samedi 2 janvier 2016

Choses vues, choses lues, automne 2015

Oui, j'ai vu, on est en 2016. Fais semblant 5 minutes, voyons...

Alors, c'était l'automne :


Millenium people / Ballard
De livre en livre, Ballard met le doigt sur les dysfonctionnements de la vie moderne. Cette fois-ci, un semblant de révolte sur les classes moyennes et privilégiées d'une banlieue élégante. Grinçant, avec des réflexions troublantes. Quand je lis de la SF, je veux qu'elle fasse ça : me forcer à penser, me déranger, me gêner.

Velum, Encre / Hal Duncan
Livre dont j'avais calligraphié le nom sur un post-it lors d'une écoute de la salle 101, et qui est ressorti dans suffisamment de conversations pour que je tente. S'entremêlent les destins d'anges lors de l'apocalypse, dans des temps divers, en gros, avec ou sans moto. C'est épique, sublime, et sanglant. Le mec est un génie, et a un sens du grandiose qui n'a pas vraiment d'égal ces dernières années.
Un chef d'œuvre pas évident d'accès.

Diamond dogs /Alastair Reynolds
Deux novellas d'Alastair réunies, la première évoquant le film cube, cruelle, et valant surtout pour la progressive et fascinante déshumanisation de ses personnages. Il me reste à lire la deuxième, Turquoise Days.

Volez ce livre / Abbie Hoffman
Abbie Hoffman, fondateur du mouvement Yippie et grand organisateurs de happenings humoristiques, avait pensé ce livre en prison en le remplissant d'informations prônant un mode de vie alternatif. Malheureusement, l'essentiel de l'intérêt du livre s'est évaporé avec les 70's, car adresses, techniques et informations sont périmées (sauf peut-être les recettes de cuisine). L'intérêt, hormis patrimonial, est relatif. Du coup, il vaut peut-être mieux lire un livre sur les Diggers de San Francisco, ou le Ringolevio d'Emmett Grogan, autre figure du même mouvement, mais dont l'autobiographie, plus littéraire, est encore lisible (et je m'y emploie).

Booming / Mika Biermann
Très court roman dans lequel l'auteur (d'origine allemande vivant à Marseille, ceci n'expliquant rien), s'amuse avec les codes du western. Le temps est kantique, nous dit-on, et en effet, dans la narration, c'est le bordel. Les gens restent figés dans des boucles temporelles et ne vieillissent ni ne meurent, les balles mettent des mois avant de toucher leur cible Matrix style, et les héros sont morts et pas morts Schrödinger style. Le plus Don Quichote des deux se réserve régulièrement des tirades à la McConaughey dans True Detective à propos de peinture italienne de la Renaissance.
Cela est bon.

Rachel Rising / Terry Moore
Encore une de ces BD chouettes où le premier volume est grandiose (scène superbe d'auto-exhumation de l'héroïne), et où la volonté d'en faire une série rabat un projet potentiellement ambitieux au rang de distraction légère (personnages dont la présence ne se justifie que par la volonté de développer un antagoniste, et pas franchement intéressants, passé des personnages improbable...)
Enfin, le trait de Terry Moore est super chouette, ses filles sont toutes mimi, même décédées depuis 48 heures.

Legationville / China Miéville
China Miéville est un monstre génial, on est tous d'accord sur le principe. Après un The City & The City plus ramassé, il revient à ses amours foisonnantes avec ce récit de SF complexe. Soit une planète partitionnée entre les locaux (insectoïdes qui parlent une langue dure à prononcer et pleine de concepts exotiques) et les terriens (quasi-incapables de comprendre les précédents), menacée par la volonté impérialiste de l'Empire terrien. China Miéville oblige, la solution est dans la recherche de l'altérité, mais pour en arriver là, on en passe par de l'urbanisme extraterrestre, un marché de la drogue, de la science fiction linguistique, et une organisation familiale alternative.
Résumons : il faut lire China Miéville.

Une jeunesse allemande / Jean Gabriel Périot
Avant, je n'y connaissais rien en histoire allemande récente, et la bande à Baader était une sonorité bien lointaine. Ce n'est plus le cas grâce à ce documentaire minutieux, qui va chercher du côté des productions cinématographiques des membres du mouvement, alors qu'ils étaient encore de jeunes étudiants. Le travail d'archives de Jean-Gabriel Périot est tout à fait impressionnant, et souvent associé à un génie de l'accompagnement musical : le formidable court-métrage The devil, sur les Black Panthers, diffusé avant le film lors de la projection en salle, devait à sa bande originale son rythme hypnotique.

Fatherland / Robert Harris
Parler de dystopie nazie, c'est parler, bien sûr, du Maître du Haut Château de K. Dick (d'autant plus qu'une adaptation en série est en cours de diffusion aux U.S.) Mais pas uniquement, comme le prouve ce très bon roman, qui est également un excellent policier hard-boiled. Dans ces pages, l'Europe nazie est un régime triste et gris, animé par une vigoureuse intention de compenser. L'espionnage de tous est la règle, et l'Amérique s'apprête à signer un accord de paix, à moins que des informations complémentaires sur la barbarie du régime ne leurs parviennent... Le héros finit avec une compagne bien plus jeune et sexy, et c'est énervant, mais pour le reste, la description du régime et des péripéties font le travail, et plutôt très bien.

Crimson Peak / Guillermo Del Toro
Comme toujours, avec Guillermo Del Toro, l'image est magnifique, et le scénario est un ramassis de clichés. Voilà un hommage au film de genre, pas très original mais joli. J'aurais bien aimé dire "formidable pour ma petite nièce", mais le secret un peu malsain qu'on y trouve le discrédite aussi vis à vis d'un public plus jeune. C'est un peu gênant, du coup. Il vaut peut-être mieux regarder un Mario Bava.

Et là, en guise d'image, j'ai envie de parler un brin de ce formidable proto-hipster qu'était le critique Alfred Bruyas (1821-1877). J'aime bien les gens théâtraux et un brin excessifs, et Bruyas, fils de banquier épris de peinture, fait bien partie de ces derniers. Outre son soutien inconditionnel de Courbet, il a été aussi mécène de Delacroix, Cabanel, Millet... Si le visiteur du musée Fabre de Montpellier (à qui il a légué sa collection), peut s'émouvoir de son éblouissante rouquinitude, son travail de critique d'art est malheureusement jugé "peu clair" et "jargonnant" de nos jours. Modeste en toutes choses, Bruyas s'était fait représenter quand à lui en Jésus Christ sur la croix, vivante allégorie des souffrances que lui imposaient son soutien aux peintres.
Le voici représenté par Cabanel en 1824, que l'on admire cette stachemou bien lustrée, et que l'on soit capable de nommer ce tuberculeux mélancolique, toutes les fois où l'on passera, dans un Musée des Beaux-arts régional, devant un rouquin XIXe un peu snob.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire