samedi 5 novembre 2016

Choses lues et vues, octobre 2016

La lumière décline, mais la raclette revient parmi nous.
L'automne, c'est le bordel.


Mon déguisement idéal pour Halloween, lunettes incluses (Tetsuo)
 Divers moments auquels j'ai assisté :
Fauchée, mais heureuse.

Fanzines ! Le festival, Paris
C'était le 15 octobre, et j'y vais depuis l'an dernier en espérant chaque fois y voir ce que le terme "fanzine" sous-entend : de la débrouillardise, de la diversité dans les formes comme dans les sujets traités.
L'an dernier, le festival était à la bibliothèque Marguerite Duras, et j'étais déjà un peu déçue par sa hipsterisation flamboyante. Mais j'y avais trouvé deux-trois trucs cools, comme un inattendu fanzine de poésie, et beaucoup de bricoles amoureusement réalisées, souvent par des étudiants en art, mais très artisanales. Cette année, le salon était à la porte de la Villette, et la transformation est achevée : seuls les artistes en recherche de professionalisation, où déjà avec des carrières en cours semblent s'être donnés rendez-vous. Les productions étaient donc très esthétiques, mais la diversité de points de vue quasi-nulle (d'autant plus que tout le monde rizographie à tour de bras dans les mêmes teintes). On se retrouvait donc avec une manifestation étonnament uniforme.
Il y avait beaucoup de small press anglaise, et de micro édition française.
J'ai quand même remarqué (et parfois acheté) des trucs, parce que je suis faible devant le joli, il faut me pardonner : le fanzine d'illustration Zuper, et son incroyable numéro sur les Mille et une nuits, une entreprise de réédition des livres pour enfants de Lev Youdine, avec à la clé un projet de livre. Il y avait aussi des représentant de la small press londonnienne Breakdown press, et une amie m'a offert Windowpane de Joe Kessler à cette occasion (il s'agit d'une expérimentation à base de nouvelles illustrées, très poétiques, dont l'une d'elle est inspirée par Italo Calvino). J'ai aussi un merveilleux tirage de Juliette Etrivert à encadrer (pour ma défense, mon féminisme primal ne sait pas résister aux grandes meufs roses avec des lazers dans les yeux).
Je suis donc loin d'être complètement négative, mais il faudrait songer à rebaptiser cet événement (art'zines! graph'zines! illu'zines! ...)

Utopiales, Nantes
Je n'avais jamais visité le fameux festival de science-fiction nantais, et maintenant je pense déjà à la session 2017. Les visiteurs qui se sont offert cette demi-semaine fantastique ont eu le plaisir d'entendre et de rencontrer un riche panel d'auteurs, de traducteurs et d'illustrateurs, de profiter de la programmation cinéma... de respirer mondes de l'imaginaire pendant quelques jours.
Parmi les conférences qui m'on particulièrement plu, je voudrais citer la conférence "Mécanismes de la SF masculine", où s'exprimaient notamment Sara Doke, Michèle Laframboise, Sylvie Lainé, et Catherine Dufour. Selon Michèle Laframboise, la SF la plus ancienne a souvent été une science fiction masculine, justement : il s'agissait de terraformer, de coloniser, de changer l'étranger en notre semblable, avec beaucoup d'action. Les héroïnes étaient peu présentes, et les jeunes lectrices contraintes à "réécrire" l'histoire pour elles-mêmes avec un personnage féminin. Si le genre est de plus en plus diversifié, cela ne s'est pas fait sans mal : Catherine Dufour pointait, dans une anthologie écrite par des femmes, des nouvelles dans lesquelles les femmes s'étaient "contraintes" à écrire "comme des hommes" pour déjouer les reproches, et Sylvie Lainé rappelait, il y a quelques années encore, la rareté des participantes aux conférences de SF. Sara Doke, optimiste, expliquait qu'un personnage féminin fort est désormais très apprécié dans les fictions. Cependant, une héroïne intéressante ne peut pas être une "wonder woman" inaccessible, ou écrite comme un personnages masculin, comme l'est par exemple Honor Harrington. Catherine Dufour se remémorait à cette occasion Yoko Tsuno, première véritable héroïne de SF française.

Charles Burns à la Galerie Martel
Dans le doute, en attendant l'ouverture du ciné dans un après-midi brumeux et glacé, toujours passer faire un tour à la galerie d'à côté. Cette fois-ci, donc, la galerie Martel présentait des dessins originaux du livre Love Nest de Charles Burns, cet auteur de BD si préoccupé de culture pop' et de cinéma 50's, au style très reconnaissable. Son dessin, à la frontière BD franco-belge-comics américain, est très rond, avec un trait large, les ombres exagérées : dans Love Nest, paru aux éditions Cornélius, le noir et blanc surprend les personnages dans des émotions et des actions étranges, et les fige dans le trouble avec des cadrages très cinématographiques. Le format carré augmente cette impression de contrôle absolu jusqu'au malaise : tous sont "enfermés" dans leur case, dans l'histoire qu'ils sont en train de vivre. Un beau mystère.

Magritte : la trahison des images au Centre Pompidou
On aime facilement Magritte d'emblée. La palette de couleurs est toujours plaisante, les représentations ont comme un air sage et naïf, et on se laisse charmer par l'humour des situations. Magritte, dans nos souvenirs d'école, c'est ce gars malin qui fait le coup de la pipe, cette fameuse qui est là et pas là tout à la fois. L'exposition du Centre Pompidou nous emmène bien au delà de cette anecdote fameuse, et nous fait soudain comprendre que Magritte n'est pas que la traduction graphique d'un concept philosophique, mais constitue plutôt une forme de chaînon manquant entre le Dadaïsme et  Duchamp. Tout en restant un artiste parfaitement accessible, dont les images ont une puissance d'évocation intacte.

Des films :
que du très bon qui fait chaud au coeur.

Tetsuo, Shinya Tsukamoto, 1989 (vu aux Utopiales)
Il est possible que j'ai oublié de respirer plusieurs fois durant ce film d'horreur expérimental, dans lequel un salaryman japonais se métamorphose peu à peu en monstre de métal. L'audace du réalisateur se voit à chaque instant, dans un noir et blanc saturé qui me rappelle l'exposition Provoke vue précédement, les scènes mémorables se succèdent sur une musique qui ne nous laisse aucun répit.
Une véritable expérience, qui ne semble pas vieillir.

Les femmes de Stepford, Bryan Forbes, 1975 (vu aux Utopiales)
Joanna, jeune photographe qui s'installe avec son mari à Stepford, est très intriguée par le traditionnalisme des épouses de la petite ville : alors que la révolution féministe est passée par là, celles-ci se complaisent dans les tâches ménagères et un consumérisme servile, toutes soumises au bon vouloir de leur mari. Après avoir tenté en vain de leur faire découvrir les mérites du groupe de parole féministe, elle enquête pour comprendre le secret de leur obéissance.
Ce film est un véritable coup de coeur : les couleurs de l'été 70's y sont chaleureuses, on y dénonce patriarcat et société de consommation, et la bonne entente des deux amies qui mènent l'enquête, Joanna et Bobby, fait plaisir à voir.
Tout cela me rappelle d'aller lire Ira Levin, mais je vais me garder ce film sous le coude.

The happiest day in the life of Olli Maki, Juho Kuosmanen, 2016
Ce très charmant film en noir et blanc, qui a reçu le prix Un certain regard, à Cannes, nous raconte comment le jeune champion de boxe de Finlande, Olli Maki, s'est préparé à combattre le boxeur américain Davey Moore, en 1962. Olli Maki, humble boulanger de Kokkola, est un garçon simple, qui aime la campagne et sa jolie petite amie. Avec ce combat très médiatisé, il se retrouve aux prises avec une conception de la boxe qui a plus à voir avec le spectacle qu'avec le noble art. Est-il encore seulement convaincu de gagner ce combat ?
Juho Kuosmanen, qui a également signé le scénario, n'a pas pour propos central la boxe, mais l'amour de la vie. Le barnum de la boxe, que l'on retrouve immanquablement dans tous les films de genre (la pesée, l'entraînement, les tractations financières...) sont toujours démontées au filtre de la réalité, et les deux figures d'Olli Maki, le boxeur qui voulait juste se marier, jeune homme de l'extérieur, et de son manager, déjà très américanisé et souvent filmé en intérieur, sont sans cesse opposées selon un mécanisme très simple, mais qui fonctionne. On apprécie également la tendresse du réalisateur, qui aime ses personnages et n'est jamais trop dur avec eux : le manager est ambitieux certes, mais c'est également un homme qui aime sa famille, la jolie fiancée est compréhensive, et l'adversaire, dans la même galère, est un homme plutôt solitaire.
La dernière scène est particulièrement touchante.

Captain Fantastic, Matt Ross, 2016
Le propos de Matt Ross est le suivant : peut-on lutter contre la société, et élever des enfants en complète autarcie, avec ce que l'on estime être le meilleur bagage culturel ? Et doit-on le faire ? Dans Captain Fantastic, Ben, le personnage interprété par Viggo Mortensen, astreint avec amour sa bande d'enfants à une routine quasi-martiale, et "pour leur bien", leur enseigne musique, littérature, chasse, escalade, philosophie... Un véritable idéal américain, que n'aurait pas renié Thoreau. Lorsqu'un drame familial se produit, il est contraint de confronter les enfants à la vie moderne.
Ce qui fonctionne, avec ce film plein d'enthousiasme, c'est tout d'abord l'incroyable vivacité des comédiens, Mortensen et les enfants, mais également le jeu double de cette éducation fantasmée, qui incarne un idéal face à la décadence culturelle américaine qu'on nous montre, mais dont le double tranchant est nettement visible : si Ben fournit des armes intellectuelles à ses enfants, il ne les prépare pas à des interactions normales avec leurs contemporains, et en fait donc immanquablement des freaks, ce dont son épouse semble avoir conscience.
La toute-puissance du parent est très vite problématique; Ben met ses enfants en danger, et on comprend tout à fait la réaction des beaux-parents qui souhaitent les protéger. Mais si le drame n'est jamais loin, la belle harmonie de cette famille permet une finrelativement optimiste, et un joyeux moment de cinéma.

Des livres :
Un vrac inracontable. J'essaye quand même.

Un éclat de givre, Estelle Faye
Pendant que les anglos sortent des livres à tour de bras en traduction, les français écrivent aussi : cette rêverie utopique d'Estelle Faye, publiée chez les Lyonnais des Moutons Electriques nous présente un beau héros, chanteur de jazz travesti, que l'aventure vient chercher dans un Paris post-apocalyptique d'autant plus romantique qu'il est couvert de lierre et strictement végétarien. Aucune réflexion trop profonde ne vient nourrir ce récit dont le matériau est avant-tout le plaisir esthétique : de la musique, tout d'abord, mais également de la beauté de ce Paris de décor peint (je crois avoir lu que l'auteur est familière avec le monde du théâtre, et cela se sent nettement), et de la sensualité des personnages et de l'écriture. Une fantaisie légère comme la mélodie qu'on fredonne le soir, en rentrant par le Pont-Neuf.

La fille automate, Paolo Bacigalupi
Il est compliqué de parler en passant de Paolo Bacigalupi, parce que son travail est dense et enthousiasmant. J'y reviendrai donc, mais je voulais juste résumer ce premier roman, qui se passe dans un futur de changement climatique où des sociétés à la Monsanto contrôlent l'alimentation, où les sociétés développées d'hier sont celles qui produisent des migrants, et où un robot de confort japonais est ce qui s'approche le plus de l'humanité. Le livre est un peu long, mais l'univers dans lequel il nous emporte est particulièrement détaillé et solide, chaque protagoniste donnant l'occasion d'une réflexion sur les réactions humaines face à l'adversité.
Tout se passe dans une Thaïlande futuriste qui semble devoir beaucoup à l'amour de Paolo Bacigalupi pour l'Asie, où il a vécu ses premières expériences professionelles, et ce dépaysement bienvenu est rafraîchissant après ces centaines de romans dont le propos concerne uniquement l'occident.
Bien qu'en interview, l'auteur désavoue régulièrement ce premier livre, dont il voit trop les défauts, celui-ci reste tout à fait appréciable, et on y trouve bien les particularités de Paolo Bacigalupi : des personnages, forts ou fragiles, aux prises avec leur survie dans un monde instable et implacablement cruel, dont les destins s'entremêlent.

La culture en clandestins, L'UX, Lazar Kunstmann
Cet exotique témoignage conte une aventure qui se joue dans les sous-sols parisiens, dans les tours oubliées des bâtiments classés, partout où l'Etat a oublié de veiller à la sauvegarde de son patrimoine. Là, à l'abri des regards, les mystérieux Untergunther, ou leurs camarades de la Mexicaine de Perforation, mobilisent leurs connaissance culturelles pour réparer les dégâts et/ou faire revivre le passé. De la célèbre restauration de l'horloge du Panthéon en passant par l'épisode du cinéma des souterrains du Palais de Chaillot, les habiles membres de ces groupes jouent avec l'administration, la RATP et l'Inspection Générale des Carrières avec un mauvais esprit réjouissant, digne des héritiers d'Arsène Lupin ou des Gaspards de Pierre Tchernia.
Le livre, écrit par un ancien porte-parole des deux mouvements, revient sur la genèse du mouvement, autour des carrières parisiennes dans les années 80, et se termine au tribunal, avec l'abandon de la plainte suite à la fameuse affaire du Panthéon.

Et je clos octobre avec cette phrase, entendue chez un prof de cinéma très apprécié : "C'est une belle chose que de se laisser impressionner par le monde, mais au bout d'un moment il faut agir ! L'anima c'est très bien, place à l'animus !"
Sur ces joies Jungiennes, vive novembre.

lundi 24 octobre 2016

Maison hantée, Shirley Jackson

Comme l'automne me met de mauvaise humeur, retour aux classiques, avec le parfait roman de maison hantée de Shirley Jackson.
The haunting of Hill house a été publié aux Etats-Unis en 1959, c'est l'avant-dernier roman de Shirley Jackson à être édité de son vivant. Il est traduit une première fois à la Librairie des Champs-Elysées en 1979 sous le titre Maison Hantée, et régulièrement réédité, notamment sous le titre Hantise en 1999, pour accompagner la sortie du mauvais film de Jan de Bont. C'est de cette édition dont je parlerai, car c'est celle que je fréquente depuis un bon nombre d'années. Le texte est traduit par Dominique Mols.
On considère souvent qu'Hantise est l'un des meilleurs romans de maison hantée du vingtième siècle (je suis absolument d'accord*). De nombreux auteurs s'en sont inspirés, dont Stephen King, qui en parle avec passion dans Anatomie de l'horreur.



"Aucun organisme vivant ne peut connaître longtemps une existence saine dans des conditions de réalité absolue. Les alouettes et les sauterelles elles-mêmes, aux dires de certains, ne feraient que rêver. Hill House se dressait toute seule, malsaine, adossée à ces collines. En son sein, les ténèbres. Il y avait quatre-vingt ans qu'elle se dressait là et elle y était peut-être encore pour quatre-vingt ans. A l'intérieur, les murs étaient toujours debout, les briques toujours jointives, les planchers solides et les portes bien closes. Le silence s'étalait hermétiquement le long des boiseries et des pierres de Hill house. Et ce qui y déambulait, y déambulait tout seul."

C'est avec ces premières phrases que s'ouvre l'aventure du Dr Montague, chercheur décidé à prouver l'existence du surnaturel en faisant résider dans une maison réputée hantée quelques invités "sensibles" aux puissances magiques. Son choix s'arrête sur Hill House, vaste demeure du XIXe siècle, isolée au coeur des collines, et dont nul locataire n'est resté plus de quelques semaines.
Il a pour invités Théodora, artiste un peu bohème, Luke, futur héritier de la demeure, et Eléonore, jeune femme fragile et timide, qui a jusqu'à ce jour vécu très isolée, et deviendra le personnage central du récit.
Hill House, nous le savons très vite, est "abominable": son concepteur a fait varier les angles de quelques degré dans la construction, donnant une permanente sensation de malaise, certaines pièces sont sans fenêtres ou inexplicablement froides, et les portes se ferment toutes seules.
La nuit, s'y produisent toute sortes d'évènements troublants qui mettent à rude épreuve les nerfs des quatre invités, et plus particulièrement ceux de la délicate Eléonore.

Comme le dit Stephen King, auteur lui aussi d'une histoire de maison hantée avec le célèbre Shining, la peur la plus forte est provoquée par l'ignorance, et l'imagination laissée sans brides (ce que savait aussi Goya, pour ne pas se priver d'un lieu commun).
Dans Hantise, on ne voit rien qui ne puisse être expliqué par les potentielles faiblesses psychologiques des quatre invités : ils sont persuadés qu'il doit se passer quelque chose, et il se passe quelque chose. Cependant, une fois la crise passée (des coups sur les portes, des ricanements, ou des visions inquiétantes...) rien ne subsiste pour prouver la réalité de l'attaque, et la fragilité des témoins est mise en avant.
Hill House donne à l'écriture très maîtrisée de Shirley Jackson un contexte à sa mesure : comme les couloirs de la maison, comme la psyché de la très angoissée Eléonore, ses phrases sont pleines de tours et de détours subitement inquiétants.
Shirley Jackson utilise une langue très simple, presque enfantine, avec de multiples répétitions, qui donnent à l'histoire son aspect inquiétant, comme si quelque chose d'autre que soi ruminait les pensées que l'on est en train d'avoir.
La gradation dramatique évolue en quelques jours, et en à peine 250 pages : dès les premiers instants du récit, le lecteur se doute qu'Hill House est hantée, et les premiers évènements se produisent très vite. L'arrivée de deux nouveaux personnages, au deuxième tiers du récit, des "sceptiques" est ici plus bienvenue que dans Le cadran solaire : ils permettent de renouveler l'intérêt du récit en soutenant la thèse de la partialité des témoins, en apportant une touche d'humour, et offrent un court répit dans l'escalade des phénomènes.
L'auteur, comme je le disais plus haut, nous permet d'entrer dans le récit en nous faisant sympathiser avec Eléonore, petit personnage pitoyable (que l'on prend en pitié), et qui semble partager avec elle de nombreux points communs, dont sa façon de se mettre au service des autres (et d'une mère tyrannique) ainsi que ce désir de s'émanciper.
Eléonore est parfaitement écrite, dans ses angoisses liées à la fréquentation d'étrangers comme dans ses réactions aux manifestations surnaturelles, et c'est sur elle que repose une bonne part de la réussite du roman. Grâce à ce narrateur dont les troubles intérieurs semblent peu à peu envahir le récit, il sera finalement impossible de déterminer si une force surnaturelle est bien à l'oeuvre à Hill House.
Le roman est à ce titre l'héritier des romans gothiques du XIXe siècle, auquel Shirley Jackson applique ses obsessions personnelles.
Enfin, dans Hantise, les différents niveaux de narration et d'interprétation se percutent : le roman d'ambiance est ponctué d'actions violentes, le récit d'exploration se réduit à un seul lieu, le réel et les fantasmes de l'inconscient se rencontrent sans cesse, et les phrases elles-mêmes sont à double entente, leur interprétation finale laissée au lecteur.

Pour conclure, j'aime particulièrement ce roman -dont je prête volontiers ma vieille édition- d'autant plus qu'il est court, particulièrement efficace, et qu'il imprègne l'imaginaire de nombreux récits fantastiques qui l'ont suivi. L'adaptation cinématographique de Robert Wise, de 1963, très fidèle à l'esprit du roman, est tout à fait recommandable.

Hantise, Shirley Jackson, Pocket, collection terreur, 1999.
(une réédition sous le titre La Maison hantée est prévue chez Rivages pour début novembre).

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* Si tu as un autre livre à me conseiller pour ce titre envié, cite-le dans les commentaires, je te prie, et je le lirai. Et je serai contente.


jeudi 13 octobre 2016

Un mois vu et lu, septembre 2016

C'était la rentrée, on y a globalement survécu.

Des séries :
Impression globale : trop de boulot, besoin de détente à bas coût intellectuel. Et ça se ressent un peu, avec l'impression persistante d'avoir dans l'ensemble perdu mon temps...
 
The expanse
Un space-opéra traditionnel hybridé avec une enquête policière. On y suit deux narrations et deux anti-héros : l'un, capitaine de vaisseau, est un petit gars propre sur lui trop intelligent pour son propre bien, tout comme la SF américaine les aime bien (et sa super équipe et son super vaisseau), l'autre est un flic corrompu mais tenace, avec un chapeau mou inutile dans l'espace mais fidèlement porté. Les deux enquêtes se rencontrent, les personnages féminins sont très bien, mais malgré des acteurs sympathiques, tout reste très, très classique.

Outsiders
En matière de série, j'ai globalement très mauvais goût.
Ma dernière expérience dans ce registre est la série Outsiders, honteux sous-produit de Sons Of Anarchy, qui ne décide jamais si elle est la petite maison dans la prairie, le Seigneur des anneaux ou un documentaire M6 sur l'exploitation de la nature par les grandes entreprises.
On y suit une très grande famille de laissés-pour-compte, les Ferell, qui vivent depuis un bon bout de temps (les vagues d'immigrations Américaines? Les Indiens ? les scénaristes laissent ça sur le côté, il ne faudrait pas lasser le public) sur leur montagne, parlent une langue étrange qui ressemble à du Hobbit, pratiquent le troc et sont gouvernés par une matriarche intransigeante à la langue bien pendue. Comme ils se marient entre eux, ils s'appelent tous cousins sans le moindre second degré (oui, vraiment). Pour la coolitude, ils ont cheveux et barbes longues, et une production d'alcool locale légendaire, dont la série nous apprendra que ne la boit pas qui veut (il vaut mieux avoir le foie en adamentium trempé).
Evidement, ça ne se passe pas très bien avec les habitants de la petite ville en bas de la montagne, dans laquelle ils ne passent que pour piller l'épicerie en quad (oui, vraiment bis). Mais nos outsiders vont se retrouver contraints à parlementer avec les habitants lorsqu'un projet de mine, apporté par une compagnie aussi retorse que l'employée qui les repésente, cherche à les exproprier. Ajoutons à tout ça un pseudo drame shakespearien de la quête du pouvoir corrupteur, un sherif alcoolique et drogué, des méchants très méchants, une love story mignonette et une autre pas intéressante, et le résultat est d'un mauvais goût excentrique, qu'on regarde avec perplexité en essayant de comprendre s'il y a un récit et où celui-ci peut bien aller.
S'il faut en juger le dernier épisode de la saison 1, l'inventivité des scénaristes dans ce domaine est bien supérieure à la nôtre, d'autant plus qu'ils ont fait l'impasse sur tout souci de réalisme depuis un bon moment déjà.
Définitivement n'importe quoi, bizarrement sympathique.
 
Happy Valley
Cette série britannique est l'inverse de celle précédemment citée. On y suit le difficile quotidien d'une policewoman anglaise, dans une petite ville sinistrée par la crise. Elle a la cinquantaine et un sacrée caractère, vit avec sa soeur, une ancienne alcoolique, en couchant de temps en temps avec son ex-mari, et en élevant péniblement son petit-fils, fruit du viol de sa fille, décédée peu après la naissance de l'enfant. Il y a un coupable pour cet ancien crime qui a bouleversé sa famille, et nous allons le rencontrer bien assez tôt... Happy Valley est une grande série, qui a le souci de dépeindre la Grande-Bretagne avec réalisme. Nul n'y est juste, nul n'y est bon : les hommes politiques ont des passe-droits, les comptables se lancent dans le kidnapping, et les policiers mènent leurs guérillas personnelles. L'ambivalence et la mesquinerie de l'âme humaine, à hauteur de village, servis par des acteurs brillants. 
Et en plus, le discours est profondément féministe


Et des livres : 
Impression globale : un peu pareil. J'en arrive au stade où ma curiosité renâcle un peu, il est temps de trier pour lire des choses plus satisfaisantes.


Les variations Sebastian et Dernière nuit à Montréal, d'Emily St John Mandel
Lus à la suite de Station Eleven, pour mieux appréhender le style et les intérêts de l'auteur, ces deux livres présentent des similarités qui laissent transparaître certaines obsessions. Ce qui me touche, c'est qu'on retrouve en creux des êtres humains fragiles qui tentent de survivre dans la société moderne. Qu'il s'agisse du petit ami, chercheur raté et pantouflard peureux de Dernière nuit à Montréal, aux beaux portraits du quatuor de musiciens dont les promesses de l'adolescence ne se sont jamais concrétisées, dans Les variations Sebastian, il y a tout un motif du mal-être, de l'inadaptation face à notre monde et à ses dysfonctionnements, que le personnage de Miranda dans Station Eleven illustre également. Il me semble que c'est un motif qui parcours tous les écrits de St John Mandel, avec des personnages englués dans des mécanismes (sociaux, psychologiques, professionnels...) plus forts qu'eux, errant dans des vies qu'ils jugent vides de sens et qui, si elles en trouvent, n'en ont que pendant un court instant.
Lire Emily St John Mandel, c'est ressentir en note de fonds une forme de mélancolie sarcastique face à la réalisation de l'inutilité de l'être moderne, réduit à l'état de machin sentimental et complexé cherchant aveuglément une voie d'accomplissement, ce qui le conduit à emprunter des voies auparavant légitimes que l'évolution de la société a condamnées, distordues, ridiculisées, et qui ne peuvent plus être que destructrices (je pense au jeune journaliste des Variations Sebastian, conduit peu à peu à renier les valeurs du journalisme pour conserver son travail, au consultant en ressources humaines de Station Eleven, qui mène sans s'interroger des séances de dénonciation sur d'autres professionnels).


La fille qui naviga autour de Féérie sur un bateau construit de ses propres mains, Catherynne M. Valente
J'aime beaucoup cette autrice pleine d'audace et de bonnes idées. Le roman en question est un livre jeunesse qui devrait faire la joie d'un jeune lecteur (vers 10 ans ?), en panachant en rythme Alice au pays des merveilles, Narnia de C. S. Lewis et Lombres de China Miéville. C'est un peu trop enfantin pour moi, qui ai deux décennies de lecture de plus.

Critique macédonienne de la pensée française, Viktor Pelevine
Réussir à ne pas dresser encore une couronne de lauriers à Pelevine va être compliqué, mais résumons : il s'agit d'un chouette recueil de nouvelles dont la première partie pourrait réjouir un fan du Diable est au piano de Léo Henry. On y rit de bon coeur, et la manière dont il ridiculise les nouveaux riches Russes est un régal. Par contre, la deuxième est quasi-illisible, Pelevine ayant cette tendance au débat philosophico-spirituel, qu'il mène tout seul en laissant son lecteur à la porte.

Et des expos : 
Impression globale : j'ai pas eu beaucoup de temps, mais j'ai enfin réussi à visiter les collections permanentes du Centre Pompidou (et ça suffit à ma joie, oui).

Kollektsia 
Un don de la fondation Vadimir Poutine, on l'apprend en entrant dans les salles dédiées à cette accrochage, au quatrième étage du Centre Pompidou. Cette donation porte sur l'art contemporain Russe, des 50's à nos jours. Plusieurs choses ont retenu mon attention : les photographies magnifiques de Fancisco Infante-Arana, le Sots-art dans son ensemble (en shématisant, la version soviétique et très ironique du pop-art, dont l'objet était de moquer la propagande d'Etat), et l'entrée de l'exposition, présentant les oeuvres du génial Dmitri Prigov, artiste touche-à-tout, poète, dessinateur et performeur, entre auteur d'une "Apothéose du flic", qu'on pourra le voir réciter dans une stupéfiante archive, coiffé d'une casquette de policier, de lunettes d'aviateur, devant une énorme télé, installé dans le fauteuil d'un appartement russe typique. Et malgré les années, malgré l'obstacle que constitue la langue russe, les visiteurs de l'exposition s'arrêtent de longues minutes, mesmérisés par l'humour qui transparaît de cette prestation. Dmitri Prigov est formidable, j'espère qu'on aura l'occasion d'en connaître un peu plus.

Provoke
Trois numéros de revue de photos plutôt underground publiés dans les 60's auront suffi à marquer durablement le paysage photographique japonais. Cette revue, Provoke, est le témoin des expérimentations de quelques photographes engagés, qui filment les luttes sociales de leur pays, et définissent une esthétique brute, floue, granuleuse.
L'exposition, passionante, donne une bonne idée de ce qu'était le Japon à l'époque, et la partie dédiée à la performance est jubilatoire, racontant à l'aide de photos, de plans et de vidéos, d'incroyables jeux joués avec le public, et qui permettent de se rappeler qu'aux mêmes dates, en France, c'était mai 68. 

Et des films :

Juste la fin du monde, Xavier Dolan
Ce film contient bien tous les défauts que la presse a pointés : acteurs incapables d'aller au delà du cliché, réalisation peu inventive... Mais le film survit grâce au texte de Lagarce, dont la puissance repose sur le décalage insupportable entre actes, paroles et ressentis. Enfermés avec ces phénomènes problématiques que sont les personnages, les spectateurs étouffent, et c'est ce que veut Dolan, nous impacter physiquement par la violence inutile des discours, qui disent trop des coeurs blessés qu'ils cachent et ne résolvent rien.
Je suis émotive, ça a marché.

Miss Peregrine et les enfants particuliers, Tim Burton
Un Burton enfantin, oubliable mais sympathique, adapté fidèlement du roman jeunesse éponyme. On passe un joli moment, on s'ennuie un peu car tout est très convenu.

Bonus : Des trucs que j'ai fait avec mes mains : 
Un atelier sérigraphie pour comprendre comment ça marche / un atelier sketchnote pour pareil / je suis un inscrite à un atelier d'arts plastiques où je bidouille des trucs inattendus (dont des sachets de thé secs) dans la joie la plus complète / une expérience avec un appareil photo argentique aimablement prêté, et dont le résultat, que je viens de recevoir, m'éblouit complétement (le grain, la couleur, wahou je suis wahou).

Quoi pour la suite ? Octobre est bien entamé, on verra.




Materialists, Celine Song

Materialists est le second film de Celine Song, après Past Lives (2023), qui avait été très apprécié (je ne l'ai pas vu), et s'int...