lundi 23 février 2015

L'homme que les arbres aimaient, Algernon Blackwood

Se faire peur est une des lignes directrices des littératures.
Qu'il s'agisse de frissonner ensemble en disant un conte à la veillée, pendant les hivers paysans du 17e siècle, de cavaler dans les dédales de couloirs souterrains du roman gothique au 19e siècle où d'écouter l'invasion des extra-terrestres à la radio dans les 30's, nous autres lecteurs nous délectons de cette petite appréhension, que la raison dément, mais qui le temps d'un instant nous fait questionner la réalité.
Heureusement pour nous, ce type de littérature nous laisse de belles découvertes hors les grands classiques du genre : par exemple, ici, le Britannique Algernon Blackwood, dont une sélection de nouvelles a été éditée par L'Arbre vengeur, en 2011, et qu'on vient de m'offrir pour mon anniversaire, d'où cette soudaine envie de commenter ce que j'ai lu.


Dans le cas de Blackwood, relativement oublié en France, une préface conséquente d'Alexandre Marcinkowski permet de présenter l'auteur et son importance dans le paysage littéraire fantastique anglo-saxon.
Où l'on découvre un homme qui a toujours cherché à écrire, et qui reconnaissait pour parvenir à créer ses nouvelles fantastiques "se plonger lui-même dans des états fantomatiques."

Le recueil de l'arbre vengeur, composé de cinq nouvelles, semble porter le thème du "fantastique naturel": quatre nouvelles présentent en effet la nature comme porteuse d'extraordinaire, ou la décrivent avec un amour tout particulier.

C'est le cas de la toute première, Les Saules, oeuvre fantastique très traditionnelle, marqué par un sentiment d'angoisse grandissante autour de ces fins arbres à la mauvaise réputation.
C'est le cas, plus brillamment encore, dans l'incroyable nouvelle qui donne son nom au recueil, L'homme que les arbres aimaient, où la conscience des arbres, et leur amour pour leur gardien donne lieu à un combat entre croyances païennes et foi chrétienne. De manière très surprenante, ce qui commençait comme une nouvelle classique dévie de plus en plus vers des considérations métaphysiques, avec un superbe personnage témoin des faits, l'épouse en lutte pour la sauvegarde de son mari, qui de chaste bigote, devient la seule barrière entre la saine réalité catholique et la folie païenne qui convoite son époux.
On retrouve encore la nature dans les très beaux paysages du Passage pour un autre monde, nouvelle élégante et amoureuse où un jeune homme tente d'arracher sa promise à l'enchantement du petit peuple des elfes et des fées des bois, et dont quelques passages touchent au merveilleux pur, bien près des contes de Lord Dunsany.
La nature est encore présente, mais de loin, dans le récit clos du Piège du destin, où trois personnages, deux hommes, une femme, isolés dans une maison hantée au coeur des bois, se trouvent la proie de craintes déraisonnées et de leur propre situation amoureuse.
Enfin, le dernier récit, La Folie de Jones, s'éloigne très loin des belles forêts inquiétantes pour nous entraîner à la suite d'un employé de bureau missionné pour se venger de son employeur, qui l'a torturé dans une vie précédente. Bien que ne portant pas la trace de la nature très présente dans le reste du recueil, elle présente la même sensibilité au surnaturel, qui semble être une des marques distinctives de Blackwood.
Cet intérêt pour l'ailleurs, que l'on retrouve au travers des sensations quasi-mystiques qu'expérimentent les différents personnages est en effet l'autre marque bien singulière de l'oeuvre de Blackwood : membre du célèbre Ordre hermétique de l'Aube dorée, amateur d'occultisme et de bouddhisme, il se sera passionné toute sa vie pour l'invisible, et ses écrits en portent la trace visible, tirant ces récits du fantastique traditionnel vers la mystique, et donnant à ces nouvelles leur étonnante profondeur.

La musique : War Song, de Tomahawk, sur l'album Anonymous (2007)



L'Homme que les arbres aimaient, Algernon Blackwood,
L'Arbre vengeur, 2011. 16€30


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