
C'est d'ailleurs une dédicace de Brecht Evens qui m'a permis de comprendre plus de choses sur la mise en images d'une histoire (je ne commence qu'à remarquer le truc, le chemin est encore long).
En illustration, je craque pour le travail de Kitty Crowther, dont le petit album Alors ? (dont on peut voir une image plus haut) est mon préféré, je crois. J'aime la simplicité apparente de son dessin, ses mises au couleur au crayon qui ont l'air désordonné mais témoignent d'une vraie maîtrise.
Et il y a eu plein de Bad girls vintage cette année (l'illustration pulp est mon pêché mignon, un jour il faudra que je parle de Deco Devolution, l'art book de Bioshock) : qu'il s'agisse des couv' de Gangster stories, de Bad girls/good girls de Maly Siri ou de Mean Girl Club de Brian Heshka.
Oh, et j'aime l'illustration ancienne, alors ce tumblr, aussi.
Pour 2016, je vais continuer sur ma lancée. Bande dessinée indépendante et illustration sont au programme, et sans doute quelques festivals. J'aimerais aussi aller faire un tour du côté des classiques, Tardi, Breccia... et lire les bandes dessinées publiées dans la mythique collection A suivre.
Livres (romans et documentaires)
De belles lectures : Léo Henry (je n'ai pas le quart de sa culture, mais j'admire sa manière d'utiliser ses connaissances pour fantasmer une histoire), Emmett Grogan (Ringolevio dans une belle édition), Hal Duncan (Velum et Encre). Là aussi mes lectures auront été motivées avant tout par l'envie. Il y aura eu beaucoup de fantastique, finalement, et pas autant de Science Fiction que je l'aurais pensé ou aimé. Pas tant de non-fiction, non plus. Il faut que je me bricole un mécanisme de pilotage viable, c'est un peu l'un des enjeux de 2016.
Aires d'intérêts :
Littérature : grands noms des littératures de genre / de la SF, plein de SF / de la littérature "blanche"/ le nouveau roman, l'écriture beat suite : Kerouac, le fantastique : Borges, Gracq... Les littératures étrangères.
Comprendre le monde : le "roman de la ville" (le vieux Paris, son peuple, ses coutumes, l'histoire et la littérature des grandes villes du 20e siècle) / lectures-passerelles entre sociologie, urbanisme, science fiction et utopie architecturale / littérature de voyage / économie actuelle / le Ruin Porn, histoire et actualité.
Tout le reste (tout le reste)
On continue l'effort cinématographique (ce qui me fait penser que j'ai découvert Every frame a painting, petite série de vidéos Youtube sur l'analyse filmique bien fichue) : nouvelle vague et grands réalisateurs, cinéma documentaire. Je vais essayer d'assister au festival "Cinéma du Réel", tiens. Et peut-être aller faire un tour à la Cinémathèque.
La photographie : histoire, rôle, analyse. Et j'aimerais bien réfléchir 5 minutes à l'action de photographier, qui est à la fois se distancier de l'action et à la fois en garder une copie plus ou moins fidèle, ce qui est quand même pas mal fascinant. Je devrais bien trouver ça quelque part. Peut-être même qu'un jour, je penserais à faire une photo toute bête.
Et la musique, toujours, que je ne sais pas trop dans quel sens prendre.
Voilà pour la carte de l'année.
En sus, parce qu'on ne saurait être que nourriture intellectuelle, on voyagera, sortira, bricolera des trucs...
samedi 2 janvier 2016
Choses vues, choses lues, automne 2015
Oui, j'ai vu, on est en 2016. Fais semblant 5 minutes, voyons...
Alors, c'était l'automne :
Millenium people / Ballard
De livre en livre, Ballard met le doigt sur les dysfonctionnements de la vie moderne. Cette fois-ci, un semblant de révolte sur les classes moyennes et privilégiées d'une banlieue élégante. Grinçant, avec des réflexions troublantes. Quand je lis de la SF, je veux qu'elle fasse ça : me forcer à penser, me déranger, me gêner.
Velum, Encre / Hal Duncan
Livre dont j'avais calligraphié le nom sur un post-it lors d'une écoute de la salle 101, et qui est ressorti dans suffisamment de conversations pour que je tente. S'entremêlent les destins d'anges lors de l'apocalypse, dans des temps divers, en gros, avec ou sans moto. C'est épique, sublime, et sanglant. Le mec est un génie, et a un sens du grandiose qui n'a pas vraiment d'égal ces dernières années.
Un chef d'œuvre pas évident d'accès.
Diamond dogs /Alastair Reynolds
Deux novellas d'Alastair réunies, la première évoquant le film cube, cruelle, et valant surtout pour la progressive et fascinante déshumanisation de ses personnages. Il me reste à lire la deuxième, Turquoise Days.
Volez ce livre / Abbie Hoffman
Abbie Hoffman, fondateur du mouvement Yippie et grand organisateurs de happenings humoristiques, avait pensé ce livre en prison en le remplissant d'informations prônant un mode de vie alternatif. Malheureusement, l'essentiel de l'intérêt du livre s'est évaporé avec les 70's, car adresses, techniques et informations sont périmées (sauf peut-être les recettes de cuisine). L'intérêt, hormis patrimonial, est relatif. Du coup, il vaut peut-être mieux lire un livre sur les Diggers de San Francisco, ou le Ringolevio d'Emmett Grogan, autre figure du même mouvement, mais dont l'autobiographie, plus littéraire, est encore lisible (et je m'y emploie).
Booming / Mika Biermann
Très court roman dans lequel l'auteur (d'origine allemande vivant à Marseille, ceci n'expliquant rien), s'amuse avec les codes du western. Le temps est kantique, nous dit-on, et en effet, dans la narration, c'est le bordel. Les gens restent figés dans des boucles temporelles et ne vieillissent ni ne meurent, les balles mettent des mois avant de toucher leur cible Matrix style, et les héros sont morts et pas morts Schrödinger style. Le plus Don Quichote des deux se réserve régulièrement des tirades à la McConaughey dans True Detective à propos de peinture italienne de la Renaissance.
Cela est bon.
Rachel Rising / Terry Moore
Encore une de ces BD chouettes où le premier volume est grandiose (scène superbe d'auto-exhumation de l'héroïne), et où la volonté d'en faire une série rabat un projet potentiellement ambitieux au rang de distraction légère (personnages dont la présence ne se justifie que par la volonté de développer un antagoniste, et pas franchement intéressants, passé des personnages improbable...)
Enfin, le trait de Terry Moore est super chouette, ses filles sont toutes mimi, même décédées depuis 48 heures.
Legationville / China Miéville
China Miéville est un monstre génial, on est tous d'accord sur le principe. Après un The City & The City plus ramassé, il revient à ses amours foisonnantes avec ce récit de SF complexe. Soit une planète partitionnée entre les locaux (insectoïdes qui parlent une langue dure à prononcer et pleine de concepts exotiques) et les terriens (quasi-incapables de comprendre les précédents), menacée par la volonté impérialiste de l'Empire terrien. China Miéville oblige, la solution est dans la recherche de l'altérité, mais pour en arriver là, on en passe par de l'urbanisme extraterrestre, un marché de la drogue, de la science fiction linguistique, et une organisation familiale alternative.
Résumons : il faut lire China Miéville.
Une jeunesse allemande / Jean Gabriel Périot
Avant, je n'y connaissais rien en histoire allemande récente, et la bande à Baader était une sonorité bien lointaine. Ce n'est plus le cas grâce à ce documentaire minutieux, qui va chercher du côté des productions cinématographiques des membres du mouvement, alors qu'ils étaient encore de jeunes étudiants. Le travail d'archives de Jean-Gabriel Périot est tout à fait impressionnant, et souvent associé à un génie de l'accompagnement musical : le formidable court-métrage The devil, sur les Black Panthers, diffusé avant le film lors de la projection en salle, devait à sa bande originale son rythme hypnotique.
Fatherland / Robert Harris
Parler de dystopie nazie, c'est parler, bien sûr, du Maître du Haut Château de K. Dick (d'autant plus qu'une adaptation en série est en cours de diffusion aux U.S.) Mais pas uniquement, comme le prouve ce très bon roman, qui est également un excellent policier hard-boiled. Dans ces pages, l'Europe nazie est un régime triste et gris, animé par une vigoureuse intention de compenser. L'espionnage de tous est la règle, et l'Amérique s'apprête à signer un accord de paix, à moins que des informations complémentaires sur la barbarie du régime ne leurs parviennent... Le héros finit avec une compagne bien plus jeune et sexy, et c'est énervant, mais pour le reste, la description du régime et des péripéties font le travail, et plutôt très bien.
Crimson Peak / Guillermo Del Toro
Comme toujours, avec Guillermo Del Toro, l'image est magnifique, et le scénario est un ramassis de clichés. Voilà un hommage au film de genre, pas très original mais joli. J'aurais bien aimé dire "formidable pour ma petite nièce", mais le secret un peu malsain qu'on y trouve le discrédite aussi vis à vis d'un public plus jeune. C'est un peu gênant, du coup. Il vaut peut-être mieux regarder un Mario Bava.
Et là, en guise d'image, j'ai envie de parler un brin de ce formidable proto-hipster qu'était le critique Alfred Bruyas (1821-1877). J'aime bien les gens théâtraux et un brin excessifs, et Bruyas, fils de banquier épris de peinture, fait bien partie de ces derniers. Outre son soutien inconditionnel de Courbet, il a été aussi mécène de Delacroix, Cabanel, Millet... Si le visiteur du musée Fabre de Montpellier (à qui il a légué sa collection), peut s'émouvoir de son éblouissante rouquinitude, son travail de critique d'art est malheureusement jugé "peu clair" et "jargonnant" de nos jours. Modeste en toutes choses, Bruyas s'était fait représenter quand à lui en Jésus Christ sur la croix, vivante allégorie des souffrances que lui imposaient son soutien aux peintres.
Le voici représenté par Cabanel en 1824, que l'on admire cette stachemou bien lustrée, et que l'on soit capable de nommer ce tuberculeux mélancolique, toutes les fois où l'on passera, dans un Musée des Beaux-arts régional, devant un rouquin XIXe un peu snob.
Alors, c'était l'automne :
Millenium people / Ballard
De livre en livre, Ballard met le doigt sur les dysfonctionnements de la vie moderne. Cette fois-ci, un semblant de révolte sur les classes moyennes et privilégiées d'une banlieue élégante. Grinçant, avec des réflexions troublantes. Quand je lis de la SF, je veux qu'elle fasse ça : me forcer à penser, me déranger, me gêner.
Velum, Encre / Hal Duncan
Livre dont j'avais calligraphié le nom sur un post-it lors d'une écoute de la salle 101, et qui est ressorti dans suffisamment de conversations pour que je tente. S'entremêlent les destins d'anges lors de l'apocalypse, dans des temps divers, en gros, avec ou sans moto. C'est épique, sublime, et sanglant. Le mec est un génie, et a un sens du grandiose qui n'a pas vraiment d'égal ces dernières années.
Un chef d'œuvre pas évident d'accès.
Diamond dogs /Alastair Reynolds
Deux novellas d'Alastair réunies, la première évoquant le film cube, cruelle, et valant surtout pour la progressive et fascinante déshumanisation de ses personnages. Il me reste à lire la deuxième, Turquoise Days.
Volez ce livre / Abbie Hoffman
Abbie Hoffman, fondateur du mouvement Yippie et grand organisateurs de happenings humoristiques, avait pensé ce livre en prison en le remplissant d'informations prônant un mode de vie alternatif. Malheureusement, l'essentiel de l'intérêt du livre s'est évaporé avec les 70's, car adresses, techniques et informations sont périmées (sauf peut-être les recettes de cuisine). L'intérêt, hormis patrimonial, est relatif. Du coup, il vaut peut-être mieux lire un livre sur les Diggers de San Francisco, ou le Ringolevio d'Emmett Grogan, autre figure du même mouvement, mais dont l'autobiographie, plus littéraire, est encore lisible (et je m'y emploie).
Booming / Mika Biermann
Très court roman dans lequel l'auteur (d'origine allemande vivant à Marseille, ceci n'expliquant rien), s'amuse avec les codes du western. Le temps est kantique, nous dit-on, et en effet, dans la narration, c'est le bordel. Les gens restent figés dans des boucles temporelles et ne vieillissent ni ne meurent, les balles mettent des mois avant de toucher leur cible Matrix style, et les héros sont morts et pas morts Schrödinger style. Le plus Don Quichote des deux se réserve régulièrement des tirades à la McConaughey dans True Detective à propos de peinture italienne de la Renaissance.
Cela est bon.
Rachel Rising / Terry Moore
Encore une de ces BD chouettes où le premier volume est grandiose (scène superbe d'auto-exhumation de l'héroïne), et où la volonté d'en faire une série rabat un projet potentiellement ambitieux au rang de distraction légère (personnages dont la présence ne se justifie que par la volonté de développer un antagoniste, et pas franchement intéressants, passé des personnages improbable...)
Enfin, le trait de Terry Moore est super chouette, ses filles sont toutes mimi, même décédées depuis 48 heures.
Legationville / China Miéville
China Miéville est un monstre génial, on est tous d'accord sur le principe. Après un The City & The City plus ramassé, il revient à ses amours foisonnantes avec ce récit de SF complexe. Soit une planète partitionnée entre les locaux (insectoïdes qui parlent une langue dure à prononcer et pleine de concepts exotiques) et les terriens (quasi-incapables de comprendre les précédents), menacée par la volonté impérialiste de l'Empire terrien. China Miéville oblige, la solution est dans la recherche de l'altérité, mais pour en arriver là, on en passe par de l'urbanisme extraterrestre, un marché de la drogue, de la science fiction linguistique, et une organisation familiale alternative.
Résumons : il faut lire China Miéville.
Une jeunesse allemande / Jean Gabriel Périot
Avant, je n'y connaissais rien en histoire allemande récente, et la bande à Baader était une sonorité bien lointaine. Ce n'est plus le cas grâce à ce documentaire minutieux, qui va chercher du côté des productions cinématographiques des membres du mouvement, alors qu'ils étaient encore de jeunes étudiants. Le travail d'archives de Jean-Gabriel Périot est tout à fait impressionnant, et souvent associé à un génie de l'accompagnement musical : le formidable court-métrage The devil, sur les Black Panthers, diffusé avant le film lors de la projection en salle, devait à sa bande originale son rythme hypnotique.
Fatherland / Robert Harris
Parler de dystopie nazie, c'est parler, bien sûr, du Maître du Haut Château de K. Dick (d'autant plus qu'une adaptation en série est en cours de diffusion aux U.S.) Mais pas uniquement, comme le prouve ce très bon roman, qui est également un excellent policier hard-boiled. Dans ces pages, l'Europe nazie est un régime triste et gris, animé par une vigoureuse intention de compenser. L'espionnage de tous est la règle, et l'Amérique s'apprête à signer un accord de paix, à moins que des informations complémentaires sur la barbarie du régime ne leurs parviennent... Le héros finit avec une compagne bien plus jeune et sexy, et c'est énervant, mais pour le reste, la description du régime et des péripéties font le travail, et plutôt très bien.
Crimson Peak / Guillermo Del Toro
Comme toujours, avec Guillermo Del Toro, l'image est magnifique, et le scénario est un ramassis de clichés. Voilà un hommage au film de genre, pas très original mais joli. J'aurais bien aimé dire "formidable pour ma petite nièce", mais le secret un peu malsain qu'on y trouve le discrédite aussi vis à vis d'un public plus jeune. C'est un peu gênant, du coup. Il vaut peut-être mieux regarder un Mario Bava.
Et là, en guise d'image, j'ai envie de parler un brin de ce formidable proto-hipster qu'était le critique Alfred Bruyas (1821-1877). J'aime bien les gens théâtraux et un brin excessifs, et Bruyas, fils de banquier épris de peinture, fait bien partie de ces derniers. Outre son soutien inconditionnel de Courbet, il a été aussi mécène de Delacroix, Cabanel, Millet... Si le visiteur du musée Fabre de Montpellier (à qui il a légué sa collection), peut s'émouvoir de son éblouissante rouquinitude, son travail de critique d'art est malheureusement jugé "peu clair" et "jargonnant" de nos jours. Modeste en toutes choses, Bruyas s'était fait représenter quand à lui en Jésus Christ sur la croix, vivante allégorie des souffrances que lui imposaient son soutien aux peintres.
Le voici représenté par Cabanel en 1824, que l'on admire cette stachemou bien lustrée, et que l'on soit capable de nommer ce tuberculeux mélancolique, toutes les fois où l'on passera, dans un Musée des Beaux-arts régional, devant un rouquin XIXe un peu snob.
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