vendredi 22 juillet 2016

Choses vues et lues, juin-juillet 2016

Du bazar.
Et de l'action :
-Parfois, on se laisse impressionner par les choses que l'on ne connaît pas, uniquement parce qu'on est incapable de se représenter mentalement leur construction. Voir faire un dessin, par exemple, lorsque l'on regarde une vidéo Youtube, semble plus facile qu'être face à la feuille blanche avec son crayon. On peut alors se glisser dans les pas de la personne que l'on observe et mieux comprendre "comment c'est fait".

Longtemps, la photographie m'a semblé un art inaccessible et incompréhensible. Il m'a fallu la démonstration des techniques de réalisation de l'image dans un atelier pour enfin comprendre (la lumière, les négatifs et positifs).
Et se trouver capable de ramener la chose à sa technicité joyeuse pour produire des images, à son petit niveau.

- Parfois, on se laisse impressionner par des choses que l'on ne connaît pas (bis), parce qu'on les pare d'une telle valeur culturelle ajoutée qu'elle nous étouffe et nous empêche de nous y intéresser. Dans ce cas, rencontrer des passionnés qui vont partager avec vous ce qui les fait vibrer est une manière d'entrer à son tour dans le domaine. Dans mon cas, j'ai eu la chance d'assister à une formation cinéma d'une telle qualité qu'elle m'a rendue cinéphile et vaguement obsessionelle, ce qui fait que je regarde des films, et que je vais à d'absconses conférences tenues par des universitaires ayant des compulsions langagières portant sur l'adjectif "humoral" (à voir sur cette mine qu'est le site du Forum des Images). Et je me suis bien amusée en regardant des Chroma. Je n'ai plus peur, pas même de la Nouvelle Vague, pas même de Lussas (même si c'est pas pour cette année).

- Parfois on se laisse impressionner... Non, en fait, on n'a pas l'idée de faire le truc utile, et c'est quelqu'un d'autre qui allume la mèche à votre place : on m'a donc suggéré de faire un dessin par jour. Super bonne idée! Je m'y tiens depuis, de la répétition naît la progression (et on voit ça , on est invité à rigoler avec moi).
Cela me fait toutes sortes de bien parmi lesquels : s'obliger au croquis (la liaison main-oeil), terminer un dessin et sa mise en couleur (une de mes grosses angoisses, j'ai l'impression que je n'y comprends rien, à la couleur), tester des techniques différentes (enfin du sec, parce que jusqu'à maintenant je n'ai pas le temps de bricoler de l'aquarelle ou de la gouache le soir tard), trouver des sujets à dessiner (une réflexion barbare sur la pauvreté de mon imaginaire est en cours, je n'ai pas envie de dessiner de charmants quais Parisiens ou des jolies filles en jolies robes toute ma vie, ça m'ennuie, il va donc falloir trouver autre chose).

Et sinon :
 
Chris Ware : la bande dessinée réinventée, Jacques Samson et Benoît Peeters, Les impressions nouvelles, 2010.


Lire du Chris Ware, qu'on aie ou pas l'habitude de la bande dessinée, peut s'avérer un peu déroutant. La narration (quand figurent des phylactères et des paroles échangées, ce n'est pas toujours le cas) est inhabituelle, réduite à un symbole qu'il faut décrypter, le sens de lecture est aléatoire, les émotions des personnages se lisent dans la gradation subtile de leur mise en couleur, et l'objet-livre lui-même fait l'objet d'une déconstruction. Le lecteur un peu perdu, qui n'avait jamais rencontré de bande-dessinée post-moderne avant, se trouve bien content de fréquenter le livre mentionné ci-dessus, qui associe des textes présentant l'oeuvre de Chris Ware et ses influences, quelques articles de Chris Ware lui-même, et de nombreuses planches. On peut donc relire Jimmy Corrigan, Quimby the Mouse et le très spectaculaire Building stories (14 livrets rassemblés dans un coffret racontant les histoires séparées de personnes vivant dans le même bâtiment). En se trouvant tout ému, car Chris Ware, on le pressentait dans ses bandes dessinées, mais c'est évident en entretien, est un être humain sensible et bienveillant.



La fabrique du monstre : 10 ans d'immersion dans les quartiers Nord de Marseille, Philippe Pujol, Les Arènes, 2016.

Un nouveau livre de David Simon a été traduit par les éditions Inculte, et c'est alléchant, mais plus près de chez nous, qu'écrit un journaliste sur la drogue et les quartiers pauvres ? Qu'écrit le récipiendaire du Prix Albert Londres ? Philippe Pujol, ancien journaliste localier à La Marseillaise, raconte, et si le résultat n'est pas comparable à la narration brillante de l'auteur de The Wire, les situations dont il a été le témoin sont frappantes, et forment un rapport alarmant et douloureux sur la ville.
On en aura un résumé en écoutant cette émission.
Il va falloir lire Albert Londres.



Truman Capote, réalisation Benett Miller, 2005. Avec Philipp Seymour Hoffman, Catherine Keener...


Truman Capote, joli snob roi des conversations mondaines New yorkaises, s'est soudain pris de passion pour un meurtre familial au fin fond de l'Arkansas, essayant à force d'entretiens avec les meurtriers de comprendre la genèse de l'acte, dont il tirera son célèbre De sang froid. Le film montre ce jeu de manipulation auquel se livrent Capote et les détenus, l'un ayant le pouvoir (la liberté, l'argent, et surtout la parole), les autres ayant l'histoire dont il a besoin. Et comme il s'agit de relations humaines, de vie, et de mort, bien plus est finalement en jeu.
En parallèle du livre, j'ai aussi sur ma table de chevet Un plaisir trop bref, correspondance de Capote parfaite, qui associe brio, petits commérages et attentions touchantes. La quintessence des mots qu'on amerait avoir pour nos proches (impressionante traduction de Jacques Tournier), avec une vue imprenable sur le travail de l'auteur en train de se faire.
Et en parlant de la vie de Capote, je suis aussi curieuse de l'adaptation haute en couleurs et pas toujours du meilleur goût réalisée par Douglas McWrath en 2006, avec Toby Jones dans le rôle : Scandaleusement célèbre (Infamous).

Whity, R.W. Fassbinder, 1971
A la fin du XIXe siècle, dans une grande plantation du Sud des Etats-Unis, Whity est le fils illégitime d'un propriétaire blanc et d'une esclave noire. Tout en ayant un statut de serviteur, et en se laissant jouer par sa demi-famille blanche, il s'illusionne sur sa place dans cette famille très fin-de-race, parcourue de perversions et de haines quand lui est encore bon. C'est sa beauté et sa pureté que sa famille blanche lui envie tant, et qu'elle s'acharne à corrompre, tout en cherchant à en jouir. Ce cadre symbolique une fois posé, l'histoire se déroule sans accroc jusqu'aux scènes finales, prédestinées, où le héros se libère de ses entraves familiales.
Le film, et les couleurs, sont superbes (je pense notamment à la mise en valeur constante de la sensualité des personnages, par le vêtement -la veste rouge de Whity, les éclairages, les cadrages - un phénoménal plan tournant du héros, immobile sur son lit, et le jeu du maquillage, plus ou moins présent).


Lili Marleen, R. W Fassbinder, 1981
La très légère chanteuse de cabaret Lili Marleen entretient une relation avec un fils de banquier Suisse, fortement désapprouvée par la famille de celui-ci. Alors que la seconde guerre mondiale débute, la chanteuse aboandonnée se retrouve propulsée idole Hitlérienne à cause du succès de sa chanson, pendant que son amant, membre d'une organisation secrète de protection des juifs, se retrouve menacé. De cette trajectoire d'amour contrarié, Fassbinder tire des scènes mémorables, en jouant avec l'inquiétant glamour de cette vedette malgré elle, qui ne veut qu'une seule chose : son amour, et qu'elle n'obtiendra pas (et la scènes finale est paradoxalement très philosophe, car si la chanteuse est rejetée du monde rangé auquel elle aspirait, il est aussi évident que d'autres aventures l'attendent).


Et clore avec de l'art : suite à une géniale visiste chez Aaapoum-bapoum, je suis ultra-fan de l'auteur de bandes dessinées Chantal Montellier, de sa sobriété et de ses mises en couleur frappantes. Je vais en lire plus, je ferais un article un jour. Mais son dessin et son audace m'éblouissent.
Les damnés de Nanterre, Chantal Montellier, 2005







mercredi 13 juillet 2016

La justice de l'ancillaire, Ann Leckie

Hey.
Un petit mot rapide pour parler de ce livre sur lequel les avis semblent diverger, mais qui m'a plutôt enthousiasmé.

Donc, La Justice de l'ancillaire, traduit de Ancillary Justice, premier roman d'Ann Leckie, qui remercie dans son bouquin son club d'écriture, et partie inaugurale d'une trilogie dont le tome 2 vient juste de sortir (mais là, je suis noyée sous les bouquins, je me le garde donc comme plaisir coupable pour une prochaine fois).



Ce roman a reçu un accueil enthousiaste, dont le bandeau et la quatrième de couverture de l'édition J'ai Lu Millénaire porte la trace : une dizaine de mentions de prix parmi les plus prestigieux.
Pour autant, lorsqu'ayant loupé 3-4 stations de métro, prolongé une veillée de manière déraisonnable et jailli dans ma librairie préférée en le brandissant comme une sorcière son balai, le trio de spécialistes de la SF réuni à ce moment là devant le café m'a dit en gros : "Ah oui ? Tu as aimé ? Parce que bof-bof."
Bof-bof signifiant, parce que j'ai demandé : rien de nouveau sous le soleil, histoire ni originale ni intéressante, très longue première moitié du roman, personnages pas spécifiquement attachants.
Et puis j'ai lu d'autres critiques plutôt cools qui disaient "moui, ça peut plaire aux plus jeunes."

Well, il se trouve que j'ai vraiment aimé ma lecture, alors je vais essayer d'expliquer ce qui moi, m'a accroché : tout d'abord, il y a ce personnage principal incroyable (et effectivement peut-être pas follement chaleureux) qui est une intelligence artificielle de vaisseau spacial prise au piège dans un corps humain. Et qui regarde donc le monde avec une distance froide fascinante. Dès la première page, elle découvre une ancienne co-équipière dans une situation critique, et résoud de la sauver, pour des raisons particulièrement mystérieuses. Ce second personnage est délicieusement odieux, et c'est aussi lui qui va le plus évoluer pendant l'aventure, apportant progressivement une touche plus humaine (mais presque décevante, je l'aimais tellement snob, drogué et revenu de tout). Quoiqu'on ne puisse pas dire que notre IA reste complètement impassible, mais elle l'est pendant la majeure partie du récit, se révélant subtilement.
Comme les romans le font beaucoup, la narration alterne différentes périodes de temps: lorsque notre IA était encore un vaisseau, ses missions diplomatiques et ses relations avec son Capitaine préféré, et ses aventures actuelles. Bien sûr, et c'est pour moi l'une des meilleures pages du roman, Ann Leckie s'est réservée le plaisir de nous raconter la séparation de l'IA (une même scène d'action qui saute du vaisseau à la vingtaine de corps que son intelligence occupe, avec fluidité jusqu'à la rupture et l'isolement de notre héros). C'est, il me semble du très beau travail, et Ann Leckie est également plutôt douée pour le suspens (des scènes d'espionnage ou de négotiation très prenantes) et l'émotion.

Et surtout, il y a aussi ce jeu sur le genre qui m'a épatée (et je sais que c'est loin d'être la seule à jouer cette carte-là, et j'espère vite les découvrir) :  notre IA le dit dès le début, dans sa culture, il n'y a pas de différence culturelle entre les sexes, et le neutre est féminin. On dit par défaut "Une homme, Une capitaine, une vaisseau." L'ancienne partenaire récupérée à la page 1 est donc d'un genre indéterminée au début, à moins que le lecteur, comme moi, n'assume qu'elle est féminine pour finir par hésiter. Les relations entre personnages sont aussi habitées par cette incertitude, que l'on trouve troublante au début, pour l'accepter parfaitement en cours de roman.

Alors oui, c'est peut-être un peu facile par moment, comme un fast-food quand on rentre très tard chez soi et qu'on a pas envie de faire d'efforts. Mais le plaisir de lecture est bien présent, et pour peu qu'il soit disponible à la bibliothèque, ça vaut le coup d'essayer.

(Et ne me jetez pas trop de pierres, je vais lire du Baxter, c'est en cours...)
 

dimanche 19 juin 2016

Belladonna (La belladonne de la tristesse), Eiichi Yamamoto

Hey. Voici un film très discutable sur pleins de points mais passionnant.

Belladonna est un anime érotique japonais sorti au Japon en 1973. Il faisait à l'origine partie d'une trilogie de films produite par Osamu Tezuka. Mais laissé plutôt libre dans ses choix artistiques pour ce dernier anime, le réalisateur Eiichi Yamamoto a donné à son film une forme très expérimentale, raison pour laquelle le film est resté dans les mémoires et bénéficie cette année d'une sortie restaurée.



L'argument est inspiré de La sorcière de Michelet : dans un village médiaval, juste après son mariage avec Jean, la très belle Jeanne est violée par le Seigneur local et par la Cour. Isolée dans leur masure, manquant du soutien du faible Jean, elle est abordée par le Démon, qui se présente sous des atours très peu inquiétants, et propose de l'aider, tout en lui faisant découvrir le plaisir sexuel (rappelons-le, c'est un anime érotique). Le pouvoir qui lui est accordé améliore tout d'abord sa situation, mais suite à une première attaque du baron local, elle se retrouve dans la vallée déserte, seule dans la nature. C'est là qu'elle utilisera ses talents, et notamment sa connaissance des plantes, au profit des habitants, attisant la colère du Seigneur voisin.

Belladonna est très déroutant pour le regard contemporain : la complaisance vis à vis de la violence sexuelle est difficile à soutenir, malgré une première scène à l'intérêt esthétique indéniable, qui joue avec le sang rouge sur la blancheur de la peau de Jeanne. Ce type de violence se reproduira à une cadence trop importante pour ne pas être dérangeant*.

Les Japonais ont aussi un sens du ridicule assez important, et s'amusent en ajoutant d'improbables symboles phalliques dans la moindre situation. Ces éléments ont mal vieilli et attirent la perplexité ou le rire.

On peut également regretter la faiblesse des personnages et du scénario global : oeuvre esthétique et libidineuse, Belladonna ne se soucie que peu de faire exister ses personnages, et sa chute finale soudainement féministe, qui annonce la Révolution française par un tableau ancien collé là sans ménagement, est au mieux embarrassante.



Voilà tout ce qui peut présenter des difficultés à la vision, mais cependant, Belladonna reste fascinant. La technique d'animation utilisée est très inhabituelle, en ne se reposant pas toujours sur de l'animation à proprement parler mais parfois sur des cadrages et des mouvements de caméra sur des planches illustrées fixes, qui succèdent à des scènes animées par des techniques variées.
A cette apparente simplicité technique s'associe une iconographie pleine de références à l'histoire de l'Art.
Le traitement de la couleur est particulièrement réussi, plein de contrastes 70's et de références à Klimt, Redon ou Mucha : des constrastes vifs de verts et de rose sur notre héroïne, des bleu outremer éclatants figurant un ciel malfaisant, des touches de doré où éclot soudain la couleur, ou la sobriété de pas noirs dont le mouvement est figuré par l'alternance du bleu de leurs ombres... Bien des scènes sont mémorables grâce à ce travail graphique audacieux, et mériteraient d'être revues pour leur beauté ou pour leur intérêt technique.
Les différentes scènes fourmillent d'idées, et les représentations changent de style et de sens avec une rapidité impressionante, associées à la beauté des voix (l'interpréte de Jeanne en livre une belle interprétation) et à une musique psychédélique et envoutante.

Pour conclure, malgré de nombreuses faiblesses dûes à l'âge ou à l'inconséquence de son scénario, qui font souvent de sa vision une expérience questionnable, Belladonna est un chef d'oeuvre esthétique déroutant, dont on pourra débattre bien longtemps.

---

*A ce sujet, je m'interroge sur les nombreuses critiques dithyrambiques de la presse, pour l'instant dans leur immense majorité rédigées par des hommes. Je suis curieuse de savoir ce que d'autres femmes ont ressenti devant le traitement de cette belle dame, et comment cela a influencé leur vision de l'oeuvre.

dimanche 5 juin 2016

Choses vues et lues, mai 2016

En amorce de cet article, mai a été un brin le bordel, je m'en suis mis plein les mirettes de sensations visuelles, et j'ai finalement peu lu, alors autant s'en dépatouiller dès maintenant.
(où l'on voit un peu ce qui arrive quand je me promets d'écrire toutes les semaines...)


Beauté fatale de Mona Chollet
 Je suis un peu novice en matière de livres féministes, je l'avoue, mais la lecture de Beauté fatale m'a fait le plus grand bien, en interrogeant ce que Mona Chollet appelle "le complexe mode-beauté", cette industrie qui se fait de l'argent en nous culpabilisant, à travers l'histoire de l'enfermement féminin par le consumérisme, et l'ébauche de cette idée qui me fascine tellement mais que je ne comprends pas, la culture féminine.
Les thèses sont nourries de très nombreuses références que l'on consultera avec grand intérêt.
Il me semble que c'est un bon point d'entrée, très facile d'accès, au féminisme et à la théorie des genres.



Jean-Michel Albérola et Simon Evans au Palais de Tokyo
On trouve des choses très inégales au Palais de Tokyo, du pire au meilleur, avec du dérangeant.
Deux choses m'ont marquées (et parce que j'aime les arts graphiques les plus modestes, le papier me séduit énormément).


Everything I Have / Simon Evans

Simon Evans est un ancien skater qui travaille avec l'illustratrice Sarah Lannan, et à eux deux, ils détournent ces outils du quotidien que sont les notes, plans, tickets de carte bleue, listes et schémas pour se moquer de notre manie de prendre nos vies trop au sérieux. Comme un hipster qui s'auto-déprécierait en faisant quelques blagues, mais en arrivant à nous toucher un peu quand même.
Quoique léger, leur travail est assez séduisant, et nous donne un apperçu de la modestie et de la futilité de nos existences.

Profil d'un voyou / Jean-Michel Alberola

Jean-Michel Alberola a lui aussi toute une histoire avec le papier, et c'est un peu ma révélation de ce mois. L'exposition rétrospective qui lui était consacrée permettait de découvrir son amour de la littérature (maintes citations), la finesse de ses perceptions (des papiers perdus et personnalisés avec des lettres ou des dessins, délicats haïkus dessinés, qui évoquent en creux l'humour subtil de Magritte et des surréalistes). Le jeu perpétuel, et plutôt joyeux, de la forme et du fonds, est l'une des singularités de l'artiste.
J'aime beaucoup, beaucoup Jean-Michel Alberola.

Amadeo de Souza-Cardoso au Grand Palais
Un peintre relativement inconnu en France que ce jeune homme, arrivé à Paris vers 1906 et décédé en 1918 lors de l'épidémie de grippe espagnole. L'un des nombreux intérêts de son œuvre est sa volonté d'expérimenter sans cesse, et d'être à la pointe de la modernité d'alors : ami des artistes de l'avant-garde d'alors, Brancusi, Modigliani, les Stein, Juan Gris... On note donc de véritables évolutions dans son œuvre, depuis les travaux très art nouveau où le dessin et la ligne ont une grande importance, jusqu'à ses toiles finales inspirées des cubistes et où la couleur a la place principale.

Le saut du lapin / Amadeo de Souza-Cardoso, 1911
Des toiles présentées au Grand Palais, on peut retenir son incroyable maîtrise du portrait animalier, dans lequel de Souza-Cardoso est particulièrement original, et reconnaissable, mais également son passionnant travail de dessin et de graphisme, au travers d'un recueil de dessins, et ses illustrations de la Légende de Saint-Julien l'Hospitalier de Flaubert.

Je suis aussi passée à Monumenta, on pouvait y voir un bicorne Napoléonien géant juché sur une grue, et encadré de conteneurs sur lesquels un squelette de serpent géant reposait, et y découvrir ce concept inattendu de "Dadaïsme zen."



Leviathan, Lucien Castaing-Taylor, Verena Paravan
L'une de mes grandes découvertes de ce mois a été cet incroyable documentaire ethnographique, dont le sujet est le quotidien d'un chalutier de New Bedford, aux Etats-Unis. Il fait partie, me dit-on, de cette nouvelle vague de documentaires de création qui mêlent la forme au fonds, pour offrir un regard singulier sur les thématiques filmées. Pour obtenir le résultat impressionniste fascinant de ce film -car c'est véritablement à une immersion en haute mer que nous sommes invités, les deux réalisateurs ont fait le parti pris de tourner à la caméra Go-Pro, qu'ils ont fixées en différents points du chalutiers et sur les pêcheurs : sur leurs fronts, leurs poignets, ou sur les filets. Le résultat est spectaculaire, car l'esprit essaye de compléter ce qu'il voit mais ne comprend pas (des parties d'objets, la pénombre plus ou moins animées) par les sons du film. Les plans sont troublants et très inhabituels, et me semble-t-il, la dureté du métier, et sa barbarie sont parfaitement rendues à l'écran.
Attention, il faut accepter de dérouter ses sens pendant une heure et vingt-deux minutes, mais je pense que c'est une expérience mémorable que l'on peut s'offrir.





In the wilds, in the City, Nigel Peake
A ce stade, il faut que je parle de Nigel Peake, illustrateur que j'aime avec une passion un peu déraisonnable, et dont il semble, si j'en crois les étals de la librairie du Centre Pompidou et du Monte-En-L'air, qu'il est très tendance de l'aimer en ce moment. Bon, ce n'est pas grave, je reste le souffle coupé devant son travail de simplification extrême des formes, qui lui permet dans In the wilds de représenter un champs uniquement avec un carré et les couleurs appropriées en ajoutant une perspective complétement faussée sans qu'il perde son identité, dans In the City de nous faire ressentir la complexité de la ville à travers les pliages d'un ticket de caisse ou les sons de la pluie qui heurtent différentes surfaces, toutes réduite à leur plus simple expression graphique. C'est un truc de cinglé que le raffinement des perceptions de Nigel Peake, qu'il tire vraisemblablement de sa formation d'architecte, et qu'il nourrit de sa curiosité pour le monde. Lire Peake, c'est faire une expérience étrange où l'on perçoit différents sens par l'unique prisme du dessin, et c'est si fascinant que l'on peut passer quelques minutes sur une page, à analyser dessin, sens et couleur.
Toutefois, je le conçois, il est aussi possible de me répondre que c'est un joli livre d'images pour intello du dimanche.



Encore une partie de campagne gâchée par le crocodile, de Stephen Collins
Stephen Collins travaille pour le Guardian, comme cet autre grand chouchou personnel qu'est Tom Gauld, et j'avoue que je le découvre avec une joie sans mélange.

http://www.cambourakis.com/spip.php?article669

Là où Gauld a un dessin minimaliste, et où l'humour est un humour absurde de situation, reposant souvent sur la culture, Collins a un dessin très mignon, presque enfantin, et travaille principalement sur nos difficultés à nous accommoder des envahissants réseaux sociaux. Cela ne l'empêche pas de jouer avec la narration, et d'offrir des dialogues surréalistes hilarants, que l'on aurait très envie de lire à haute voix, car oui, c'est de la BD bien écrite.
Du même auteur, si on est un peu en fonds, on se délectera de La Gigantesque barbe du mal, jolie bande-dessinée éditée chez Cambourakis, dont le dessin au crayon regorge de trouvailles graphiques.


Rodtchenko et le constructivisme Russe
Pour terminer ce compte-rendu de mes expériences du mois, j'ai aussi découvert ce mouvement, et toute la naissance des avant-gardes Russes de la fin du XIXe-début du XXe, par le biais du très bon L'avant-garde russe dans l'art moderne, de Camila Gray, à la suite de quoi on m'a prêté une monographie sur le constructivisme (je sais qu'il me faudra aussi voir des œuvres de Lioubov Popova), et sur Rodtchenko, expérimentateur génial de la photographie, de la peinture et du graphisme.


Et ce sera tout pour ce mois très chargé en expériences visuelles. Ma bibliothèque déborde, je vais me remettre à lire en juin.

mercredi 11 mai 2016

Welcome to Nightvale, Joseph Fink et Jeffrey Cranor

[Heylà.
Je vais parler d'au moins trois choses différentes, et j'espère donc que l'article ci-dessous sera digeste.]

Le podcast est un genre en plein boom, il s'en multiplie de tous côtés, et c'est réjouissant d'entendre ces voix intelligentes prendre la parole pendant qu'on fait notre footing ou qu'on tente de viser les clous et non pas nos doigts avec le marteau, le dimanche.
Qu'il s'agisse de rediff" d'émissions de radios ou de podcasts purs et bruts, c'est nourrissant, c'est formidable. A tel point qu'aux Etats-Unis, contrée d'où nous vient ce raz-de-marée, on cherche frénétiquement un moyen de rentabiliser tout ça.
L'un des podcasts qui a déclenché l'avalanche se trouve être justement une fiction qui appartient au domaine de l'imaginaire, et il est temps d'en parler.


Welcome to Nightvale : l'émission

Welcome to Nightvale a été créé en 2012 par Joseph Fink et Jeffrey Cranor, qui avaient des professions des plus pragmatiques (l'un d'entre eux bossait dans le service après-vente d'une grande entreprise), mais une bonne connaissance de la littérature fantastique des XIX-XXe siècle.

Ce podcast met en scène un fausse émission de radio locale, genre très traditionnel aux Etats-Unis, où le présentateur, Cecil Gershwin-Palmer, donne les nouvelles de la bonne ville de Nightvale, isolée dans le Sud-Ouest désertique des Etats-Unis. On aura donc les horaires de la bibliothèque, des informations sur les scouts, la météo, le trafic routier, les élections... A ceci près que Nightvale est la ville où toutes les théories conspirationnistes les plus folles, où toutes les histoires fantastiques issues du folklore se produisent, imperturbablement narrées par la belle voix grave de Cécil, pour qui cela est décidément très normal.
On l'aura compris, Nightvale est une parodie à l'humour pince sans rire, qui joue avec la mise-en-abîme et avec le décalage perpétuel pour susciter le rire.

Cette entreprise est plutôt brillament exécutée, et pleine de références : on reconnaît les histoires dont NightVale s'inspire, des maîtres de la littérature du XIXe jusqu'aux épisodes des X-Files, donnant naissance à un objet pop qui devrait parler à de nombreuses générations.

Le succès est venu assez vite à NightVale, grâce à la rapidité de réaction des réseaux sociaux (sur lesquels Fink et Cranor prolongent l'existence de leur ville fictive), mais également grâce à l'adoption de l'univers par les fans, et l'appropriation par les utilisateurs de Tumblr notamment, génération un peu plus jeune que l'average gros lecteur de Sci-Fi et de fantastique.
Tumblr, base de création de blogs essentiellement composés d'image, où bruissent les détournements de milliers de fans de série : où agissent les fans d'Hannibal, de Sherlock... en des communautés très soudées qui se réapproprient les codes d'une série qu'ils aiment pour leurs propres créations, qu'il s'agisse d'illustrations, de retouche-photo, de liens vers des fanfictions.
La matière de Welcome to NightVale était dès le début, très utilisable dans ce genre d'univers, aussi a-t-elle très rapidement été adoptée, et de nombreuses œuvres de fans ont été créées, popularisant très vite l'émission, jusqu'à en faire le podcast de fiction le plus écouté des Etats-Unis.

A ce stade, les propositions commerciales n'ont cessé de pleuvoir autour de Jeffrey Cranor et Joseph Fink, et le podcast - toujours complétement gratuit, sous creative commons, est désormais rentabilisé grâce à des dons, des spectacles, et des produits dérivés.

Welcome to Nightvale : le bouquin

Parmi ces fameux produits dérivés, se trouve un livre -"N°1 des ventes US sur Amazon !"- baptisé en français Bienvenue à Nightvale, édité par Bragelonne, et dont un exemplaire est actuellement posé sur ma table de chevet.
Il a été écrit par Fink et Cranor, et doit donc lutter contre pas mal de préjugés, à savoir : un produit dérivé peut-il être intéressant (ce qui est un peu la politique actuelle de Bragelonne, avec la sortie de la novélisation de BioShock rapture, par exemple) ? Comment novéliser un programme radio ? Est-ce qu'un tel objet est lisible par un public extérieur au fandom ?

Le choix fait par Fink et Cranor est de donner un peu de chair aux habitants de Nightvale. Le podcast d'actualités maintient finalement l'auditeur à distance, et les faits qui sont relatés l'obligent à se demander comment un habitant de Nightvale peut y vivre, avec ce taux de mortalité explosif et ses événements inattendus. On suit dans le livre plusieurs habitants dont le bizarre est quotidien, ce qui répond pas mal à la question et utilise encore ce ton décalé. Ce fil narratif est intercalé d'extraits d'actualités de Nightvale, tels qu'annoncés par Cecil.
L'une des grandes richesses de Fink et Cranor, c'est la capacité à raconter de petits incidents, et à "colorer" un univers (terme que je tiens du théâtre d'improvisation et qui équivaut à cesser la narration pour se concentrer sur la description). Et l'une de leurs grandes faiblesses, c'est leur manque de capacité (ou de volonté) à dessiner un arc narratif plus fort. L'évolution des personnages est plutôt bienveillante, et touche à l'angoisse fondamentale des deux créateurs : comment être adulte, et accepter l'épuisant et absurde fardeau du quotidien ? C'est ce que l'on trouve déjà dans le podcast, développé plus encore dans le roman.
Malheureusement, il me semble que la trame narrative proposée par les deux auteurs est trop légère pour le roman, et très rapidement, nos personnages empilent les péripéties sans qu'on soit bien capable de savoir où ils vont. La promenade est sympathique, certaines scènes sont vraiment réussies, mais tout cela reste du fanservice : les grands adeptes du podcast (dont je fais partie) apprécieront tout de même un travail plutôt honnête.

Bienvenue à Valnuit : la trad' française du podcast

Ok, donc, s'il n'est pas question d'écouter en anglais, on appréciera les efforts de l'équipe bénévole de traduction française. Bienvenue à Valnuit est une translation du podcast américain, qui permet de retrouver en VF l'humour décalé de l'univers. C'est un challenge de traduire les jeux de mots de Nightvale, et on peut comprendre que la traduction soit parfois inégale. Mais il me semble qu'en général, c'est assez réussi, et que le personnage d'Emile est justement interprété.
Comme l'émission originale, on écoutera le podcast deux fois par mois, juste là.

Bonus track : découvrir l'univers UK de Scarfolk ici.

dimanche 1 mai 2016

Choses vues et lues, mars-avril 2016

Et hop.
Sur la longueur, alors que c'est de ma table de balcon, avec un thé citron que j'écris (la banlieue a ses luxes, et de toute façon 300 grammes de henné rouge du Rajhastan sèchent sur mon cuir chevelu présentement) ça donne ça :

Anselm Kiefer au Centre Pompidou
Quand la chose est possible, toujours profiter des visites commentées du Centre Pompidou, car elles sont d'une grande aide pour appréhender des thèmes et des artistes dont on a pas l'habitude. Cela a été salvateur pour cette visite en particulier. La production d'Anselm Kiefer, artiste protéiforme à l'immense culture, est toute entière tournée vers la culture et l'histoire allemande. Il s'agit de retrouver, de restaurer et d'apaiser cette culture mise à mal lors de la parenthèse nazie, travail de mémoire pour lequel Anselm Kiefer utilise l'art, afin de l'accomplir et le dépasser. J'en parle très maladroitement, mais des toiles de ce peintre rebâtissant sur les ruines, se dégage une beauté terrible, et pourtant porteuse d'espoir. Ses assemblages, que l'on apprécie pour leur beauté et leur sophistication, parlent également de ce lent travail de reconstruction, nécessaire pour permettre un avenir (de la culture, de l'art).


In Jackson Heights, de Frederick Wiseman
Frederick Wiseman, réalisateur de documentaires à hauteur d'homme, s'est penché sur le quotidien de ce quartier de New York apprécié pour sa diversité culturelle et qui souffre cependant d'une spéculation immobilière et d'une gentrification galopante. C'est donc trois heures de saynètes prises sur le vif dans différents lieux emblématiques du quartier, qui nous sont données à voir. L'ensemble illustre bien la grande vivacité de ce quartier, et l'esprit d'entraide qui y règne : on assiste à une marche de défense contre les discriminations, aux durs témoignages d'immigrants lors de réunions de soutien, à une merveilleuse et improbable leçon de géographie New-Yorkaise donnée aux aspirants chauffeurs de taxis de toutes origines... Cette découverte assombrie cependant par la perspective de la réduction de Jackson Heights à un opération immobilière à 15 minutes du cœur de New York en métro, de la disparition de cette culture de quartier et de la paupérisation de ses habitants actuels, contraints d'aller vivre ailleurs. Un très beau travail, qui donne à voir et à penser.

La station d'Araminta de Jack Vance
Quitte à en parler, voilà ce que je peux en dire : pour moi, c'est du roman d'aventure vintage plein de planètes, de créatures extraterrestres soyeuses, de mecs pleins de qualités comme de vrais chefs scouts 60's, de girls sexys (bon, la co-héroïne est intelligente et courageuse, mais il y a quand même deux femmes qui se font séduire et/ou violer avant d'être assassinées sans que leur entourage ne soit trop triste). Les décors sont chouettes, et malheureusement, malgré l'aspect ensoleillé de cette lecture de plage, on y détecte des bribes de conservatisme qui m'ont gêné.

Renaître de Susan Sontag
On lit essentiellement Sontag, de nos jours, pour son notable Sur la photographie, ouvrage qui est toujours considéré comme une référence (et que je finirai par lire, c'est bien noté). Avant d'écrire brillamment, Sontag a été une jeune femme assoiffée de connaissances, que l'on découvre dans ce premier journal, qui commence un peu avant son entrée à l'université et se clôt alors qu'elle devenue une figure de la vie New Yorkaise. On assiste donc à la fondation d'un esprit, avec ses lectures admirablement ambitieuses, mais également à la maturation d'une femme adulte avec ses doutes, ses échecs, ses enthousiasmes.

La fin de l'homme rouge de Svetlana Alexievitch
La Russie, ce grand pays que nous connaissons finalement si peu. Grâce aux initiatives de la journaliste, et prix Nobel de Littérature Svetlana Alexievitch, la parole des témoins des catastrophes de l'autre côté de l'Europe nous arrive enfin, elle est dure et bouleversante. C'est l'occasion de mieux comprendre les Russes, et les conditions de vie auxquelles ils semblent perpétuellement condamnés, et une chance de voir l'Histoire à une autre hauteur.
Un texte d'une grande beauté, mais terrible à lire, et dont on gardera les traces.

Exposition Drawn and Quarterly à la Galerie Martel
Je suis toujours dans mes toutes premières tentatives de comprendre ce grand art qu'est la bande dessinée, et jusqu'à maintenant, je n'avais pas poussé jusqu'au Québec. L'excellente maison Drawn and Quartely fêtait ses 25 ans, et présentait à la Galerie Martel ses auteurs phares, et ça m'a permis de découvrir des merveilles : Linda Barry (le pendant féministe et rock de Crumb, avec des trouvailles graphiques et colorées permanentes), la troublante délicatesse de Geneviève Castrée, l'inquiétante élégance d'Anders Nielsen, les superchouettes dingueries de Marc Bell, le très précis trait de Jason Lutes... Oui, c'était formidable, j'ai une liste de lecture longue comme mes deux bras, et vu ses expos, je vais finir par demander asile à la galerie Martel pour être certaine de ne rien louper.

Céramix à la maison rouge
Cette fois, c'était un coup de cet intello de Benito Abdaloff, qui m'a entraîné à cette expo que je n'avais pas repérée et pour cause, on ne pense jamais à la céramique, gentils panurges du dessin à plat que nous sommes (well, que je suis, à tout le moins). Cette partie de l'expo (il faut aller à Sèvres voir la deuxième), est un vrai trésor pour le néophyte, et promet de faire un point sur la deuxième moitié du XXe siècle en matière de création. Il y a des pièces remarquables à voir.
Et la toute dernière partie, qui propose des vidéos de happenings de toutes époques, est vraiment très nourrissante : on y voit une réflexion sur le matériau, une chorégraphie sur le geste du sculpteur, un happening SF... (en lien, Landscape-Body-dwelling, de Charles Simonds, pardon pour l'état de la vidéo).


High Rise, Ben Whitley
OUI il y a le très esthétiquement satisfaisant Tom Hiddleston, et oui, il offre au public un superbe show-off d'une nudité imberbe et musclée dans une scène de bronzage sur la terrasse au tout début du film, oui.
Mais ce n'est pas pour ça qu'il faut aller voir ce film.
C'est avant tout une adaptation plutôt fidèle du roman de 1975 de Ballard, où l'on étudie les conditions de vie dans les immeubles de grande hauteur, pensés pour permettre à leurs occupants fortunés de ne plus en sortir (je pense à la Cité Radieuse du Corbusier -peut-être aussi parce que je suis en train de lire Sous la colline, de David Calvo). Evidemment, l'enfermement a les conséquences dont on se doute, et cela associé aux passions humaines va transformer l'expérience en survival social. Il y a plein de choses à saluer dans cette honorable version cinématographique : la reconstitution maniaque de cette époque, le casting éblouissant, le travail sur la lumière et les couleurs. Du coup, la nudité du petit frère de Thor n'est vraiment pas le point focal.

  Et c'est la fin du résumé, deux mois essentiellement passés dans les librairies et dans les bars, à jouer des murder partys avec ma copine la Brunette, à rattraper 2 ans de correspondance en retard, à me plier en cours de Pilates et à bricoler des trucs dans ma cuisine.
En musique, j'ai aimé The Fat White Family, The Black Rebel Motorcycle Club et les Savages.
Il faudrait que j'écrive un truc à ce sujet. Un jour.

Du coup, pour l'illustration, j'avais envie de trouver un portait. Quitte à choisir, autant prendre un travail avec une petite histoire assortie, je parlerai donc de J.C. Leydendecker (1874-1951), peintre commercial du début du 20e siècle, dont le travail (palette et poses comprises) inspirera par la suite Norman Rockwell. Au cours de sa longue carrière, il a exécuté des illustrations de livres pour enfants, de très nombreuses couvertures de magazines, et travaillé dans la publicité.
En 1920, son travail pour la mode masculine était particulièrement reconnu : ses affiches pour les chaussettes, les costumes, et le très célèbre Arrow Collar Man définissaient le style même du dandy.
Et donc, le portrait, le voici, une étude pour une publicité Arrow Collar des années 20 :

Tout au long de sa vie, JC. Leydecker a en effet utilisé des modèles comme base de travail (lors d'une interview, où on lui demandait des conseils pour un dessinateur débutant, il avait d'ailleurs longuement insisté sur l'importance du dessin d'après le réel). Et parmi ses sujets de prédilection, figurait son modèle préféré et compagnon, Charles Beach. Très souvent, lorsque l'on regarde une des publicités qui ont fait sa réputation, comme ici, c'est un portrait du beau Charles que l'on admire.

Et à la suite !

mercredi 27 avril 2016

Des larmes sous la pluie, Rosa Montero

Des Réplicants à la Blade Runner, de la meuf féministe, une dystopie intelligente, et pleins d'interrogations métaphysiques ? Mets ta petite laine et tes baskets, c'est Des larmes sous la pluie, c'est super chouette, et on y va !


Dans Des larmes sous la pluie, nous sommes en 2100. Le monde a plus ou moins récolté ce qui l'attendait, à savoir des révoltes en tout genre, et s'est structuré en Etats-Unis terrestres. On a découvert le voyage spatial, créé des Réplicants (des cyborgs à la durée de vie limitée à 10 ans, et dont l'existence se termine par la TTT : Tumeur Totale Techno, horrible cancer généralisé incurable), enclavé des zones vivables pas trop polluées et non submergées par la montée des eaux (sorry, Barcelone). Comme on pouvait s'y attendre, l'humanité n'a pas tellement appris, et est toujours parcourue des mêmes défauts : haine de l'étranger, cupidité, égoïsme... Toutes ces tares sont le gagne-pain de la formidable Bruna Husky, Réplicante de combat et détective privée, qui doit en plus jongler avec ses angoisses philosophiques.
Tout en menant de son mieux ses enquêtes, elle fuit dans l'alcool, compte les jours restants jusqu'à sa TTT et cultive son humeur noire.
Justement, sa nouvelle enquête l'entraîne à la poursuite de Réplicants qui se suicident lors de crises meurtrières, et de modifications criminelles de l'Histoire récente du Monde (qui ressemble à un Wikipedia sur-protégé).

On l'aura compris, je trouve à ce roman plein de qualités. 
Le monde construit par Rosa Montero est très intelligent, et réaliste : dans une intrigue générale qui doit beaucoup au roman noir traditionnel, elle a poussé plus loin quelques concepts existants de nos jours. Cela permet de dresser le portrait d'une société malade, mais vivable, où le capitalisme continue à prospérer (on vend même l'air pur).
Se trouvent en plus dans ce roman quelques personnages traditionnels de la SF, extraterrestres et Réplicants, animés de sentiments plus ou moins complexes. Le thème du Réplicant est par ailleurs un très bon prétexte pour poser des questions essentielles sur l'identité, le monde, le destin, la famille, la mort... Tout en alternant ces questionnements avec des enquêtes pleines de rythme.

Tout ceci est déjà prometteur, mais ce qui élève vraiment le propos, c'est le personnage magnifique de Bruna Husky. 
Je prête toujours une grande attention aux personnages féminins dans la littérature, et j'adore trouver des personnages forts et complexes.
C'est le cas de l'héroïne de ce roman, pendant féminin d'un enquêteur de roman noir à la Marlowe, dans laquelle Rosa Montero investit ses connaissances en psychologie et en journalisme (sa formation initiale), et son expérience du monde, pour obtenir un personnage aussi fort physiquement que son for intérieur est troublé.
Cette complexité psychologique donne encore plus de substance au monde que l'on découvre à travers elle : tout en y vivant, elle déplore ses aberrations, et en est la victime.
On pourrait être tenté de reprocher à l'héroïne un petit côté "super-woman de bit-litt", avec une histoire d'amour à la clé, mais s'il est évident que l'objectif de Rosa Montero est d'amener son héroïne à une forme d'humanité, par l'amitié, et par cette fameuse love story présente de loin en loin, ce n'est pas le seul point focal, dans un univers particulièrement riche. Cette relation est donc plus un outil qu'une finalité, et il me semble qu'elle sert plutôt le propos de l'auteur.

 On pourra bien sûr trouver les ficelles un peu grosses, certains personnages pénibles à force de cliché (l'animal de compagnie, notamment, dont je ne dirai pas plus, mais qui me semble tellement écrit à dessein qu'il n'a guère d'existence, et le personnage de Paul, qui évoque une aimable version de papier de Vincent d'Onofrio dans New York Police criminelle), mais cela ne suffit pas à nuire à la lecture de cet excellent roman, dont on pourra saluer univers, intrigue, et personnage principal.

Des larmes sous la pluie / Rosa Montero. Métaillié, 2014.

Materialists, Celine Song

Materialists est le second film de Celine Song, après Past Lives (2023), qui avait été très apprécié (je ne l'ai pas vu), et s'int...